Si des services en ligne tels que Facebook, Instagram, Google et Amazon ont su se faire une place conséquente en Occident au fil des années, il reste une partie du globe qui n’aborde pas le web de la même façon : la Chine. Plusieurs plateformes américaines y sont effectivement interdites au profit d’applications propres au pays. Mais alors, comment navigue-t-on sur le web en Chine ? Quels sont les usages, les particularités et les contraintes ?

Quels sont les services web et les applications les plus utilisés en Chine ?

Les réseaux sociaux en Chine

De l’hégémonie de WeChat — et Tencent

À ce jour, c’est Facebook qui domine le classement des réseaux sociaux à travers le monde, se plaçant sur la première marche du podium avec pas moins de 2,27 milliards d’utilisateurs actifs en janvier 2019. Il est intéressant de constater que les quatre premières plateformes les plus populaires sont d’ailleurs américaines, si bien que l’on trouve respectivement des services comme YouTube, WhatsApp et Messenger derrière le grand F. Néanmoins, le chinois WeChat se place tout de même cinquième de cette liste réalisée par Statista Research Department avec plus d’un milliard d’utilisateurs actifs dans le monde, barre symbolique dépassée en mars 2018.

nombre utilisateurs réseaux sociaux

© Statista

De prime abord, il peut être relativement difficile d’expliquer le fonctionnement de WeChat, en ce qu’il rassemble les services et fonctionnalités que l’on trouve sur plusieurs réseaux sociaux occidentaux distincts. Il s’agit donc d’une plateforme regroupant certains des attributs de Facebook, mais aussi d’Instagram, de Messenger, de WhatsApp, de Tinder, d’Uber, d’Amazon ou encore de Google. Le service dispose également de son propre système de paiement, ce qui permet à ses utilisateurs d’effectuer des transactions ou d’acheter des produits.

Lancé en janvier 2011, WeChat est l’œuvre de Tencent Holdings Limited, entreprise issue du secteur technologique et particulièrement connue en Chine en raison du nombre très conséquent de services dans lesquels elle investit. Celle-ci est la création Ma Huateng, plutôt connu sous le nom de Pony Ma, qui se lance dans sa création avec un groupe d’amis en 1998. Si Tencent ne semble pas très prometteur à ses débuts, il n’aura pas fallu plus de quelques années à la société pour qu’elle se hisse au rang des géants technologiques en Chine.

Outre des services en ligne comme QQ (messagerie) ou Foxmail (email), Tencent s’intéresse particulièrement aux jeux vidéo, au point que le secteur représentait 36% de ses revenus en 2018. Le chinois est donc actionnaire majoritaire de Riot Games (League of Legends) et d’Epic Games (Fortnite). Il est aussi intéressant de relever que Tencent est entré au capital de l’américain Tesla en 2017, prenant une participation passive de 5% pour un montant de 1,78 milliard de dollars. La même année, la société a fait l’acquisition d’actions lui permettant de posséder pas moins de 12% du réseau social Snapchat. Enfin, cela fait également quelques années que la firme continue sa diversification en se tournant vers le cloud, dont les revenus ont doublé en 2018.

En termes de capitalisation boursière, Tencent pesait plus de 347,55 milliards de dollars cette anné-là, ce qui positionnait alors le géant comme la douzième plus grosse entreprise au monde.

logo WeChat

© WeChat

Mais revenons sur le cas de WeChat afin de comprendre comment le réseau social est passé de 300 millions d’utilisateurs dans le monde en janvier 2013 à plus d’un milliard en 2018, soit à peine cinq ans après. Comme expliqué plus haut, le réseau social a l’avantage indéniable de regrouper une large multiplicité de fonctionnalités en un seul et même service. C’est justement sur cette base-là que la plateforme a capitalisé pour gagner le cœur des utilisateurs — et leur temps passé sur l’application. Comme l’évoquait le New York Times dans une vidéo de 2016, WeChat s’inscrit dans le quotidien des chinois à tel point qu’il est possible de passer sa journée sur ce seul et unique service sans avoir à le quitter. Un utilisateur chinois peut donc écrire à ses amis, commander un toiletteur pour chien à domicile, géolocaliser des personnes, voir si un restaurant est bondé ou non, payer ledit restaurant, laisser un avis et partager les photos de son repas. Un modèle de super-application qui inspire l’occident.

Le service de microblogging Sina Weibo

Difficile d’évoquer les réseaux sociaux en Chine sans évoquer le cas de Weibo, que l’on pourrait comparer à son homologue occidental Twitter. Néanmoins, il dispose tout de même de quelques fonctionnalités que l’on ne retrouve pas sur son équivalent américain.

