Les preuves de la présence d’eau sur Mars par le passé sont nombreuses. Les observations de la surface révèlent ce qui ressemble à des ancêtres de lacs et de rivières, les relevés géologiques et atmosphériques montrent bien que de l’eau liquide a coulé sur la planète aujourd’hui rouge il y a quelques milliards d’années. Sans compter les plaques de glace toujours visibles aujourd’hui. Mais une question demeure sans réponse : comment Mars est-elle devenue le désert aride exploré aujourd’hui uniquement par quelques robots terrestres ?
Une étude parue dans la revue Science propose une réponse à cette question : « Ce que nous avons montré », raconte à Siècle Digital la principale autrice Eva Scheller, doctorante au California Institute of Technology, « c’est que la quasi-totalité de l’eau aurait été absorbée dans la croûte suite à un long processus d’assèchement. » Une conclusion qui contredit des études précédentes selon lesquelles au contraire, l’eau se serait évaporée dans l’espace.
Avant de rentrer dans le détail de ces théories, il faut parler de la principale donnée utilisée pour arriver à ces résultats : le deutérium. Il s’agit d’un isotope de l’hydrogène, c’est-à-dire une variation de l’atome qui a la particularité d’être deux fois plus lourd que son modèle. Contrairement à l’hydrogène, il possède un neutron, ce qui augmente considérablement sa masse. Concrètement, lorsqu’il est mélangé avec de l’oxygène, il forme de l’eau lourde, une substance rare sur Terre à l’état naturel qui est notamment utilisée dans les réacteurs nucléaires.
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L’eau lourde : la clé de l’assèchement de Mars
Mais qu’est-ce que cela a à voir avec Mars ? Et bien cette eau lourde met plus longtemps à s’évaporer, ce qui signifie qu’en regardant l’évolution du ratio entre le deutérium et l’hydrogène, il est possible de savoir si le corps observé a connu ou non un assèchement. Par exemple sur Vénus, le ratio est 120 fois plus élevé que sur Terre, le deutérium est clairement surabondant par rapport à l’hydrogène, ce qui signifie que l’hydrogène qui devait être présent au départ sur la planète a presque complètement disparu.
Sur Mars, l’écart est moins grand, mais il y a tout de même un ratio 5 fois supérieur à celui observé sur Terre, ce qui traduirait le même phénomène. De plus, des météorites martiennes plus anciennes montraient un ratio plus proche de celui observé sur la planète bleue, ce qui laisse penser que quelques milliards d’années auparavant, Mars ressemblait beaucoup plus à la Terre avec une plus forte présence d’hydrogène, et donc d’eau liquide « normale ». Toutes ces données ont conduit à la création de plusieurs modèles pour expliquer la disparition de l’eau qui ont conclu que l’hydrogène s’était évaporé dans l’espace et qu’il restait sous la surface des réservoirs d’eau encore intacts.
Pour Eva Scheller le compte n’y est pas : « Mars aurait contenu suffisamment d’eau pour recouvrir toute la planète d’un océan profond de 100 à 1500 mètres, et la perte atmosphérique observée ne correspond pas à une telle fuite. Il y a donc beaucoup plus d’eau que prévu qui a été absorbée dans la croûte. »
Elle précise que cela ne signifie pas que le processus d’évaporation dans l’espace n’a pas été à l’œuvre, mais la majeure partie de l’eau serait donc restée sur la planète, emprisonnée dans la roche.
Pour arriver à cette conclusion, avec son équipe, la chercheuse a développé un modèle qui prend en compte l’eau liquide estimée à la surface de Mars il y a plus de 4 milliards d’années, mais aussi la glace et la vapeur atmosphérique. Leur résultat est clair : pour arriver au niveau de deutérium et d’hydrogène observé aujourd’hui, avec le fameux réservoir d’eau souterrain, il faudrait que l’immense majorité de cette eau retombe sur la surface et hydrate les roches. C’est un phénomène qui existe également sur Terre, avec une nuance qui change tout. Sur Terre, les mouvements des plaques tectoniques mélangent les différentes couches de la croûte, et l’eau piégée finit par être libérée à nouveau dans l’atmosphère dans un cycle perpétuel. Sur Mars, sans mouvement interne, la roche hydratée reste ainsi pour toujours, jusqu’à ce que toute l’eau ait disparu.
Une précision tout de même, ce n’est pas parce que de l’eau est présente dans la roche qu’elle peut être récupérée pour servir de ressource sur place. « Je pense que ce serait se donner beaucoup de mal pour un petit résultat », considère Eva Scheller. « Il faudrait d’importantes quantités de roches pour ressortir suffisamment d’eau pour une quelconque utilité ! » Sans compter que la technologie actuelle permettrait de faire ça en laboratoire avec des moyens qui sont très loin de pouvoir être exportés sur Mars.
