Le Code du travail numérique rassemble les textes qui régissent le droit du travail en France. Son objectif : rendre accessible ce droit à ceux qui en ont le plus besoin, les salariés de TPE et PME. Après la barre des 20 millions de visiteurs, un autre cap a été franchi en 2023 : le site accueille 1 million de curieux par mois. Les enjeux autour de ce service en ligne sont multiples et dépassent la seule question de l’accessibilité. Veille juridique, valeur en cas de litige, référencement… Adapter le recueil vieillissant qu’est le Code du travail, au numérique, n’est pas une mince affaire.
Pour en parler et tirer un premier bilan de ces trois années d’existence, Siècle Digital s’est entretenu avec Catherine Lissarague, chargée de la mise en œuvre du Code du travail numérique, et Romain Bizeray, chef de produit.
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Un recueil centenaire… Et vieillissant ?
Le Code du travail numérique est moins connu que son aîné, le Code du travail imprimé. Ce dernier est régulièrement vu comme un recueil vieillissant de textes législatifs et réglementaires. De très nombreux employés y jettent un œil au moins une fois dans leurs carrières, pour connaître leurs droits, ou encore leurs conventions collectives.
Les premières réelles lois sur le travail datent du XIXème siècle. À cette époque, tout est différent. Le temps de travail maximum ? Inexistant. De même, il n’est pas rare de travailler pour une rémunération famélique, voire inexistante. Ce siècle n’en reste pas moins celui des prémices du Code du travail. Le 14 mars 1896 notamment, avec une proposition de loi sur la codification des lois ouvrières. Par la suite, en 1906, est créé le ministère du Travail. S’ensuivent plusieurs votes historiques instaurant des droits au travail.
Ces textes ouvrent la voie à une législation de plus en plus importante sur les droits et devoirs. Il devient vite évident que ces règles doivent être regroupées et triées. Le premier livre du Code du travail est alors rapidement adopté par une loi, en décembre 1910.
Élaborer un tel ouvrage semble long, fastidieux. Pour cause : il aura fallu 17 ans pour le finir. Le temps aidant, l’économie évolue, le travail se complexifie, les avancées sociales se multiplient. Depuis, de nouvelles lois et règles viennent régulièrement enrichir ce recueil, pour donner le Code du travail d’aujourd’hui. Historiquement, il s’agit de bien plus qu’un simple amas des textes régissant l’activité professionnelle en France. Il est également un indicateur de l’évolution du travail, de ses conditions, ainsi que des conjonctures économiques.
Toutefois, au XXIème siècle, à l’ère du numérique, le premier réflexe quand un travailleur se pose une question sur ses droits, ce n’est plus d’ouvrir le Code du travail. Non, son premier réflexe est d’aller sur internet.
La transition numérique du Code du travail, une nécessité
Malheureusement, même Google ne peut répondre précisément et de façon compréhensible à toutes les questions. Si chercher une information dans la version papier peut vite s’apparenter à chercher une aiguille dans une botte de foin, prospecter sur internet peut également relever du défi. Le Code du travail dans sa version traditionnelle compte tout de même 4 020 pages, pour un poids de 1,5 kilogramme. Vulgariser l’ensemble de son contenu représente là aussi une tâche des plus ardues.
Le numérique a profondément changé notre société, ses économies et donc le travail. Avec les années, il est devenu indispensable, pour ne pas dire urgent, que le Code du travail évolue et passe lui aussi au digital. Cette transition a été achevée le 1er janvier 2020, avec le lancement du Code du travail numérique. « Le Code du travail numérique a été inscrit aux ordonnances de 2017 pour faciliter l’accès au droit du travail et aux dispositions qui s’appliquent selon les situations. Il a pour objectif de faciliter l’accès et la compréhension du droit du travail pour les employeurs et les salariés », explique Catherine Lissarague, chargée de sa mise en œuvre.
Sur cette plateforme, divers contenus sont proposés, comme les réponses aux 50 principales questions sur les 50 premières branches professionnelles. « Nous traitons environ 80 % des effectifs salariés de France », avance-t-elle, avant de compléter, « nous allons pouvoir répondre à des questions comme à combien de congés ai-je droit pour mon mariage si je travaille dans le secteur de la boulangerie ou du bâtiment ». Un simulateur est aussi disponible, pour, par exemple, calculer les indemnités conventionnelles de licenciement. Enfin, les utilisateurs peuvent accéder à des modèles de courriers personnalisables, une quarantaine étant à disposition. « Nous développons aussi des articles, accompagnés d’infographies », termine-t-elle.