Lancé en 2009, Sina Weibo se positionnait à la dixième place du classement des réseaux sociaux à travers le monde avec plus de 446 millions d’utilisateurs actifs, soit un peu moins de la moitié de ceux de WeChat. Si les années 2000 marquent l’arrivée des blogs et de la mise en avant de contenus plus personnels sur le web, 2006 reste l’année durant laquelle Twitter est créé. Ce modèle basé sur le microblogging n’est pas sans inspirer la Chine, si bien que plusieurs plateformes basées sur ce même positionnement apparaissent. Mais c’est trois ans plus tard que Sina Weibo voit le jour, sous la coupe de la société chinoise Sina Corporation. Une fois de plus, il s’agit d’une entreprise particulièrement conséquente dans le pays. Fondée en 1998, celle-ci s’axe principalement autour de quatre services qui sont SINA.com (portail), SINA mobile (portail mobile et applications mobiles) et Weibo (médias sociaux).

En somme, elle rassemble les médias sans laisser de côté les réseaux sociaux et le user generated content (UGC), contenu directement produit par les utilisateurs eux-mêmes, précise le site web de la firme.

Weibo

© Weibo

Principalement axé sur le contenu, Sina Weibo a l’avantage de permettre à ses utilisateurs de partager du texte, anciennement limité à 140 caractères comme sur Twitter il y a encore quelques années, mais aussi des images, des vidéos, des musiques, des hashtags, des sondages ou des stickers. En conséquence, il possède le même aspect très réactif que son équivalent, si bien que certains messages peuvent très rapidement devenir viraux, qu’il s’agisse d’un texte personnel ou d’une réaction à une actualité chaude.

De la même façon que son homologue américain et que WeChat, Sina Weibo a su attirer les marques et les personnalités influentes, si bien que de nombreux patrons issus d’entreprises du secteur de la technologie exploitent la plateforme pour y partager les dernières actualités.

WeChat, Sina Weibo… Et les autres ?

Évidemment, WeChat et Sina Weibo ne sont pas les seuls réseaux sociaux existants en Chine, mais ils sont certainement ceux avec lesquels nous avons le plus de points de comparaison nous permettant de comprendre leur fonctionnement et la raison de leur hégémonie. Plus largement, l’on pourra également évoquer QQ et ses 803 millions d’utilisateurs actifs (janvier 2019) ainsi que TikTok et ses 500 millions d’utilisateurs actifs (janvier 2019). Le dernier est certainement le plus connu du grand public, puisqu’il a fait parler de lui lors de sa fusion avec Musical.ly en août 2018. Sur l’application, l’on peut se filmer en train de danser sur une chanson et la diffuser en ligne. Dernière TikTok se trouve la société ByteDance, également à l’origine de l’application chinoise populaire Toutiao. Lors de la fusion, ByteDance pesait pas moins de 30 milliards de dollars.

Quant à QQ, il s’agit là de la messagerie instantanée du géant Tencent, propriétaire du réseau social WeChat. Une fois de plus, l’on peut la comparer à Facebook Messenger, avec quelques fonctionnalités supplémentaires.

Les moteurs de recherche en Chine

Quand Baidu domine la Chine

En Occident, difficile de faire sans Google lorsque l’on évoque les moteurs de recherche, bien que quelques alternatives existent. Mais à la façon dont la firme américaine domine, c’est Baidu que l’on mentionne directement lorsqu’il s’agit de la Chine.

Fondé en 2000, soit deux ans après Google, Baidu, que l’on peut traduire par « cent degrés » est l’œuvre de Robin Li et Eric Xu. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le premier fondateur a accusé l’américain d’avoir copié sa technologie d’indexation des liens, une façon de rechercher l’information qui lui a permis de s’imposer rapidement comme numéro un. De la même façon, le moteur de recherche chinois trouve rapidement l’idée de proposer aux entreprises de faire la promotion de leur service, ce qui se révèle rapidement être un modèle économique fiable. À l’origine, les résultats de recherche ne précisaient pas qu’il s’agissait de publicité, un manquement qui s’est retourné contre l’entreprise en 2009, année durant laquelle Baidu a fait évoluer ses pratiques.

Baidu

© Baidu

C’est en août 2005 que Baidu fait une entrée retentissante en bourse, au point que la société est estimée à plus de 4 milliards de dollars avec un cours de l’action à 122,54 dollars à la clôture du Nasdaq. Quelques années plus tard, en 2011, la firme officialise en partenariat avec Microsoft, ce qui permet au moteur de recherche chinois de bénéficier des résultats de recherche de son partenaire lorsque des recherches en anglais sont renseignées. De la même façon que Baidu, Bing n’affiche pas non plus tous les résultats afin de se plier à la censure des autorités, sujet non négligeable sur lequel nous reviendrons plus tard.

