South China Morning Post, quotidien publié à Hong-Kong appartenant au dirigeant d’Albibaba Jack Ma depuis 2016, a publié son rapport sur l’internet chinois en 2019, en partenariat avec Abacus (site basé à Hong-Kong, consacré à l’industrie technologique chinoise, lancé par The Post Journal de New York). Ce rapport a pour objectif de donner un large aperçu de l’évolution des technologies innovantes et compétitives qui placent désormais la Chine au devant de la scène. Le document fait part également des tendances qui façonneront l’avenir de ce pays qui représente aujourd’hui la plus « grande communauté internet au monde ».

L’internet en Chine

Comme le rapporte l’étude, environ 60 % de la population chinoise, a accès à internet, soit plus de 800 millions de personnes. À titre de comparaison, les États Unis comptent pratiquement 300 millions d’usagers internet, soit pas loin de 90 % de la population américaine.

Graphique expliquant l'évolution du service internet chinois

L’évolution du service internet en Chine / Crédit : Scmp/abacus

Ces dix dernières années la Chine a quasiment triplé le nombre de ses internautes, dont la grande majorité utilise son smartphone.

Des modérations à prendre en compte

Prise dans son ensemble, la croissance économique de la Chine serait en train de ralentir. Le pays ayant une dette totale relativement élevée, dépassant celles observées dans de nombreux pays selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) datant d’avril 2019. La Chine, connue pour ses changements radicaux opérés durant ces 50 dernières années, est passée d’une population majoritairement rurale, à une population citadine. Cette évolution lui aura longtemps valu une hypercroissance. Néanmoins, le pays fait face à certaines conjonctures qui le rattrapent aujourd’hui, même si sur le plan international, le faible taux de chômage, et la progression des revenus ont soutenu la consommation : « les ménages consacrent de plus en plus de dépenses au commerce électronique et aux services partagés ».

Et si l’on observe cette consommation et les services proposés, celle-ci est plus que bénéfique pour les géants tels que Baidu, Alibaba, Tencent, ayant réussi – bien aidés par le système politique de la Chine – à monopoliser le marché Web chinois. Les BAT ont également réussi à consolider leur activité principale en construisant tout un écosystème englobant divers thématiques. C’est ainsi qu’un citoyen chinois peut passer « sa journée sur WeChat », (développée par Tencent), grâce à tous les services proposés par l’application. Les entreprises technologiques, et les startups reliées à ce marché ne cessent de croître également, et de voir leurs courbes de revenus monter. Tant et si bien que bon nombre d’investisseurs étrangers sont séduits.

Graphique pour représenter le marché des investisseurs en Chine

Les investisseurs étrangers, source : itjuzi / Crédit : Scmp/abacus

Ainsi, en dépit de la dette et des inquiétudes que peuvent générer les relations de commerce international, la Chine connait une généralisation numérique qui profite aux entreprises ayant investi ce marché. Tout porte à croire d’ailleurs, que celui-ci est voué à s’étendre au sein du pays, le Rapport du gouvernement de 2018 ayant insisté sur la « nécessité d’étendre la couverture des services internet à l’ensemble du territoire, et de réduire les tarifs ».

Le rapport de l’OCDE sur l’étude économique de la Chine en 2019 vient confirmer l’étude présentée : la Chine « est devenue un chef de file mondial dans la prestation d’un certain nombre de services […]. En peu de temps le pays s’est hissé au rang de leader mondial de toute une gamme de services fondés sur l’internet, dans des domaines tels que le commerce électronique, les paiements en ligne et les services VTC sur l’internet. »

Toutefois, si le pays veut maintenir sa position de leader sur le long terme, et réussir à étendre sa couverture numérique, il va falloir opérer quelques changements. Pour bien comprendre la portée des difficultés auxquelles les infrastructures chinoises vont devoir faire face, il semble utile de rappeler la fracture numérique qui demeure dans le pays. D’un point de vue géographique, l’OCDE relève un écart notable entre plusieurs provinces. Aussi, les provinces de l’ouest et du nord-est du pays accusent un réel retard. En zone rurale notamment, la moitié des personnes ne savent pas lire le pinyin, transcription alphabétique des caractères chinois, indispensable pour saisir du texte rapporte l’OCDE. D’autre part, avant de pouvoir inculquer des notions informatiques telle que la programmation, le développement d’un enseignement de base en maîtrise de la langue et de calcul dans l’enseignement primaire semble primordial. Enfin, le pays s’apprête désormais à faire face à un vieillissement démographique, la population active diminue, et par la même les salaires dit « élevé »s. Il est donc primordial pour la Chine de veiller à progresser sur ces points, en particulier sur l’éducation globale.

