Depuis un an, une partie des professions tertiaires a basculé en télétravail, non sans difficultés. Multiplication des canaux de communication, overdose de visioconférences – et la naissance du néologisme de la “zoom fatigue” – manque de lien social… Pour autant, le télétravail semble devenir une nouvelle norme : outre-Atlantique, de nombreuses entreprises comme Spotify ont annoncé vouloir perpétuer le travail à distance même après la fin de la pandémie. En novembre dernier, Virginia Rometty, ancienne PDG d’IBM, prédisait que le télétravail résisterait à l’arrivée d’un vaccin et de notre retour à la “normalité”. Depuis plusieurs années, la réalité virtuelle et la réalité augmentée s’immiscent dans le quotidien : dans le domaine des jeux vidéo, de l’art… et plus récemment, du travail. En effet, de nombreuses entreprises spécialisées dans la réalité virtuelle profitent de la normalisation du télétravail pour développer leurs services, et ainsi réinventer la manière de concevoir le travail à distance.
Les termes de réalité virtuelle et de réalité augmentée sont souvent utilisés pour désigner une multitude de services. La réalité virtuelle permet ainsi de plonger dans un monde artificiel créé numériquement, souvent au moyen d’un casque qui utilise un système d’affichage qui recalcule en temps réel les images pour les synchroniser avec la direction du regard. Ces espaces immersifs sont ainsi souvent à 360 degrés, permettant une immersion totale. Mais il serait dommage de la limiter à l’image du casque. « Cela peut être un monde qui est filmé, animé, joué… Et avec la réalité virtuelle sociale, les plateformes peuvent aussi être par ordinateur, ce qui ressemble plus à un jeu vidéo classique » explique Maud Clavier, pionnière dans l’industrie de la réalité virtuelle et qui travaille chez VRROOM, où elle organise des événements sur des plateformes de réalité virtuelle sociales.
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Le marché de la réalité virtuelle n’est pas nouveau, mais les dernières années ont été décisives pour le secteur. « Avec l’arrivée des casques grand public, ça a ouvert d’autres marchés » nous confirme Thomas Serrurier, directeur marketing de TechViz, société éditrice de logiciels de réalité virtuelle à destination de bureaux d’études. Car si le marché des casques de réalité virtuelle a baissé en 2020 en raison de la pandémie, ce serait pour mieux rebondir, selon l’étude menée par IDC : l’avenir serait donc à la réalité virtuelle, avec une croissance prévue de plus de 46% en 2021.
L’Infinite Office, le bureau en réalité virtuelle pensé par Facebook.
Image : Facebook / Youtube
Un outil déjà utilisé dans certains secteurs
Dans certains secteurs d’activité bien spécifiques, la réalité virtuelle est déjà à l’œuvre depuis plusieurs années, comme nous l’explique Thomas Serrurier, qui travaille notamment avec des entreprises de l’aéronautique ou d’architecture. « C’est un moyen d’éviter des maquettes physiques, ça permet de gagner du temps, d’avoir une mise sur le marché plus rapide », explique-t-il. Les solutions de réalité virtuelle sont particulièrement adéquates sur des projets architecturaux, où les collaborateurs sont situés dans différents pays, et où des modifications peuvent être ajoutées en temps réel. « Avec des solutions comme les nôtres, l’architecte peut emmener son client à l’intérieur de son futur bâtiment, lui expliquer la démarche, faire ses retours etc. » ajoute le directeur marketing.
Même son de cloche du côté de chez Varjo, entreprise finlandaise spécialisée dans les outils de réalité virtuelle et augmentée à usage professionnel. « Beaucoup de choses que nous faisons actuellement en 2D peuvent être déplacées vers un environnement 3D immersif : concevoir des futurs produits avec des outils de CAO normaux, tout en voyant le changement en temps réel, que ce soit la conception d’une voiture ou d’un téléphone pour un designer industriel, ou l’ensemble de la pièce ou du bâtiment dans le cas d’un architecte » énumère Urho Konttori, co-fondateur de Varjo. L’entreprise travaille notamment avec Boeing, Siemens, Dassault Aviation, Volvo ou KIA.
Des solutions qui se démocratisent aussi dans les domaines de la formation, des ressources humaines ou de la recherche scientifique. En 2018, l’entreprise Walmart s’était dotée de casques Oculus pour former ses employés. Varjo propose ainsi d’utiliser la réalité virtuelle pour former les professionnels de santé avec l’anatomie 3D, ou même… des pilotes. « Nos casques mettent les pilotes d’hélicoptère, d’avion ou même de vaisseau spatial dans le bon état d’esprit au moment où ils entrent dans la simulation de réalité virtuelle ou mixte – devenant instantanément pleinement engagés dans leur formation » explique Urho Konttori. Des solutions de formations qui sont selon lui faciles, et qui s’adaptent aux rythmes des pilotes en formation.