Le Code du travail numérique porte également le titre de start-up d’État, hébergée au sein de la fabrique numérique des ministères sociaux. Cette fabrique fournit cadre et outils pour élaborer des services numériques.
Une plateforme face aux défis de l’accessibilité et du référencement
Les enjeux derrière ce Code en ligne sont protéiformes. Il faut tout d’abord parvenir à « rendre accessible le droit du travail », résume Romain Byzerai, chef de produit. « Il s’agit de permettre l’accès à une réponse simple, compréhensible et gratuite sur le droit du travail, {…} il ne doit pas être accessible aux seuls experts », complète Catherine Lissarague.
La version classique compte aujourd’hui 11 000 articles et 40 800 textes. Sans oublier les accords d’entreprise, au nombre de 77 000 textes déposés par an, rejoignant un stock de 1,75 million. Une quantité à peine imaginable. « L’articulation entre ces sources est complexe pour les usagers. Le Code du travail numérique vient essayer d’apporter une réponse », parachève celle qui est aussi chargée de mission.
Les salariés et employeurs de TPE et PME représentent tout particulièrement la cible de cette version numérique. Selon Romain Bizeray, il s’agit des usagers « les plus éloignés du droit du travail ». Pour rendre accessible à ces travailleurs des textes aussi complexes, le Code du travail numérique doit, autant que faire se peut, utiliser un langage courant. Les tests utilisateurs représentent un autre moyen de s’assurer de cette accessibilité. « Avant de mettre un contenu en ligne, nous allons le soumettre aux usagers visés. Aussi, une fois qu’un contenu est en ligne, nous continuons d’analyser les commentaires utilisateurs et la data pour s’assurer que tout ce que nous avons produit est accessible », détaille le chef de produit du service.
L’accessibilité passe également par l’accès à ce service. La plupart des internautes de l’Hexagone ne connaissent pas le Code du travail numérique en tant que tel.
Le Code du travail numérique, un outil juridique
Comme l’explique Romain Bizeray, « 80 % des visiteurs viennent des moteurs de recherche, donc c’est vraiment important de nous positionner dans les premiers résultats pour rendre le site visible ». Cependant, les moteurs de recherche ne sont pas les seuls canaux à investir. « Nous travaillons beaucoup sur un autre canal d’acquisition, que sont les autres sites internet pour intégrer le Code du travail numérique et obtenir des backlinks », affirme-t-il.
Cet enjeu d’accessibilité, de référencement, en rejoint un autre : celui de veille juridique. Cette plateforme a une responsabilité vis-à-vis des salariés, qui comptent sur elle pour trouver des réponses. Des réponses bien souvent cruciales pour leur avenir professionnel, comme en cas de litige.
Le texte à l’origine de ce Code indique d’ailleurs que « l’employeur ou le salarié qui se prévaut des informations obtenues au moyen du Code du travail numérique est, notamment en cas de litige, présumé de bonne foi. Donc ça nous engage énormément sur la qualité juridique des contenus que nous mettons en ligne », confirme Catherine Lissarague.
Pour atteindre cet objectif de veille et de modèle, chaque contenu sur le site se voit associer une référence juridique. Une vieille quotidienne est également assurée, grâce aux API Légifrance qui « nous alertent de chaque évolution du droit législatif et conventionnel. Ensuite, c’est notre équipe experte juridique qui doit reporter ces évolutions sur nos contenus », expose-t-elle.
20 millions de visiteurs en 3 ans, une réussite ?
Réussite ou non, la plateforme a franchi le cap des 20 millions de visiteurs cette année, pour atteindre les 26 millions de visiteurs au mois de mai selon Catherine Lissarague, avec plus d’un million de visiteurs mensuels. 74 % des visiteurs sont des salariés et 12 % des employeurs. 38 % viennent des PME et 27 % des TPE, « donc nous pensons que notre cible est bien atteinte », se satisfait-elle, tout sourire.
Des pics ont permis d’atteindre ce niveau de fréquentation. Des moments correspondant à de nouvelles lois, à des périodes de profondes mutations : « très rapidement, après l’ouverture du site, nous avons connu la crise sanitaire, avec toute l’incertitude qui régnait à ce moment-là. Nous avons créé un dossier ad hoc pour y voir plus clair, mettre à disposition des modèles, comme pour la garde d’enfants au début du confinement », illustre-t-elle.
Malgré ce bilan a priori positif, des aspects restent à améliorer. Des conventions doivent notamment être ajoutées à un simulateur, afin de réellement couvrir 80 % des salariés et plus encore. « Nous devons également continuer de développer nos contenus sous forme de widget pour favoriser leur intégration sur d’autres sites », avoue pour sa part Romain Bizeray.