Durant des années, les entreprises de la tech chinoises ont bénéficié d’une absence de réglementations qui leur assurait une insolente liberté d’action et prospérité. La réussite d’Alibaba, Tencent, Huawei, ByteDance, ou Baidu, les a élevées au rang de fierté nationale, mais depuis plusieurs mois, Xi Jinping siffle la fin de la récréation. Des lois sont élaborées pour recadrer les géants du numérique et encadrer de nombreux secteurs. Avant même leur entrée en vigueur, les sanctions et le contrôle de Pékin s’intensifient sur la tech en Chine.
Aux origines
• Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine depuis le 14 mars 2013, connaît bien le secteur technologique de son pays. Il a dirigé le PCC du Zhejiang de 2002 à 2007, province qui a vu naître Alibaba.
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• Le 11 mars 2018, les députés enterrent la limite de deux mandats présidentiels. Xi Jinping peut légalement être président à vie. Il doit obtenir sa réélection lors du XXe congrès du PCC, à l’automne 2022.
• Jack Ma, charismatique fondateur d’Alibaba tient un discours critique sur les autorités de régulation financière du pays le 24 octobre 2020. Il estime qu’elles bloquent l’innovation en Chine.
• Attendue en novembre 2020 comme la plus grosse entrée sur les marchés financiers de l’histoire, Xi Jinping annule l’introduction en Bourse d’Ant Group, branche financière d’Alibaba. Jack Ma disparaît temporairement.
Le résumé
• Entre octobre et novembre 2020, de nouvelles règles anti-monopole sont annoncées et mises en place.
• Une enquête est ouverte contre Alibaba. Elle débouche en avril 2021 sur la plus forte amende pour abus de position dominante en Chine. Elle atteint 2,3 milliards d’euros, soit 4% du chiffre d’affaires de l’entreprise en 2019.
• L’Administration d’État pour la régulation du marché (SAMR) ouvre une enquête sur Didi Chuxing en juin 2021. L’entreprise force l’entrée en Bourse à New York le 30 juin. Depuis, l’application a été suspendue des magasins d’applications en Chine avec 25 autres services de l’entreprise.
• Le 10 juillet, l’Administration du cyberespace impose un examen de sécurité avant introduction en Bourse aux entreprises disposant de données sur plus d’un million d’utilisateurs.
• La loi de protection des informations personnelles et la loi sur la sécurité des données, annoncées en octobre/novembre sont votées en août 2021 et entreront en vigueur d’ici la fin 2021.
• La première est comparée au RGPD, car sévère sur l’utilisation des données personnelles. La seconde est stricte sur les transferts de données à l’étranger et pourrait entraver les introductions en Bourse hors des frontières chinoises.
• La Chine s’inquiète de la mauvaise influence du jeu vidéo sur ses enfants. Tencent, leader mondial du secteur, utilise la reconnaissance faciale, pour maîtriser le temps de jeu, limité à trois heures par semaine pour les mineurs. Qualifiés “d’opiums virtuels” par un média officiel début août. Ils sont considérés comme un risque d’addiction et pour la moralité des plus jeunes.
• L’éducation privée a été fauchée en pleine ascension en juillet. Les entreprises du secteur doivent devenir des entités à but non lucratif et toute nouvelle structure est interdite. De nombreuses d’entre elles, placées en Bourse, ont vu leurs cours plonger.
• Peu après les 100 ans du PCC, fêté en juillet, Xi Jinping a donné un nouveau mot d’ordre: la “prospérité commune”. Pour le moment il s’agit d’une philanthropie très encouragée. Les géants du numérique ciblés depuis un an ont été les premiers à donner, presque exclusivement dans les secteurs désirés par le gouvernement.
Notre regard
• Les géants du numérique ont été sanctionnés, menacés, mais leur disparition ou nationalisation n’ont pas été dans les plans de Pékin comme on a pu le lire. La puissance des milliardaires de la Tech chinois et de leurs entreprises a fini par échauder Pékin, il est l’heure de la reprise en main.
• Cette reprise en main n’est pas forcément négative. La gestion totalement anarchique des données, les abus et fuites des grandes entreprises ont eu le don d’agacer la population chinoise. La protection mise en place par le gouvernement comble une lacune réelle.
• Sur le volet FinTech, Ant Group s’est enrichie en faisant avec des prêts, laissant le risque de défaut de paiement aux banques, mais en gardant les bénéfices. Une vulnérabilité pour l’économie chinoise, qu’il fallait absolument encadrer.
• La manière est autoritaire, mais toutes les mesures prises ne le sont pas. Elle vise à dresser très rapidement une législation adaptée aux enjeux numériques. Un seul grand absent de ces nouvelles réglementations : l’État. Il peut continuer à exploiter les données comme il le souhaite. Il a accentué son contrôle sur le secteur privé et ressort comme le grand gagnant de la situation.
À quoi faut-il s’attendre ?
• Pékin a besoin de ses géants, incontournables dans sa course technologique avec les États-Unis. Dans le propre intérêt chinois, il y a une ligne à ne pas franchir : fragiliser irrémédiablement ses champions.
• Une fois un contrôle plus ferme acquis sur ces entreprises privées et leurs données, il y a tout lieu de croire que la situation réglementaire se stabilise.
• Il ne faut pas oublier que l’objectif de Xi Jinping est politique. Symbole de la nouvelle politique de réduction des inégalités, les géants du numérique continueront à être sollicités par l’État et donc contrôlées, au moins jusqu’en 2022, plus probablement de façon pérenne.