Tencent a annoncé avoir investi 10 millions de dollars dans une start-up londonienne, SenSat, spécialisée dans la représentation virtuelle de lieux dans le monde réel. La société prétend pouvoir dégager la valeur d’une infrastructure industrielle, grâce à cette représentation numérique. Le nouveau capital distribué par Tencent permettra à l’entreprise de se développer et d’augmenter ses effectifs spécialisés.

Une représentation simulée de la réalité pour mieux gérer les infrastructures

Tencent va permettre à la société SenSat de tripler ses effectifs pour atteindre une équipe composée de 90 experts d’ici l’année prochaine. L’équipe sera constituée de spécialistes des données, de mathématiciens, de développeurs de logiciel et d’experts en résolution créative de problèmes. L’objectif sera d’améliorer les services proposés par la société, et de favoriser son développement à l’international.

Spécialisée dans la récupération des données en temps réel, provenant de sources variées, SenSat a pour objectif d’aider les entreprises à créer des « jumeaux numériques » pour visualiser au mieux leur projet de construction, ou d’amélioration. Les entreprises concernées travaillent généralement dans la construction, les mines, et l’énergie. L’objectif en créant ces plateformes de représentation, est de rendre le monde réel compréhensible pour les machines, et permettre la formation de systèmes d’intelligence artificielle.

Ces « jumeaux numériques » sont construits à partir de différentes données. Celles-ci peuvent provenir d’ordinateurs portables, de capteurs physiques connectés à des ressources au sol, de trafics de données d’images 3D capturées par des satellites, des lidars (radars atmosphériques à ondes laser), et des drones. Ces données sont ingérées via leur emplacement et réunies dans la plateforme de Mapp.

Fondée en 2015, la start-up est devenue l’un des plus importants fournisseurs de données de drones au Royaume-Uni. Grâce à sa licence de la Civil Aviation Authority (CAA), SenSat est en effet autorisé à conduire des drones à 12km des pilotes.

Ces plateformes virtuelles permettent non seulement de visualiser des projets, mais également de mieux les suivre. Comme l’explique l’un des fondateurs de la société, un chef de projet peut ainsi suivre en temps réel l’évolution d’un chantier alors qu’il n’est pas sur le terrain. Un bon moyen également de générer une analyse de maintenance prédictive des équipements sur le site.

Représentation digitale par SenSat

Crédit : Mapp/SenSat

Toute la difficulté cependant, réside dans l’obtention et l’analyse d’une quantité suffisante d’informations pour permettre une conversion efficace et précise. Pour améliorer la conception des plateformes virtuelles, SenSat a cartographié 17 villes britanniques, explique James Dean, (co-fondateur) de l’entreprise. Les données cartographiées permettent une meilleure détection des changements en temps réel du terrain. Elles sont ainsi en mesure de développer des algorithmes d’indexation spatiale de données volumineuses, nécessaires à la conception d’une représentation fiable. SenSat a donc tout intérêt à augmenter ses effectifs pour faciliter ces expertises.

Les sociétés liées à l’infrastructure investissent de plus en plus dans la création de plateformes « intelligentes » capables de gérer ce type de données en temps réel. James Dean prend pour exemple Cape Analytics qui a levé des fonds pour créer une plateforme permettant de relier une machine à une imagerie géospatiale, et ainsi permettre à des compagnies d’assurances de mieux évaluer des propriétés.

Un marché à prendre pour de nombreuses entreprises

Depuis quelques années déjà, Tencent fait part de sa volonté d’investir dans l’intelligence artificielle, indispensable au bon développement des futures infrastructures, d’après la firme chinoise.

« Dans le domaine de l’amélioration de la gestion des villes, il y a un grand espace qui permet aux différentes entreprises de développer et de déployer leur potentiel en termes d’IA. Chaque joueur prend sa petite part du gâteau », déclaraient les représentants de Tencent au China Daily, en 2017.

C’est ainsi qu’en 2018, Tencent créait une unité commerciale appelée « groupe des industries du cloud et intelligentes ». L’objectif étant de travailler avec des industries spécialisées dans la grande distribution, la médecine, l’éducation et les transports pour implanter peu à peu des systèmes d’intelligence artificielle dans ces domaines.

Pas étonnant, au regard de tout cela, que Tencent souhaite investir dans une société comme SenSat. Cette décision corrobore avec une autre déclaration de Tencent, qui considérait, toujours en 2017, que le Royaume-Uni, avec le Japon et la Chine sont des acteurs-clés dans cette compétition. Sans oublier bien entendu de mentionner les États-Unis, déjà en avance sur le sujet.

On constate en effet qu’un groupe comme Alphabet, à travers Sidewalk Labs a créé la société Replica, conçue pour permettre la création de « populations virtuelles », et déterminer et planifier le déplacement des personnes en ville. D’autres sociétés comme Near, ont pour objectif de rassembler l’ensemble des données nécessaires à la détermination des attributs comportementaux des personnes dans le monde réel. On trouve également des entreprises comme Streetlight Data, capables d’aider les villes à mesurer leur trafic à partir des données des applications mobiles. Ou encore PredictHQ, qui utilise des données d’évènements globaux utiles à des compagnies aériennes ou des sociétés comme Uber pour appréhender au mieux la demande en temps réel, et établir des prévisions.

D’autres mises à profit sont programmables à travers SenSat, comme l’entraînement des intelligences artificielles. La création d’un environnement virtuel permet en effet d’y intégrer des objets dotés d’intelligence artificielle, et d’établir une première confrontation au monde réel. Cette étape permet de soumettre ces objets à un entrainement intensif, et donc leur amélioration. Technique déjà utilisée par Facebook notamment, qui, pour entraîner ses robots dans le cadre de son programme Al Habitat, a conçu des plateformes de simulation. Plongés dans une maison virtuelle, les robots peuvent s’entraîner à évoluer dans l’espace en évitant les obstacles. Même chose pour OpenAI, qui pour améliorer ses agents, autrement dit des joueurs « contrôlés » par une intelligence artificielle, ont conçu des environnements pour simuler des comportements de jeu. Ces plateformes virtuelles appelées Neural MMO ont donc pour objectif d’établir des « mécanismes de jeu qui supportent des comportements complexes ». C’est ainsi que les développeurs peuvent mettre en place des équilibrages et favoriser la fusion de plusieurs serveurs pour favoriser la concurrence antre agents par exemple.

Par ailleurs SenSat qui possède déjà quelques clients aux États-Unis a fait part de ses intentions : La société compte bien développer ses contrats sur le marché américain, principalement dans le Nevada, le Texas, le Nouveau-Mexique et l’Arizona. De quoi permettre à Tencent de poser ses jalons sur le sol de l’Oncle Sam dans ce domaine.

D’une manière plus générale, ce type d’investissement peut faire écho avec une tendance relevée dans certaines études. Le pays a déclaré vouloir devenir le leader mondial de l’intelligence artificielle en 2030. Et les investissements allant dans ce sens sont nombreux dans les sociétés d’applications. Néanmoins, un domaine semblait encore faire défaut à la Chine début 2019 : la création de structures informatiques, permettant l’amélioration de l’utilisation de l’intelligence artificielle. Il semblerait que l’opération lancée par Tencent vienne contribuer à combler ce manque.