Le ciel ou la terre ? Des théories qui s’affrontent
Cela n’enlève rien à l’importance de la découverte, mais d’un autre côté, les défenseurs de la théorie de l’eau perdue dans l’espace ont aussi des arguments à faire valoir. « Nous avons des relevés atmosphériques de Mars qui nous disent que le processus est bien responsable d’une partie non négligeable de l’assèchement de la planète », assure Shane Stone, chercheur de l’Université de l’Arizona. Il a participé à une étude parue en 2018 qui repose sur des données récupérées par MAVEN (Mars Atmosphere and Volatile Evolution), où la conclusion était que les tempêtes de poussières saisonnières emportaient l’eau dans la haute atmosphère où elle était détruite par les flux solaires. L’équipe de Shane Stone ajoutent que par le passé, la perte aurait pu être encore plus importante du fait d’une activité solaire plus intense qu’aujourd’hui, ce qui ferait de ce processus le principal moteur de l’assèchement de Mars. « Leur modèle est certainement très juste mais pas très précis, » considère-t-il devant l’étude d’Eva Scheller. « Selon leurs chiffres, la perte atmosphérique pourrait avoir joué un rôle tout aussi important que les retombées dans la croûte, voire même plus important comme nous l’avons conclu. Ce qui faut en retenir à mon sens, c’est qu’il faut étudier ensemble les deux processus pour savoir exactement quel rôle ils ont joué. »
Une opinion partagée par Eva Scheller : « Ce que nous avons montré, » précise-t-elle, « c’est qu’il y a une part potentiellement très importante de l’eau qui est toujours là. Mais il faut savoir combien exactement pour avoir une idée de la manière dont Mars s’est asséchée. »
Perseverance pour trancher ?
Bonne nouvelle : leur modèle précise que ce processus a eu lieu en grande majorité durant le Noachien, une ère martienne qui a commencé il y a 4,6 milliards d’années. Cela signifie que la planète a peu changé depuis, et que donc il faut aller chercher dans les roches les plus anciennes de la planète rouge pour trouver ces fameux minéraux contenant de l’eau dans leur structure.
Justement, un nouvel explorateur martien est le candidat idéal pour cette mission. « Perseverance va nous permettre d’en savoir plus, » assure Eva Scheller. « Il est le premier rover à pouvoir analyser ces roches en particulier. » Le rover de la NASA qui a atterri en février n’a pas encore complètement commencé sa mission, mais quand ce sera le cas il devra analyser les roches autour de lui et analyser leur composition moléculaire.
Il s’est posé à l’endroit idéal : dans le cratère de Jezero, une zone formée pendant le Noachien il y a environ 3,7 milliards d’années. Si le phénomène d’hydratation de la croûte a bien eu lieu à ce moment-là comme le prédit l’étude, il devrait en trouver des traces.

Modélisation de ce à quoi aurait pu ressembler le cratère Jezero sur Mars il y a bien longtemps. Image : NASA / JPL-Caltech / Wikimedia.
En tout cas, ses différents appareils sont particulièrement adaptés à cette tâche puisqu’il possède un spectromètre semblable à celui de son prédécesseur, Curiosity, qui « décortique » la roche pour en déceler l’entièreté de la composition, c’est à dire savoir quelles sont les molécules qui la forment. Mais en plus il a une nouvelle technique, un spectromètre Raman qui lui, va encore plus loin et indique comment les molécules sont agencées entre elles, comment les minéraux sont structurés. C’est cette technologie en particulier qui donne des informations sur la manière dont la roche a évolué, si elle s’est hydratée ou déshydratée par exemple.
Si cela ne suffit pas, il y a toujours la collecte d’échantillons. Le rover doit préparer le terrain pour une prochaine mission qui ramènera des morceaux de Mars sur Terre où ils seront analysés plus en détail en laboratoire. En revanche, il faudra être patient, puisque ceci n’est pas prévu avant dix ans dans les prévisions les plus optimistes. « J’espère que nous atteindrons un jour un consensus scientifique mais il est difficile de dire quand, » reconnaît Shane Stone. « Il faut rappeler que ce sont des événements qui ont eu lieu il y a 3 ou 4 milliards d’années, il faut remonter très loin dans le temps et c’est une tâche extrêmement difficile. »
Eva Scheller est un peu plus optimiste : « Dans notre modèle, il y a des prévisions de la quantité d’eau qui peut être trouvée dans les roches. Même s’il faut attendre les retours d’échantillons de Perseverance, nous allons essayer de comprendre enfin ce qui est arrivée à Mars. »