Ce mercredi 31 mai, des dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne se sont rencontrés dans le cadre du Trade and Technology Council (TTC). Intelligence artificielle (IA), semi-conducteurs, informatique quantique… Des thématiques considérées comme clés pour l’avenir ont été abordées par les deux parties. Objectif : discuter de mesures communes et de collaboration sur des questions cruciales, dans un contexte géopolitique complexe.

Renforcer les liens stratégiques et commerciaux entre l’Europe et les États-Unis

Le TTC, fondé en 2021, vise à coordonner les approches européennes et américaines sur les principales questions commerciales, économiques et technologiques mondiales, ainsi qu’à approfondir les relations économiques transatlantiques sur la base de « valeurs communes ». Il s’agit d’un enjeu majeur à l’heure où les États-Unis et la Chine sont engagées dans une guerre commerciale qui s’intensifie depuis de nombreux mois, affectant la chaîne d’approvisionnement mondiale. « Nous reconnaissons que l’évolution de l’environnement international exige un renforcement de la coopération et de l’échange d’informations afin d’identifier les défis qui affectent notre sécurité économique et d’y répondre », affirme le communiqué conjoint.

Durant la rencontre, de nombreuses thématiques ont été évoquées, à commencer par l’intelligence artificielle. Depuis le lancement de ChatGPT en novembre 2022, cette technologie est scrutée de très près par les régulateurs.

Une coopération sur l’IA, mais des avis qui divergent

Reconnaissant que l’IA « est une technologie transformatrice très prometteuse pour la population, qui offre des possibilités d’accroître la prospérité et l’équité », le TTC estime qu’elle comporte également de nombreux risques. Afin de faire face à ces défis, un plan d’action conjoint a été mis en place, comprenant la création de trois groupes d’experts se concentrant sur la terminologie et la taxonomie de l’IA, la coopération sur les normes et les outils pour une IA « digne de confiance », ainsi que la surveillance et la mesure des risques qu’elle pose.

L’IA représente un point de friction potentiel entre les deux entités. De son côté, l’Union européenne travaille activement au développement de l’AI Act, une législation qu’elle estime pionnière pour encadrer les usages de l’intelligence artificielle et espère voir devenir une norme mondiale. Le son de cloche n’est pas le même de l’autre côté de l’Atlantique. Les entreprises leader du secteur, OpenAI, Microsoft et Google, appellent à une réglementation qui n’entravera pas à l’innovation. Si les responsables américains admettent qu’un encadrement est nécessaire, ils restent très réservés, considérant que des mesures trop strictes représenteraient un danger pour l’innovation et surtout, pour la compétitivité américaine.

Sam Altman, le PDG d’OpenAI, a pris la parole devant le Congrès en proposant des mesures de régulation, tandis que la vice-présidente Kamala Harris a rencontré les dirigeants de plusieurs entreprises éminentes du secteur. Pour l’heure néanmoins, Washington est bien moins avancé que Bruxelles sur la question, et il n’est pas certains qu’elle soit en accord total avec les nombreuses règles contenues dans l’AI Act. La semaine dernière, Altman n’hésitait pas à menacer de quitter le marché européen, évoquant la dureté de la future législation. Il est ensuite revenu sur ses propos.

États-Unis et UE se félicitent de leurs Chips Act respectifs

Le TTC a également abordé l’épineux sujet des semi-conducteurs. Ces composants, présents dans tous les appareils électroniques ainsi que dans les véhicules connectés, ont subi une pénurie mondiale pendant la pandémie, mettant en lumière leur importance capitale pour les grandes puissances, qui veulent désormais contrôler toute leur chaîne d’approvisionnement. La maîtrise de leur fabrication, leur disponibilité et leur évolution sont essentielles pour les entreprises et les pays cherchant à rester compétitifs sur le plan économique et technologique.

Afin de freiner les ambitions industrielles chinoises, les États-Unis ont imposé de lourdes restrictions sur les exportations de semi-conducteurs vers le pays, et ont enjoint leurs alliés à leur emboîter le pas. En amont, l’administration Biden a adopté le Chips and Science Act. Le texte prévoit 52,7 milliards de dollars d’aides à l’industrie du semi-conducteurs, dont environ 39 milliards de subventions directes pour renforcer la production locale. Face à cette initiative, l’Union européenne a dégainé son propre Chips Act. En cours d’adoption, il prévoit de doubler la part de marché de l’UE dans le secteur d’ici à 2030 pour la faire passer à 20 %.

