80 millions de dollars. C’est la somme astronomique qu’a levée la start-up française OpenClassrooms à la fin du mois d’avril 2021. Avec le passage en distanciel, le domaine de l’éducation en ligne a connu une année 2020 prospère. “Il s’agit d’une étape importante dans l’histoire d’OpenClassrooms, nous sommes très fiers. Rendre l’éducation accessible, cela signifie aussi être capable de faire passer nos opérations à l’échelle supérieure, de recruter et de former plus d’étudiants” a expliqué au Siècle Digital Pierre Dubuc, PDG et cofondateur d’OpenClassrooms. Une croissance symptomatique de l’engouement du public pour les formats des cours à distances, webinaires et autres MOOCs (pour Massive Open Online Course, ou “cours en ligne ouverts à tous” en VF).

Si pour certains le confinement a été l’occasion de se mettre à faire son pain soi-même, ou à devoir concilier vie familiale et vie professionnelle en jonglant entre télétravail et école à la maison, pour d’autres la période a fait fleurir des envies d’apprentissage. Comme pour Louise, 26 ans, qui travaille dans les relations presse et la communication, qui a suivi un module sur l’expression orale à distance. “C’était une initiative de formation avec mes collègues, notamment parce que j’avais souvent des présentations orales et je voulais avoir quelques conseils” raconte-t-elle. Dans son entreprise, quelques heures par semaine sont consacrées à l’autoformation, mais le contexte du télétravail lui a permis d’aborder ce module de manière “plus sereine, à mon rythme”. En parallèle, Louise a suivi une formation pour maîtriser Illustrator, et ainsi ajouter des cordes à son arc professionnel.

Entre reconversion et montée en compétences, le renouveau des cours en ligne

Formations courtes ou longues, diplômantes ou non, en direct ou en replay… Il y a autant de cours à distance que d’envies. Par exemple, OpenClassrooms affiche plus de 600 cours en ligne, gratuitement. D’autant que durant ces différents confinements, de nombreux secteurs d’activité ont été à l’arrêt, faisant naître parfois des envies de changement ou d’approfondissement de compétences. Car au-delà des demandeurs d’emploi et des plus jeunes qui entrent sur le marché du travail, Pierre Dubuc pointe un nombre important de salariés qui veulent monter en compétences ou qui souhaitent se reconvertir.

Ce que la crise sanitaire a accentué, c’est avant tout une quête de sens, notamment dans le domaine professionnel. “La pandémie a donné à beaucoup de personnes l’envie, le temps, la nécessité de réfléchir sur le sens de son travail. Par le biais de cette réflexion, peut-être qu’il y a eu des constats sur des envies d’apprendre, de changement” observe Marie Delmont, dirigeante associée de la société MPI Conseil, spécialisée dans le conseil en ressources humaines. Si cette recherche de sens au sein de sa vie professionnelle n’est pas nouvelle, elle s’est accélérée avec la crise sanitaire. “Nous observons qu’on va vers une prise de conscience accrue des besoins et une nécessité de se former tout au long de sa vie : apprendre de nouvelles compétences, de façon continue, tous les ans, apprendre à changer de métier pour s’adapter” note quant à lui Pierre Dubuc.

C’est le cas de Julie, qui après la fin de son apprentissage dans le domaine de la cuisine, s’est tournée vers une formation en création d’entreprise puis en stratégie marketing digital, le tout financé par son compte personnel de formation (CPF) et des aides de sa région. “Ayant déjà un projet d’entreprise qui avait mûri, j’ai décidé de suivre la formation en me disant que ça n’engageait pas à grand-chose et que les choses apprises ne seraient jamais perdues », explique-t-elle.

Des formations qui permettent parfois d’obtenir des diplômes accrédités par l’État. Chez OpenClassrooms, qui offre une cinquantaine de parcours diplômants, “cela mène à un emploi garanti pour l’étudiant : si ce dernier ne décroche pas un emploi dans son domaine de formation dans les six mois suivant son diplôme, la totalité de la formation lui est remboursée” garantit Pierre Dubuc. Selon le PDG, la crise sanitaire a accéléré le modèle de formation complètement en ligne, en levant certains verrous culturels : “tout le monde a compris qu’il était possible de se former à distance. J’estime à 5 ans le temps que nous avons gagné dans la transformation de nos usages”. Et peut-être d’attirer un nouveau public vers ces formations ?

capture d'écran de la page d'accueil d'OpenClassrooms

La page d’accueil d’OpenClassrooms.