L’ensemble de ces mesures sont à prendre en considération pour la Chine, car les tensions internationales sur le plan commercial, et l’investissement des géants numériques en Asie grandissant, prenons l’exemple de Google en Inde, peuvent présenter quelques obstacles. Toutefois, l’avancement dans les tendances énumérées ci-dessous, les revenus engrangés par les BAT, les investissements dans les capitaux étrangers, ou dans les startups spécialisées dans le développement de l’intelligence artificielle à l’image de SenSat en Angleterre, développant l’IA au sein des infrastructures, risquent fort de permettre à la Chine de maintenir sa place de leader sur le marché numérique.

Les tendances pour 2019

La Chine réputée pour ses talents d’imitation dans la technologie industrielle semble avoir inversé la balance, puisque ce sont ses concurrents qui s’inspirent désormais des modèles qu’elle a mis en place, comme WeChat, Alipay, deux applications ayant largement inspiré le déploiement du paiement mobile de Google en Inde par exemple.

La Chine et la 5G

Le pays semble distancer ses concurrents avec la 5G apparaissant désormais comme un objet plus qu’important pour le futur des objets connectés, ou pour le marché des voitures autonomes par exemple. Le pays travaille sur de grands projets à l’international, et les équipements Huawei sont à l’origine de 65 % des réseaux 5G à travers le monde, comme il était rappelé aux États-Unis, tandis qu’ils envisageaient un retrait de la fabrication des appareils 5G en Chine il y a peu. Un autre pays, comme le Japon, souhaite reprendre le flambeau de l’innovation. Poussé par les J.O de 2020, celui-ci mise très largement sur le développement du réseau Rakuten lors du passage à la 5G. Celle-ci représente un marché gigantesque pour l’avenir, donnant accès à de nombreux nouveaux usages, tout le monde en est conscient, la Chine en premier.

La Chine utilise massivement l’intelligence artificielle dans bon nombre de domaines.

Le contrôle des accès est régenté grâce à cette technologie. La Chine utilise la reconnaissance faciale et le développement des algorithmes (machine learning) servant à contrôler l’accès de certains lieux comme les gares ferroviaires. Les passagers peuvent passer devant un lecteur de reconnaissance faciale, et voir leur compte débité automatiquement, grâce au stockage de leurs données. Tout simplement. Même chose pour certains hôtels, comme le FlyZoo, qui offre un service de robots à intelligence artificielle capables de vous laisse entrer – ou non – dans votre chambre grâce un système de reconnaissance faciale.

Le service clientèle s’agrémente lui aussi d’un service de système d’intelligence artificielle en 3D, permettant aux utilisateurs d’essayer des vêtements grâce à un avatar. La Chine n’est pas la seule à utiliser ce système, IKEA propose le même type de service à ses clients en leur permettant de visualiser leurs futurs achats dans leur habitat grâce à l’application IKEA Place.

La surveillance des citoyens s’applique également grâce à un système de reconnaissance faciale et de vision artificielle ou numérique, contrôlé par les autorités : que ce soit pour la sélection des profils suspects lors de chasses aux criminels, de contrôle des trafics, ou d’identification des citoyens quand ils enfreignent certaines règles. Le pays est connu pour son système de vidéosurveillance extrêmement développé, qui ne cesse d’être plus pointu, exemple : « la super caméra » inventée par un groupe de chercheurs, qui devrait être en mesure d’identifier un individu parmi des dizaines de milliers de personnes.

Les municipalités utilisent également l’intelligence artificielle pour se transformer en « ville intelligente », notamment en utilisant un système capable de d’adapter l’utilisation des resources électriques en fonction du trafic et des conditions météorologiques. Enfin, d’autres applications ne cessent de voir le jour, permettant l’appréciation des services médicaux.