En 2018, Walmart a acheté 17 000 Oculus Go pour former ses employés avec la réalité virtuelle. Photographie : Walmart.
La réalité virtuelle pour recréer du lien et de l’informel
« Aujourd’hui, on a une clientèle plus large parce que les solutions sont moins chères. De plus en plus d’entreprises comme des PME peuvent avoir accès à des solutions de VR » explique Thomas Serrurier de TechViz. Avec la démocratisation des outils de réalité virtuelle, ces derniers se déclinent de plus en plus au travers d’espaces de travail collaboratifs. « À l’avenir, vous pourrez téléporter virtuellement vos collègues dans l’espace physique où vous vous trouvez en recréant une version virtuelle de celui-ci » prévoit même Urho Konttori de Varjo.
Pour Maud Clavier, la réalité virtuelle sociale, sous forme de mondes virtuels dans lesquels on retrouve ses amis, ou ses collègues sous forme d’avatars, représente une plus-value immense à l’heure des visios à rallonge. « Je me retrouvais avec des dizaines de personnes autour d’un bureau, on pouvait montrer nos powerpoint et travailler ensemble, soit se retrouver pour discuter. Mais le fait d’avoir un casque de VR et avoir la sensation de présence de ses collègues, c’est énorme, et ça crée un peu plus d’intimité que lors d’un Zoom » raconte-t-elle. Engage, Glue, Meetin VR, Rumii… Les plateformes collaboratives sont nombreuses, et se multiplient.
Au-delà de la présence, il y a l’attention et l’engagement global permis par la réalité virtuelle. « Une réunion dans un cadre immersif peut être beaucoup plus engageante qu’une réunion via un écran d’ordinateur. Vous pouvez voir vos collègues, vos objets virtuels, votre vrai clavier et votre souris en ultra-haute résolution et interagir avec eux en temps réel, en serrant leurs mains virtuelles et en clignant des yeux avec votre avatar » insiste Urho Konttori. Mais également, retrouver les moments informels autrefois formés autour de la machine à café ou d’un verre après le travail. Récemment, Maud Clavier a participé à l’élaboration de l’édition virtuelle 2021 du festival de cinéma et de musique South by Southwest (SXSW), et travaillait avec une équipe située aux États-Unis. « Nos appels étaient assez sérieux, mais dès qu’on était sur la plateforme VRChat, qui permet de changer d’apparence, on prenait la forme de Mini Yoda ou Winnie l’Ourson. Ça crée de l’informel. Je trouve que j’ai un lien très amical avec eux, que je n’aurai pas eu si ça s’était passé sur une plateforme plus conventionnelle » raconte-t-elle.
Entre le virtuel et le réel, trouver l’équilibre
Maud Clavier l’affirme : « tous les utilisateurs de Zoom peuvent être des utilisateurs de réalité virtuelle pour travailler ». Et les avantages seraient nombreux : le team building, les moments de construction de projets, une meilleure concentration qu’en visioconférence… Même Facebook a lancé son bureau virtuel en septembre dernier. Pour autant, d’ici quelques années, enfilerons-nous notre casque de réalité virtuelle pour nous rendre en réunion ?
Même si les casques se démocratisent, il faut compter 349€ pour l’Oculus Quest 2, à plus de 1300 euros pour des modèles plus spécialisés. Un coût non négligeable, mais qui se rentabiliserait. « Pour la dernière édition du SXSW, la majorité de nos utilisateurs avaient le Quest, davantage que de gens qui suivaient le festival virtuel sur PC. Les gens achètent des casques pour plusieurs évènements, puisqu’ils ne payent pas le prix fort » explique Maud Clavier. Pour autant, les casques restent encore assez lourds et encombrants.
Reste à savoir si la réalité virtuelle rentrera dans les prochaines années dans les mœurs. Pour Varjo, cela ne fait pas de doute. « Nous pensons que le futur environnement de travail sera immersif. Nous prévoyons que d’ici 2025, les réunions immersives seront aussi naturelles et intuitives que lorsque vous rencontrez des personnes en face à face, de sorte que vous n’avez plus à vous rendre à l’autre bout de la planète pour des réunions d’affaires » déclare Urho Konttori.
Pour Maud Clavier, il faut davantage voir la réalité virtuelle comme complément que comme une substitution aux environnements réels. « Au moins un meeting par semaine, que ce soit de l’informel ou du formel, mais en complément : il est assez difficile de rester plus d’une heure avec un casque », explique-t-elle. Les réunions par avatars interposés ne semblent donc pas si utopiques.