En janvier 2019, Baidu faisait état de pas moins de 700 millions d’internautes pour plus de 66% des parts de marché dans le secteur des moteurs de recherche. Deux ans plus tôt, la firme annonçait un chiffre d’affaires de pas moins de 13 milliards de dollars, là où sa capitalisation boursière dépassait les 61 millions de dollars à la fin de l’année 2018. À ce jour, Baidu est l’un des 4e sites web le plus visités au monde, derrière Google, YouTube et Facebook et devant Wikipédia, selon les données d’Alexa Rankings. En février 2019, les parts de marché du moteur de recherche étaient de 57% en Chine.

En termes de services, Baidu dispose d’un moteur de recherche, mais aussi d’un réseau social baptisé Baidu PostBar, d’une encyclopédie similaire à Wikipedia du nom de Baidu Encyclopedia ou encore d’une plateforme de partage de documents appelé Baidu Wenku. En vrac, la firme chinoise propre également un équivalent de Google Drive (Baidu Cloud), de Google Maps (Baidu Maps) ou de Google AdWords (Baidu Index).

Il est également intéressant de noter que Baidu ne dispose pas seulement de ces services très utilisés en Chine, mais aussi d’une plateforme de contenus vidéos baptisée iQiyi. Là où Netflix comptabilise quelque 140 millions d’abonnés payants, son homologue chinois en revendique plus de 60 millions. En 2017, les revenus issus du moteur de recherche et des revenus publicitaires étaient de 86%, contre 13% pour le service de streaming.

D’autre part, Baidu s’intéresse également de très près au développement de véhicules électriques autonomes, comme le fait Google avec sa filiale Waymo. En 2018, la firme chinoise a réussi à obtenir une autorisation lui permettant de réaliser des tests publics sur une trentaine de routes représentant un peu plus de 100 kilomètres de long.

Qui d’autre que Baidu ?

Si Baidu est le leader incontestable des moteurs de recherche en Chine, il n’est pas le seul pour autant dans le pays. La situation est relativement similaire en Occident, en ce que Google règne en maître sur la recherche, laissant tout de même de petites parts de recherche à d’autres alternatives comme Bing de Microsoft, Yahoo, Qwant ou DuckDuckGo.

Comme indiqué précédemment, le moteur de recherche Bing est donc accessible en Chine, malgré le fait que celui-ci soit parfois inaccessible dans le pays. La situation s’est effectivement produite en janvier 2019, date à laquelle la version chinoise du service a été bloquée sur le territoire durant plusieurs heures. Celui-ci a finalement été rétabli, mais Microsoft a déclaré qu’il ne connaissait pas les raisons de cette suspension, là où la firme a ajouté que ce n’était pas la première fois que la situation se produisait dans le pays. Néanmoins, il est à noter que la part de l’outil de la firme américaine est insignifiante dans le pays, au point que celle-ci n’apparait même pas dans le graphique réalisé par StatCounter pour illustrer la présence des moteurs de recherche en Chine en 2018.

moteurs de recherche Chine

© Statcounter

L’on peut d’ailleurs apercevoir la forte présence de Sogou, autre moteur de recherche chinois fondé quatre ans après Baidu, en 2004, par Sogou, filiale de Sohu.com. Si ses parts du marché semblent minimes, il revendique tout de même actuellement le 107e rang mondial des sites Internet et le 28e pour Internet en Chine. De la même façon que Baidu, il dispose d’une encyclopédie en ligne. Sogou s’attribue la troisième place des moteurs de recherche avec des parts de marché de 3,7%. S’il reste encore moins conséquent, Tencent a tout de même aidé celui-ci à se développer grâce à un investissement en 2013, là où il a aussi signé un partenariat avec Bing.

À la deuxième place des moteurs de recherche en Chine, l’on retrouve donc Qihoo360. Fondée par Hongyi Zhou et Xiangdong Qi en juin 2005, la plateforme propose rapidement un antivirus gratuit, levier qui lui permet d’assurer une croissance rapide dans le pays quand elle lance son moteur de recherche en 2012, douze ans après le leader Baidu. À ce jour, celle-ci représente pas moins de 30% des parts du marché en janvier 2019.

Pour récapituler, l’on retrouve donc le leader Baidu et ses 57,1% de parts du marché, suivi par Qihoo360 et sa croissance qui lui permet de rafler les 30% du marché. La troisième marche du podium est prisée par Sogou et ses 3,7%, tandis que d’autres acteurs plus petits tentent de se faire une place, à l’exemple de Bing.

Alibaba

Difficile d’évoquer le web en Chine sans mentionner Alibaba, acteur prépondérant du ecommerce dans le pays et homologue de l’américain Amazon. Imaginée en 1999, la société est l’œuvre de Jack Ma, dont l’objectif était alors de mettre les fabricants et les acheteurs en relation. Rien que l’année de sa création, la plateforme lève 25 millions de dollars auprès de Softbank, Goldman Sachs et Fidelity, marquant le fait qu’elle prend en crédibilité aux yeux des entités américaines. En quelques années, Alibaba s’impose comme le numéro un du ecommerce dans le pays, revendiquant 1,8 million d’utilisateurs à travers le monde en 2003.