Les membres du Conseil estiment que « les investissements dans les semi-conducteurs dans les deux juridictions sont mutuellement bénéfiques ». Ils affirment que la hausse de ces investissements dans chacun des territoires permet d’augmenter « la résilience des chaînes d’approvisionnement » des deux côtés de l’Atlantique. Les États-Unis comme l’Union européenne se « félicitent » de leurs initiatives respectives, et annoncent des efforts communs pour « créer un écosystème solide pour la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs, depuis les matières premières jusqu’à l’emballage ».

Une task force conjointe sur les technologies quantiques

Autre technologie, cette fois d’avenir, l’informatique quantique a aussi fait l’objet de discussions pendant le TTC. Ses participants ont annoncé la création d’une task force « chargée de répondre aux questions en suspens sur la coopération scientifique et technologique dans le domaine des technologies quantiques ». Les promesses de l’informatique quantique sont nombreuses et potentiellement révolutionnaires. Il s’agit toutefois d’un domaine qui n’en est qu’à ses prémices malgré quelques avancées notables ces derniers mois. En février, des chercheurs de chez Google sont parvenus à réduire le taux d’erreur d’un ordinateur quantique pour la toute première fois.

La task force va se concentrer sur plusieurs aspects importants qui entourent la technologie, tels que le cadre des droits de propriété intellectuelle applicable, l’identification des composants critiques, la normalisation, l’établissement de références pour les ordinateurs quantiques et les problématiques liées au contrôle des exportations.

Une 6G sans la Chine ?

Enfin, le TTC a annoncé l’accélération de la coopération entre l’UE et les États-Unis pour « développer une vision commune et une feuille de route industrielle sur la recherche et le développement des systèmes de communication sans fil 6G ». Cette dernière devrait devenir le réseau prédominant aux alentours de 2030, et la bataille concernant son déploiement risque de faire rage autant que pour celui de la 5G. L’installation des équipements 5G a, et continue, de refléter les tensions géopolitiques, avec de nombreux pays alliés des États-Unis qui interdisent les technologies du géant chinois Huawei au sein de leurs réseaux. Encore récemment, le Portugal, qui entretient de bonnes relations avec la Chine, a entamé les démarches pour interdire Huawei des équipements 5G de son territoire.

L’arrivée de la 6G s’annonce tout aussi mouvementée. Les États-Unis et l’Union européenne semblent vouloir travailler en excluant la Chine, évoquant des partenariats avec des acteurs mondiaux « animés du même esprit », afin de développer des technologies 6G « conformes à nos valeurs ». Pourtant, l’Empire du Milieu est le pays qui détient le plus de brevets liés à la 6G, avec Huawei en tête. L’obtention de brevets dans les technologies de communication sans fil fait d’ailleurs partie de sa stratégie pour contourner les sanctions américaines qui ont lourdement fragilisé son activité dans le secteur des smartphones.

Deux scénarios se dégagent de ces déclarations. Soit deux normes 6G sont développées, ce qui serait une première, soit les différentes entités décident de coopérer pour déployer le réseau. Le Conseil semble toutefois clair, l’objectif des États-Unis et de l’UE est de « créer une masse critique de partenaires partageant les mêmes idées au sein des organismes mondiaux de réglementation et de normalisation ». S’il semble difficile de totalement écarter la Chine du développement de la 6G compte tenu de ses atouts techniques, les pays occidentaux paraissent décidés à faire plier l’Empire du Milieu.

« Nous sommes déterminés à continuer d’exploiter pleinement ce forum de coopération afin d’approfondir le partenariat transatlantique et de relever les défis qui se présentent à nous », conclut le Conseil. Alors que la guerre est de retour en Europe et que la menace d’une invasion plane sur Taïwan, les États-Unis et l’UE consolident leurs liens commerciaux et stratégiques. Leur but : « renforcer les dépendances et accroître notre préparation collective mutuelle, notre résilience et notre dissuasion face à la coercition économique ».