La Chine a déjà fait part de l’importance selon elle d’investir dans l’intelligence artificielle pour les infrastructures. :  » Dans le domaine de l’amélioration de la gestion des villes, il y a un grand espace qui permet aux différentes entreprises de développer et de déployer leur potentiel en termes d’IA. Chaque joueur prend sa petite part du gâteau« , déclarait Tencent au China Daily il y a deux ans déjà.

Nombreux sont les services qui vont pouvoir profiter de l’intelligence artificielle, et de la reconnaissance faciale, que ce soit dans le domaine administratif, il suffit de penser aux applications en train de se mettre en place, type Alicem en France. Le domaine de la santé devrait en profiter également, principalement grâce aux capteurs NFC, capables de jouer un rôle préventif pour les patients, voire détecter des maladies. Tencent a d’ailleurs créé en 2018 une unité commerciale appelée « groupe des industries du cloud et intelligentes » avec pour objectif de travailler avec des industries spécialisées dans la grande distribution, la médecine, l’éducation et les transports pour implanter peu à peu des systèmes d’IA dans ces domaines.

La Chine et son crédit social

Le crédit social, lancé en 2014, et fondé sur un système de notation des citoyens devient une réalité en Chine. L’évaluation des citoyens chinois notés sur leur comportement et leurs actions, entraine une récolte d’informations reposant sur des données mises à disposition : l’accès au casier judiciaire, la récupération des données sur les réseaux sociaux comme Weibo ou WeChat, les notes du fisc, etc. Le programme conçu pour être effectif en 2020, a pour ambition de favoriser un comportement citoyen, couvrant ainsi les « infractions telles que fumer dans un endroit public, utiliser un billet périmé, omettre de payer ses amendes, s’acquitter d’une assurance sociale », rapportait Reuters.

En fonction de leur note, les citoyens se voient privés de certains droits, comme celui de se déplacer. Treize millions d’individus ont été jugés « non fiables » par le rapport de données tenu par la Cour suprême de Chine. Ces personnes sont interdites de prendre l’avion, ou le train rapide, l’étude ne précise pas pour combien temps. Les remontrances établies par le gouvernement chinois s’appliqueraient également au domaine des finances. Certains seraient dans l’impossibilité d’acheter un appartement ou de monter une entreprise, comme le rapportait un journaliste chinois sur France Inter, ayant été en procès avec la justice chinoise. À l’inverse, les personnes ayant un crédit élevé seraient privilégiés et pourraient plus facilement obtenir un poste de fonctionnaire, ou une place à l’école pour son enfant d’après ce qu’on peut lire dans Ouest france.

le modèle des applications chinoises inspire l'occident

La ville de Shanghai de nuit © Adi Constantin – Unsplash

La liste n’est pas exhaustive, le rapport stipule qu’il n’existe pas un système fixe de réprimandes ou de scores à évaluer, mais tout un panel de critères qui divergent en fonction des villes et des provinces du pays. Exemple, à Pékin on risque une perte de points en mangeant dans le métro, tandis que c’est en promenant son chien qu’une réprimande peut tomber à Shangaï. Les critères d’évaluation ne seraient d’ailleurs pas toujours communiqués à l’ensemble des citoyens, comme le rapporte Ouest france.

Enfin le rapport stipule que la société travaille sur une application de scoring en collaboration avec le Comité central de la Ligue de la jeunesse communiste (CYLCC), et la Commission de développement et de réforme nationale (NRDC) du groupe des dirigeants chinois. Cela donne des avantages à ceux qui ont obtenu de bons résultats, comme éviter le premier cycle d’entretiens d’embauche.

Que dire, si ce n’est que le « crédit social » semble être entièrement fondé sur un service de surveillance accru, et un système de distribution de bénéfices et de punitions aléatoires. Il est d’autant plus troublant de constater que ces règles ne sont pas légiférées au niveau national et de ce fait, pas toujours référencées. Si celles-ci posent question d’un point de vue législatif, elles en posent encore davantage du point vue des libertés universelles et des droits fondamentaux auxquels chaque être humain peut se prévaloir. Dans un pays dont le parlement a modifié la Constitution pour permettre à son président Xi Jinping, élu depuis 2013, de le rester pour un « durée illimitée », il y a de quoi réfléchir un peu.