En abandonnant Twitter au profit de X, Elon Musk fait un pari très osé. En 15 ans, l’oiseau bleu est devenu partie intégrante de la culture populaire, avec un langage associé utilisé tous les jours par des millions de personnes. Avec X, le milliardaire bazarde tous les éléments qui représentaient la force de sa marque.
Une idée qui germe depuis 1999
Si elle a rapidement été mise en œuvre, la décision d’Elon Musk est loin d’être une surprise. Moins d’un mois avant qu’il ne finalise l’acquisition de Twitter, il affirmait déjà dans un tweet que « l’achat de Twitter est un accélérateur de la création de X, l’application universelle ». L’homme d’affaires n’a jamais mis sous silence sa grande ambition avec le réseau social : en faire la base d’une super application sur le modèle chinois, avec WeChat en exemple.
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Musk s’est longtemps montré admiratif de la plateforme qui permet de réaliser de nombreuses tâches en un seul et même endroit : envoyer des messages, installer des sous-applications, réaliser des paiements ou des achats, etc. Le choix du nom de cette super app, lui, était tout aussi prévisible. Le milliardaire ne s’en cache pas, il a un faible pour la lettre X. L’historique de ses entreprises et produits tend à le prouver : SpaceX, xAI, Model X… Le prénom de son plus jeune fils, X Æ A-12, est un autre exemple de cette préférence.
En 1999 déjà, il fondait X.com, plateforme de services financiers en ligne devenue PayPal, après la fusion avec une autre start-up. Avec Twitter, Elon Musk est retourné à ses prémices entrepreneuriaux et ses ambitions. Selon lui, le réseau social va permettre d’« accélérer » la mise en place de sa super application.
Et il n’aura pas perdu de temps. Le logo a déjà changé, tandis que les employés ont été amenés à se séparer de tout ce qui est lié à l’oiseau bleu dans le siège social de la société. Les noms des pièces ont également été modifiés, avec des noms comportant la lettre X comme « eXposure » ou « eXult ». Le logo historique de Twitter va être remplacé progressivement sur l’intégralité de l’interface.
Une décision radicale en temps de crise
Certains estiment que ce changement est le bienvenu et dans la logique des choses. « Je suis en paix avec cela. Le Twitter que j’ai connu et pour lequel j’ai travaillé pendant dix ans n’existe plus depuis l’acquisition, » a commenté Jean-Philippe Maheu, un ancien responsable des ventes publicitaires chez Twitter.
« Le nom Twitter avait un sens lorsqu’il s’agissait de messages de 140 caractères qui allaient et venaient, comme des oiseaux qui tweetent, mais aujourd’hui, il est possible de publier presque n’importe quoi, y compris plusieurs heures de vidéo, » justifie Musk. Depuis son rachat, l’homme d’affaires a apporté de nombreux changements à la plateforme. Il a, entre autres, allongé la longueur des tweets, assoupli la politique de modération et réimaginé le service par abonnement Twitter Blue. Twitter n’est plus ce qu’il était et disparait derrière ce nouveau nom.
Linda Yaccarino, fraîchement nommée PDG pour renouer avec les annonceurs, a salué « l’état d’esprit inventeur » de Twitter. Dans une note envoyée à ses employés, elle fait elle aussi allusion à une super application : « Notre taux d’utilisation n’a jamais été aussi élevé et nous continuerons à ravir l’ensemble de notre communauté avec de nouvelles expériences dans les domaines de l’audio, de la vidéo, de la messagerie, des paiements et des services bancaires, créant ainsi un marché mondial pour les idées, les biens, les services et les opportunités ».
Musk a également mentionné l’ajout prochain de « communications complètes » et la possibilité de gérer tout un « univers financier ». Twitter s’est inscrit en novembre auprès du Trésor américain en tant que processeur de paiements. La firme a déjà commencé à demander certaines des licences d’État dont elle aurait besoin pour se lancer.
Avec Twitter… plutôt X, Elon Musk reste fidèle à son projet de départ, mais à quel prix ? Depuis qu’il a pris la tête du réseau social, près de la moitié de ses plus importants annonceurs ont quitté le navire. La situation est critique : les revenus publicitaires de la plateforme ont réduit de 50 %, et il n’est pas certain que l’émergence de X n’emballe les acteurs de la publicité.
Les nombreux défis qui attendent X
Si les changements de nom sont communs, Facebook étant devenu Meta en 2021, les produits gardent en général leur appellation de base. Il en est de même pour Google, qui est devenu Alphabet il y a six ans. La décision radicale de Musk a ainsi fait disparaître entre 4 et 20 milliards de dollars de valeur à la marque Twitter, selon les analystes et les agences de marque. « Il a fallu plus de 15 ans pour gagner autant d’argent dans le monde entier, et la perte de Twitter en tant que nom de marque est donc un coup financier important », assure Steve Susi, directeur de la communication de marque chez Siegel & Gale.
Par ailleurs, l’intégration de services bancaires et de paiements dans l’application nécessitera la confiance des clients. Ceci est d’autant plus vrai que la marque choisie, X, donne une idée assez vague du produit qu’elle définit, et cette lettre est surtout associée à un type de sites Web bien précis. Les annonceurs ont, eux aussi, besoin de connaître le message de X avant de diffuser des publicités sur la plateforme.
Le changement de nom pourrait en outre poser d’importants problèmes juridiques et financiers à l’entreprise. Bien qu’assez abstrait, des centaines de firmes, dont Microsoft et Meta, possèdent des marques déposées pour des variantes de X… L’entreprise devra aussi franchir de nombreux obstacles réglementaires et obtenir l’approbation de plusieurs gouvernements pour proposer des services financiers. Compte tenu de la méfiance des régulateurs à l’égard d’Elon Musk, la tâche s’annonce ardue.
Il détient tout de même un argument de taille : sa marque personnelle. Le milliardaire compte de très nombreux fans enthousiastes. Malgré tout, le risque pris est considérable. Les concurrents de Twitter restent en embuscade : tandis que Mastodon continue de gagner des abonnés, Threads a enregistré la plus importante croissance de l’Histoire pour une application grand public.