Cette même année est également celle de la création de Taobao et d’Alipay, deux solutions qui remporteront également un franc succès dans le pays. La première est une plateforme de vente en détail et en gros aux entreprises ou aux particuliers. Trois ans plus tard, celui-ci détrône la filiale chinoise d’eBay et se positionne comme le site numéro un de vente en ligne entre détaillants. En 2016, le site était classé au 11e rang mondial par Alexa Rankings.

Alibaba logo

© Alibaba

Pour sa part, le second est un service de paiement d’abord lancé sur Taobao puis sur les plateformes d’Alibaba. Dans les faits, le système se base sur sur un système de QR Code, si bien que le vendeur propose son propre code-barre, qui peut ensuite être scanné par l’acheteur afin que la transaction soit instantanée validée. En 2018, la solution comptabilisait plus de 600 millions d’utilisateurs, actifs, là où Apple doit se contenter d’un peu plus de 127 millions d’utilisateurs actifs à la même date.

En termes de capitalisation boursière, Alibaba atteignait les 486 milliards de dollars au cours du mois de juillet 2017. Il est intéressant de noter que les plateformes de ecommerce chinoise profitent très largement de la journée du 11 novembre, journée des célibataires durant lesquelles les ventes atteignent des records. En 2017, Alibaba avait dépassé le cap symbolique des 25 milliards de dollars.

Voilà pour le panorama des services chinois les plus utilisés dans le pays, des applications qui profitent d’ailleurs de l’absence de nombreux acteurs américains dont l’hégémonie sur d’autres territoires n’est pas à remettre en cause. En effet, plusieurs services sont dans l’incapacité de mettre les pieds en Chine, là où d’autres sont tolérés par le gouvernement. Tour d’horizon.

Quid des services occidentaux en Chine ?

Quels sont les services occidentaux interdits en Chine ?

Les plateformes sociales appartenant à Facebook

Difficile d’évoquer le cas des services sociaux en Chine sans mentionner directement Facebook, réseau social banni du pays depuis 2009, soit à peine cinq ans après sa création. Et pour Mark Zuckerberg, ce n’est pas faute d’avoir essayé à grand renfort de diplomatie, allant même jusqu’à l’apprentissage du mandarin. En 2014, il s’était effectivement rendu dans une des universités du territoire pour un discours dont une partie a été prononcée dans la langue. Néanmoins, cette opération de séduction n’avait pas été satisfaisante, si bien que le gouvernement n’est pas revenu sur sa décision. Si Facebook est banni dans le pays, c’est parce que les autorités chinoises souhaitent conserver la main mise sur le contenu pouvant circuler sur le web au sein de la Chine, ce qui n’est pas possible avec un tel réseau social. En conséquence, elles préfèrent tout bonnement bannir celui-ci au profit de services chinois sur lesquels il est plus simple de garder le contrôle. Pour pouvoir pénétrer dans le pays, il faudrait donc que Zuckerberg accepte les règles du pays et la censure qui y est en vigueur depuis de nombreuses années maintenant.

En 2016, Facebook a donc fait une nouvelle tentative pour pénétrer de nouveau en Chine en mettant sur pied un outil… de censure. En effet, celui-ci a imaginé un service capable de bloquer certains contenus en fonction de leur zone géographique. Si un message de ce type est détecté, il peut donc être automatiquement supprimé. À l’époque de ces révélations, la plateforme sociale avait alors transmis l’outil à une société tierce chargée de faire respecter les lois du web chinois.

Un an plus tard, Facebook a de nouveau retenté l’expérience de la Chine avec une application dédiée au partage de photos. Baptisée Colorful Balloons, celle-ci était dédiée uniquement au marché chinois et assez similaire au service tiers du réseau social, Moments. Cependant, celle-ci ne porte pas le nom du réseau social américain et a été lancée par le biais d’un développeur local du nom de Youge Internet Technology. À l’époque, la plateforme avait fait savoir qu’elle souhaitait passer du temps à « comprendre et à apprendre davantage sur ce pays de différentes façons ». Cependant, l’application en question ne semble vraisemblablement pas avoir fait reparler d’elle depuis.

Colorful Balloons et Moments

À gauche, Colorful Balloons et à droite, Moments

Si Facebook n’a pas le droit de mettre les pieds en Chine, c’est également le cas de l’application Instagram, puisqu’elle a été rachetée par le réseau social au cours de ces dernières années. Pour sa part, l’accès à WhatsApp a été particulièrement complexifié par les autorités chinoises jusqu’en 2017 (le rachat par Facebook a eu lieu en 2014) avant d’être totalement interdit.

