La rivalité technologique entre les États-Unis et la Chine n’est plus un secret depuis plusieurs années. Pour maintenir son leadership, les Américains ont multiplié, depuis au moins l’administration Trump, les mesures pour bloquer l’accès de leurs technologies de pointe à l’Empire du Milieu. Cependant, d’après les statistiques du département du Commerce récupérées par le Wall Street Journal la réalité de ces restrictions pose question.

94 % des demandes de licences d’exportation sont acceptées

Le Département du Commerce, via le Bureau of Industry and Security, tient une « Entity List », plus simplement connue comme la liste noire du ministère. Sur cette liste des sociétés russes depuis le début de la guerre en Ukraine, des entreprises israéliennes comme NSO Group, après le scandale Pegasus et surtout environ 70 organisations chinoises.

Pour figurer sur cette liste plusieurs mobiles peuvent être invoqués, sanctions internationales, non-respect des droits de l’Homme ou menace pour la sécurité nationale. Beaucoup d’entreprises chinoises y sont pour ce dernier motif, les États-Unis estimant que ses hautes technologies peuvent être détournées à des fins militaires.

Être sur cette liste ne ferme cependant pas l’accès à tous les produits américains. Cela impose l’obtention d’une licence autorisant l’exportation. Selon les chiffres récupérés par le Wall Street Journal, sur 125 milliards de dollars d’exportations américaines vers la Chine en 2020, seul 0,5 % était soumise à une licence. Sur ce pourcentage 94 %, soit 2 652 demandes, ont été acceptées. En 2021 le chiffre est passé à 88 %, une baisse qui serait liée à un changement comptable et non à une décision politique.

Les sanctions américaines, omniprésentes dans les discours, comme récemment avec l’adoption du Chips and Sciance Act, ne se vérifieraient pas dans les faits. Semi-conducteurs avancés, Intelligence artificielle, technologies quantiques, composants aérospatiaux et autres continueraient de franchir le Pacifique relativement tranquillement.

En octobre 2021, Michael McCaul, élu républicain de la chambre des représentants, avait révélé que Huawei et la Semiconductor Manufacturing international Corp (SMIC) ne semblaient pas trop souffrir de leur placement sur liste noire. Entre novembre 2020 et avril 2021 le premier aurait obtenu 113 licences d’exportation pour 61 milliards de dollars et la seconde 188 licences d’une valeur de 42 milliards de dollars. Les deux entreprises auraient reçu 3 refus et 65 demandes sans suites.

Les États-Unis trop laxistes avec la Chine ?

Beaucoup d’anciens ou actuels responsables de Washington se montrent très critiques envers ce bilan d’après le Wall Street Journal. Steve Coonen, ancien analyste principal du Pentagon en matière de contrôle des exportations vers la Chine, a démissionné en septembre 2021 avec un mail particulièrement salé. Il a écrit « Je n’ai aucun problème à commercer avec la Chine ou à la nourrir » avant d’ajouter « J’ai un énorme problème à armer la Chine ».

Toutes les administrations, démocrates ou républicaines seraient concernées par ce laxisme. Pour certains, si les États-Unis ne fournissent pas la Chine, Pékin ira simplement voir ailleurs.

Pour Matt Pottinger, ancien conseiller de Trump en matière de sécurité nationale, le problème se situe au niveau du Bureau of Industry and Security, qui aurait « eu du mal à concilier sa mission de protection de la sécurité nationale des États-Unis avec l’objectif du département du Commerce de promouvoir les exportations américaines ».

En somme, le département du Commerce aurait tendance à privilégier, par nature, les intérêts économiques des États-Unis au détriment de la sécurité nationale. Thea Rozman Kendler, secrétaire adjointe au commerce, en charge des exportations, juge au contraire que pour savoir gérer les transferts technologiques, il faut connaître ces dernières et l’industrie.

De plus, l’agence du département du Commerce assure prendre ses décisions sur les licences en partenariat avec les agences des départements de l’État, de la défense et de l’énergie. Le département du Commerce affirme se concentrer sur les possibilités de concurrence stratégique à long terme. Pour les sceptiques, certaines des licences concernent des produits technologiques facilement et rapidement détournés à des fins militaires.