“Le temps de formation est un temps pour soi”

“Pour moi, se former à distance était surtout d’essayer de trouver des moyens de s’occuper et de ne pas perdre son temps dans une période où il n’y a pas d’emploi, en pensant à mes besoins professionnels futurs” explique Julie. Cette démarche de formation, qu’elle provienne de l’entreprise ou d’une démarche personnelle, a un véritable impact selon Marie Delmont. “Le temps de formation est un temps pour soi, qui peut être vécu comme un temps de pause dans un rythme de travail un peu effréné. C’est un temps où on peut prendre du recul dans sa pratique professionnelle, peu importe les sujets, où on peut nourrir un besoin d’apprentissage », explique-t-elle. D’où l’importance de maintenir des cycles de formation, y compris à distance. “On ne va pas y trouver la même chose, mais on a quand même la possibilité de faire des choses interactives” souligne-t-elle.

D’autant que le format en distanciel peut avoir de nombreux intérêts, comme l’explique Antoinette, qui travaille dans les ressources humaines : “il y a l’avantage du replay, on peut visionner les cours quand on le souhaite, accélérer des passages… C’est vraiment cette autonomie, en plus d’éviter de se déplacer et donc de gagner du temps”. Même écho chez Louise, pour qui cette autoformation est un pas dans son avenir professionnel. “C’est moins interactif que des ateliers en présentiel, mais c’est un format adapté, et qui permettait d’aller à son rythme”.

Pour les formateurs qui ont basculé en distanciel, il a fallu s’adapter. “On a adapté les formats, les durées, les contenus… J’ai proposé de couper mes formations en deux, par demi-journées, pour justement prendre ce temps de digestion” explique Marie Delmont. Car pour beaucoup de télétravailleurs, le passage au distanciel s’est fait de manière brutale, augmentant le rythme de travail et le temps d’écran. “Ils sautent d’une réunion à une autre, il n’y a plus de temps informel à la machine à café, donc on arrive parfois à une forme d’indigestion du distanciel et de l’écran” analyse la dirigeante associée de MPI Conseil. Ainsi, lors de ses formations, elle a beaucoup insisté sur l’interactivité, et l’expression des ressentis et humeurs de chacun. “On m’a remerciée d’avoir demandé “comment ça va, véritablement ?”. C’était important de prendre ce temps”, ajoute-t-elle.

Présentiel ou distanciel, telle est la question

Pour autant, cette avalanche de MOOCs, webinaires et cours en ligne est-elle amenée à se pérenniser ? Avec l’accélération de la vaccination et les mesures de déconfinement, le retour en présentiel semble imminent. Selon Pierre Dubuc, la crise sanitaire a signé un cap dans la démocratisation des formations et des cours en ligne. “Nous ne pourrons pas faire marche arrière. Les usages ont évolué et le secteur va progressivement se structurer. D’après le World Economic Forum, il va falloir former un milliard de personnes sur les compétences digitales d’ici 2030, soit un tiers de la main-d’œuvre mondiale. La formation digitale va être l’une des briques les plus importantes de cette transition” estime le PDG et cofondateur d’OpenClassrooms.

Si le télétravail a transformé durablement nos cultures, Marie Delmont prédit quant à elle des formats hybrides ou mixtes, où le présentiel s’articule avec des moments en distanciel. “Grâce au distanciel on peut réunir différentes personnes sans être limité en capacité d’accueil, avec un gain de temps de transports, pour intervenir avec des personnes à l’autre bout du monde… Mais je pense qu’il y a un besoin d’équilibre et de retrouver du lien en physique” explique-t-elle. Si on ne connaît pas encore l’impact à long terme du télétravail sur la santé des travailleurs, beaucoup pointent depuis plusieurs mois une “Zoom fatigue”, à force de visioconférences… et cherchent même des moyens d’y échapper. “Les avantages d’une formation en présentiel, c’est vraiment de pouvoir échanger sur ses pratiques, d’avoir des moments informels. Être devant un écran toute la journée, c’est épuisant” ajoute Antoinette, qui défend aussi cette idée de formations mixtes.

Pour Julie, ses deux formations en poche, l’expérience est plus que positive. “Ces formations m’ont permis de me revaloriser personnellement en pleine recherche d’emploi. Elles ont aussi permis d’appuyer mes compétences et de me motiver dans mon projet” raconte-t-elle. Une manière de s’armer dans son projet de création d’entreprise. Du côté d’OpenClassrooms, Pierre Dubuc et son équipe ne comptent pas s’arrêter là : “d’ici 2025, notre objectif est de former et de placer dans l’emploi un million de personnes chaque année”. Une ambition pour passer de l’écran à la réalité.

Si les prochains mois devraient être ceux du déconfinement, et donc du retour en présentiel avec l’accélération de la campagne vaccinale, la culture du distanciel risque de s’ancrer durablement dans notre rapport au travail. Reste à savoir si à l’avenir, les webinaires ou autres MOOCs auront toujours autant de succès.