Il faut tout de même noter que la Chine rapporte beaucoup d’argent à Facebook, ce qui peut sembler paradoxal puisque sa plateforme principale y est interdite. Cependant, les annonceurs chinois y investiraient des sommes colossales chaque année, au point que le pays serait son deuxième client. Si l’on en croit l’étude issue du cabinet Pivotal Research en 2018, 10% des revenus de la plateforme seraient réalisés là-bas, soit des dépenses estimées à environ 5 milliards de dollars en 2018. En comparaison, ce chiffre est d’environ 20 milliards pour le pays qui se place sur la première marche du podium, c’est-à-dire les États-Unis.

Et les autres ?

Si Amazon n’est pas interdit en Chine, la plateforme de ecommerce peine à se faire une place dans le secteur, principalement car elle est entourée de géants locaux comme Alibaba et ses sites Taobao et Tmall ainsi que JD.com. En conséquence, le site web de Jeff Bezos a fait savoir qu’il fermait sa marketplace chinoise en juillet 2019. Dans les faits, cela signifie que les utilisateurs ne sont plus en mesure de profiter des produits issus de revendeurs tiers en Chine. Néanmoins, ils peuvent toujours accéder au site web de la firme américaine et commander des produits.

L’on peut aussi évoquer le cas de Wikipedia, encyclopédie en ligne qui a vu son accès en Chine diminuer puis se refermer totalement durant le mois d’avril 2019. Avant cette date, la totalité du contenu en mandarin était déjà interdit sur le territoire, là où le blocage est donc devenu total.

Difficile de lister les services dont la présence est interdite dans le pays sans parler du cas de Google, banni dans le pays depuis des années, mais qui a pourtant refait parler de lui il y a quelques mois. On fait le point sur la situation du moteur de recherche.

Avant cela, il est également intéressant de mentionner YouTube, plus grosse plateforme de vidéos au monde appartenant à Google, dont la présence n’est pas autorisée en Chine, pour les mêmes raisons que Facebook, Instagram et autres. Celle-ci a d’abord été bloquée temporairement en 2007 avant que cette décision ne devienne définitive en 2009.

Le cas de Google

Mais revenons au cas de Google, qui a fait parler de lui plusieurs fois au cours de ces derniers mois. À l’origine, le moteur de recherche est arrivé en Chine en 2005, soit l’année de l’introduction en Bourse de son concurrent Baidu. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que l’américain se retrouve confronté au pouvoir chinois et à la censure que celui-ci fait régner sur le territoire. En 2006, Google accepte donc de se plier aux règles du pays, ce qui signifie que tous les résultats de recherche n’apparaissent pas comme cela serait le cas au sein d’autres États.

Le fait politique qui illustre à la perfection la censure à laquelle se plie la firme américaine est bien évidemment Tian’anmen, qui fait référence -à l’origine- à une porte fortifiée située en Chine. Mais au cours de l’histoire, celle-ci est également devenue un symbole fort, car elle est le lieu où se sont produites de nombreuses manifestations en 1989. Le 5 juin, des images montrent un homme seul, debout, en train de se tenir devant les tanks qui défilent. Durant quelques instants, il stoppe leur progression, devenant symbole de la révolte qui se tient ces jours-là. Aujourd’hui, l’on ne sait toujours pas ce qu’est devenu cet homme et s’il a été arrêté ou exécuté par les autorités chinoises. Au fil des années, ce sujet est devenu interdit en Chine, qu’il s’agisse de l’homme surnommé Tank Man ou des manifestations sanglantes qui ont eu lieu à Tian’anmen.

Dans d’autres pays, les résultats de recherche Google renvoient vers ces manifestations et permettent d’accéder facilement aux images montrant l’homme qui s’est révolté contre le pouvoir. Mais en Chine, une simple recherche d’image sur le terme « Tian’anmen » renvoie vers des images du bâtiment, sans évoquer les massacres perpétrés par les autorités à l’égard des manifestants.

Malgré le fait que Google se soit plié à la loi, il est tout de même banni par les autorités en 2010, année où il se voit donc obligé de quitter le pays, son moteur de recherche sous le bras.

La Chine censure Leica.

Néanmoins, le projet d’une nouvelle implantation en Chine est de nouveau évoqué en 2018 sous le nom de Dragonfly. Une large enquête réalisée par The Intercept évoque effectivement le fait que Google serait de nouveau prêt à déployer son moteur de recherche sur le territoire. En cours depuis quelques années, l’initiative aurait alors été accélérée suite à une discussion entre le PDG de Google, Sundar Pichai, et des hauts dirigeants chinois. Directement, le média américain indique que cela signifie que Google se plierait à la censure et filtrerait ses résultats de recherche. Suite à cela, la firme indique que la nouvelle est vraie, mais que le projet n’en est encore qu’à un stade « exploratoire ».

Si le patron de Google veut rassurer, la nouvelle fait un tollé. Plus de 1 000 employés signent une pétition pour protester contre le retour du moteur de recherche en Chine, certains vont même jusqu’à démissionner pour montrer leur désapprobation.

En juillet 2019, les employés de Google obtiennent raison et le projet Dragonfly est vraisemblablement abandonné. Karan Bhatia, Vice-Président de la politique publique de la firme, indique que l’entreprise ne travaille plus sur cette initiative, assurant que les salariés travaillant sur cette dernière ont été redirigés vers d’autres services.

Quel contrôle du web en Chine ?

Une (très) forte censure en Chine…

Le cas de Google a l’avantage d’illustrer à la perfection le pouvoir qu’exercent les autorités sur le web en Chine. Si la recherche sur Tian’anmen est un parfait exemple, il ne s’agit là que d’un cas parmi d’autres. Plus globalement, l’on peut effectivement se référer aux études annuelles réalisées par l’association Freedom House. Chaque année, l’organisation américaine dévoile une carte répertoriant tous les pays du monde et leur niveau de démocratie, dont une partie qui se concentre exclusivement aux libertés sur le Net.

Selon le rapport de 2018, le score de la Chine est de 88 sur 100, 100 représentant les pays les moins libres du monde. Plus précisément, la limitation des contenus est estimée à 31 sur 35, contre 40 sur 40 pour la violation des droits des utilisateurs. Dans son document, Freedom House pointe du doigt une nouvelle loi sur la cybersécurité datant de 2017. Dans les faits, celle-ci oblige les utilisateurs à donner leurs noms réels auprès des services web tandis que la localisation des données devient obligatoire. Les entreprises ont aussi pour obligation d’aider le gouvernement chinois en cas de demande, ce qui signifie que les autorités peuvent très rapidement connaître l’identité réelle et les activités d’un internaute.

D’autre part, plusieurs entreprises ont été dans l’obligation de se plier à de nouvelles règles, à l’exemple d’Apple qui a dû supprimer plusieurs VPN de son App Store afin que les internautes ne puissent pas utiliser ces outils pour naviguer plus librement depuis la Chine.

Pour Freedom House, la Chine est donc le pays le moins libre du monde sur le web en 2018 avec son score de 88 sur 100, suivi par la Syrie qui obtient 83. En comparaison, le score de la France est de 25 sur 100 en 2018.

Le territoire chinois obtient un résultat entre 83 et 88 sur 100 depuis 2011, date à laquelle l’organisation a commencé à réaliser ces rapports.

Chine score Freedom House

© Freedom House

L’autre exemple probant est le cas de Xi Jinping, actuel président chinois. En 2018, le fait que les mandats d’un président puissent changer a été évoqué, ce qui signifie que le chef de l’État pourrait rester plus longtemps au pouvoir, voir à vie. La censure s’est alors intensifiée très fortement dans le pays. En ce sens, plusieurs termes ont été interdits sur les réseaux sociaux pendant de longues heures, voir des jours, à l’exemple des mots « deux mandats », « amendement de constitution », « réélu » et « Xi Jedong » (référence à Mao Zedong). Filtrés, ceux-ci n’apparaissaient tout bonnement pas sur Weibo et WeChat.

L’on peut également évoqué le cas, plus ironique, de la censure de Winnie l’Ourson en Chine. Quelques années auparavant, Winnie l’Ourson et Tigrou sont utilisés lors de la rencontre entre Xi Jinping et Barack Obama, sachant que Xi Jinping représente Winnie. Évidemment, il n’en faut pas beaucoup à Internet pour rire de la blague et utiliser la comparaison de nombreuses fois pour évoquer le dirigeant chinois. Bien évidemment, l’ironie ne plaît pas aux autorités, si bien qu’une image comparant l’ours en question au chef de l’état en pleine parade militaire devient la plus censurée du web chinois de l’année 2015. Sur Weibo, la recherche « Winnie l’Ourson » renvoie désormais vers un message, limpide, qui indique « contenu illégal ».

Plus globalement, de nombreux termes similaires ne sont pas autorisés sur Weibo. C’est le cas de l’expression « Winnie l’ourson », mais aussi « Le meilleur des mondes » ou « 1984 », des références directes à l’ouvrage d’Aldous Huxley. Pour rappel, celui-ci dépeint une société future dans laquelle les bébés sont conçus dans des éprouvettes et destinés à intégrer l’une des cinq castes de la société. Les thématiques de l’œuvre se focalisent principalement sur le contrôle de l’individu, l’eugénisme ou le bonheur obligatoire. En somme, des thématiques qui poussent à réfléchir dans un État aux tendances totalitaires comme la Chine. Le mot « Disney » n’a pas non plus sa place sur le réseau social.

Il est intéressant de signaler que la censure en Chine a également mené au bannissement temporaire de la lettre « n ». Si cela peut sembler hallucinant, cela a effectivement été le cas durant quelques heures, à la période où le sujet se concentrait sur un possible nouveau mandat du président.

Voici des exemples concrets qui illustrent comment se matérialise la censure en Chine et le Grand Firewall du pays, un terme qui fait référence à ce vaste projet de censure et de propagande.

…Mais aussi de la propagande…

Si la Chine censure certains contenus sur le web en Chine, l’on peut aussi évoquer la propagande qu’elle met en place par le biais de certaines applications. Difficile de ne pas évoquer le jeu PUBG, dont Tencent est l’un des développeurs. Pour rappel, le jeu en ligne est propose un mode Battle royale, ce qui signifie que 100 personnes atterrissent sur une même île et doivent survivre jusqu’à être le dernier survivant, autrement appelé « Top 1 ». Le jeu a été très apprécié à sa sortie, bien qu’il ait dû rapidement faire face à la concurrence de Fortnite.

Néanmoins, cela n’a pas empêché le jeu d’être censuré dans le pays et de ne plus pouvoir être accessible. En conséquence, PUBG a fait sa renaissance sous un autre nom, Game for Peace. Le principe est assez similaire, si ce n’est quelques petites différences que l’on notera tout de même. En effet, le positionnement du jeu se base sur le fait de « rendant hommage aux militaires chinois » et à l’armée de l’air. Cette nouvelle version est également moins sanglante que la précédente. En 72 heures à peine, le jeu a rapporté à son éditeur, qui n’est autre que Tencent, plus de 14 millions de dollars.

Google présente les meilleures applications du Google Play en 2018

PUBG, l’original

Quant aux jeux vidéo, la Chine ne cesse de durcir ses règles à l’encontre des jeux vidéo, ce qui a entraîné le pays à dévoiler de nouvelles mesures allant dans son sens. Ainsi, certains mots sont également interdits sur les MMORPG, là où le temps de jeu des jeunes joueurs est limité. De la même façon, les scènes montrant du sang, des cadavres et des jeux de poker sont interdites. En conséquence, ce sont moins de 5 000 jeux vidéo qui devraient désormais être validés par les autorités chinoises chaque année.

Plus globalement, l’on peut aussi noter l’existence de honkers, des internautes chinois dont l’activité principale consiste à défendre les opinions du gouvernement sur le web. Plus concrètement, ils postent donc régulièrement et anonymement des messages sur les forums et autres réseaux sociaux pour faire écho aux opinions du pouvoir en place. Dans un article du Monde dédié au sujet et daté de 2008, l’on peut donc lire que ces internautes bien particuliers sont payés 5 mao (environ 5 cents) pour chaque commentaire. Néanmoins, il semblerait que certains soient à leur compte tandis que d’autres sont salariés, donc rémunérés plus que 5 cents. En 2008, ceux-ci seraient aussi payés par certaines entreprises tech elles-mêmes.

Ceux-ci seraient nés en 2004 à l’Institut des sciences et technologies du Henan. À leurs débuts, ils se concentraient donc sur les débats des étudiants avant de toucher de plus en plus de sujets et de sortir de ce cadre universitaire.

…Et des mesures punitives IRL (In Real Life)

Si la censure et la propagande que le gouvernement chinois met en place concernent, dans le cas de ce sujet, le web et les réseaux sociaux, l’on ne doit pas pour autant oublier que cela mène à des actions concrètes.

En janvier 2019, un rapport réalisé par le New York Times explique effectivement que certains utilisateurs de Twitter ont été arrêtés et interrogés de longues heures suite à certains contenus partagés sur le réseau social de l’oiseau bleu.

En effet, un militant chinois du nom de Huang Chengcheng a indiqué qu’il avait été arrêté avant d’être menotté à une chaise puis interrogé durant plus de huit heures, sachant que certaines des questions concernaient ses activités sur le web et sur Twitter. À la fin de l’entretien, il a signé un document dans lequel il a accepté de rester loin du réseau social.

Pour sa part, un autre témoin a évoqué un interrogatoire de vingt heures et la signature d’un document dans lequel il indique avoir perturbé l’ordre social. Mais ce n’est pas tout, car celui-ci a également été obligé de regarder plusieurs heures de vidéos de propagande avec une dizaine d’autres personnes vraisemblablement dans son cas. Ces réprimandes ont fait suite aux partages d’images de Rebel Pepper, un caricaturiste chinois qui a quitté la Chine pour vivre au Japon.

Encore une fois, il ne s’agit là que d’un exemple parmi d’autres. Sans évoquer directement le web, l’on peut tout de même évoquer l’arrestation de plusieurs journalistes. Certains d’entre eux se sont effectivement vu retirer leur carte de presse dès 2009. De cette façon, le pays a commencé à créer, il y a plus de 10 ans, une liste noire de journalistes considérés comme dissidents. L’an dernier, Reporters sans frontières rapportait l’arrestation de quatre journalistes travaillant pour le Xinjiang Daily sous couvert de « duplicité », un terme vague visant certains choix éditoriaux. En fin d’article, l’association rappelle à raison que la Chine occupe la 176e place du classement RSF de la liberté de la presse, avec plus de 50 journalistes emprisonnés.

La Chine, une réglementation particulière des usages des technologies

Si l’on a évoqué largement ici les usages du web et ses particularités, il est difficile de faire l’impasse sur l’approche des technologies du pays. Là où l’Europe a tendance à réguler massivement les technologies, à l’exemple de la reconnaissance faciale, la Chine aura plutôt tendance à les déployer très largement. Dans le cas de la reconnaissance faciale, elle est particulièrement utilisée dans le pays, au point que celle-ci a par exemple permis l’arrestation d’un fugitif alors que celui-ci se trouvait à un concert où plus de 60 000 personnes étaient rassemblées.

Plus globalement, plusieurs magasins utilisent la reconnaissance faciale comme un moyen de paiement, au détriment de la carte bleue par exemple. Il est d’ailleurs intéressant de noter que derrière ces technologies se cachent les groupes Tencent et Alibaba, qui ont tous deux respectivement déployé WeChat Pay et Alibaba Pay. La reconnaissance faciale est également installée à l’entrée du métro pour une expérimentation qui a actuellement lieu dans près de 18 stations. Une fois de plus, c’est Tencent qui a conçu ce système.

Utilisation de la reconnaissance faciale

© Shuttersotck

En termes de technologie, l’on peut également évoquer le cas des bébés CRISPR, un sujet qui a fait grand bruit lorsque la nouvelle a été annoncée. En novembre 2018, un chercheur chinois du nom de He Jiankui a effectivement révélé être à l’origine d’expériences ayant mené à la naissance de deux jumelles génétiquement modifiées. Lui et son équipe auraient vraisemblablement éliminé le gène CCR5 en se basant sur la méthode CRISPR afin que les bébés puissent être résistants au VIH. Pour le chercheur, il s’agit là d’une première mondiale. Rapidement, le sujet a été très controversé, mais au fil des mois, plusieurs pistes ont suggéré que le gouvernement chinois aurait pu financer ces essais.

Nul doute qu’un tel projet n’est pas sans risque lorsqu’il s’agit d’éthique scientifique, car s’il s’agit là d’une expérimentation très impressionnante, cela peut aussi être un premier pas vers l’eugénisme et une application de la méthode CRISPR façon 1984.

Des ressemblances avec le web occidental ? (Spoiler : oui)

Ce que l’on peut noter après avoir observé les usages en Chine et, surtout, les réseaux sociaux et les entreprises qui se trouvent derrière leur création, c’est aussi une ressemblance avec l’Occident.

Plus concrètement, peu d’entreprises se cachent derrière les réseaux sociaux et les technologies, comme l’on peut le voir particulièrement avec Baidu, Alibaba et Tencent, les trois premières lettres de ceux que l’on nomme les BATX. Tencent, par exemple, se cache derrière un réseau social gigantesque, une application de messagerie qui l’est tout autant, un système de paiement, mais aussi une bonne partie du secteur du jeu vidéo.

Mais n’est-ce pas aussi le cas en Occident ? Les quatre lettres utilisées pour représenter les entreprises de la tech dans cette région sont représentées par les GAFA, soit Google, Amazon, Facebook, et Apple. Rien que pour Google, l’on peut évoquer tout de suite le moteur de recherche, mais aussi sa suite (Drive, messagerie), ses objets connectés (par le biais de Nest) ou encore le cloud computing. Depuis sa création, l’entreprise a fait l’acquisition de plus de 200 sociétés, liées de près ou de loin au secteur des nouvelles technologies. Il en est de même pour Apple, qui a commencé avec des appareils purement hardware, mais qui se tourne de plus en plus vers les services, ne serait-ce qu’avec son service de streaming musical et -bientôt- vidéo. Pareil pour Amazon et son immense site de commerce, son intérêt pour la distribution alimentaire, le cloud computing, la pharmacie, les objets connectés, les drones de livraison, le streaming et autres.

L’on notera donc ces ressemblances entre ces deux territoires que tout semble opposer de prime abord : les nombreux services technologiques disponibles sont détenus par un très petit nombre d’entreprises.