“Devenez Radins” : en 2001, une entreprise française et son site internet se démarquent par un slogan invitant chacun à assumer son côté grippe-sou. PriceMinister, qui s’est lancé en janvier 2001, est la première plateforme de e-commerce made in France, et met en relation acheteurs et vendeurs, professionnels ou particuliers. Pendant dix ans, le concept cartonne et s’internationalise, en Espagne ou en Allemagne.
“C’est un modèle transactionnel qu’on retrouve aujourd’hui sur Airbnb ou Blablacar, c’est à dire la mise en relation d’une offre et d’une demande. Nous avons été un peu pionniers dans ce domaine là” nous explique Olivier Mathiot, l’un des cofondateurs de PriceMinister. En 2011, la start-up créée par Pierre Kosciusko-Morizet est rachetée à 200 millions d’euros par le géant japonais du e-commerce : Rakuten. À partir de 2018, la marque PriceMinister va peu à peu disparaître… mais pas son esprit.
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“C’est la promesse d’internet : un choix très large, pas cher et disponible très vite”
Dans les années 2000, le e-commerce en est à ses balbutiements, particulièrement en France. PriceMinister propose alors un concept novateur : mettre en relation acheteurs et vendeurs, particuliers ou professionnels, pour des prix défiants toute concurrence. “Il n’y avait jamais vraiment eu de concurrence extérieure. On s’est rendu compte que les grandes enseignes étaient finalement assez chères : elles n’étaient pas forcément perçues comme telles par les générations précédentes parce qu’il n’y avait pas de comparaison” insiste Olivier Mathiot. À travers sa plateforme de mise en relation, PriceMinister diminue ses frais en n’ayant aucun stock, tout en proposant une offre très large. “Nous avions déjà 100 000 produits disponibles, dès l’ouverture en 2001. En 2003, on était à 30 millions de produits disponibles” rappelle Olivier Mathiot.
En plus de sa mise en concurrence entre différents vendeurs pour garantir le prix le plus bas possible au consommateur, PriceMinister se construit une image de marque audacieuse, notamment avec son slogan “devenez radins” : “c’était une campagne qui provoquait un peu les perceptions qu’on pouvait avoir sur soi en tant que consommateur. C’était un compliment de dire qu’être radin, ça rimait avec malin et c’était être un dénicheur de bonnes affaires” ajoute Olivier Mathiot. Un concept qui paraît évident en 2020, mais qui ne l’était pas tant au début des années 2000. “Aujourd’hui avec internet, en tant que consommateur, on est un peu capricieux, on veut avoir tout tout de suite au meilleur prix. Et c’est un peu la promesse d’internet : un choix très large, pas cher et disponible très vite” résume le cofondateur, devenu président de The Camp et co-président de France Digitale.
En 2010, PriceMinister est racheté par Rakuten, géant japonais du commerce en ligne fondé par Hiroshi Mikitani. “PriceMinister était une marque très respectée en France et sa vision et sa philosophie proches de celle de Rakuten” explique Fabien Versavau, devenu en 2018 le PDG de Rakuten France. Pour Olivier Mathiot, ce rachat faisait partie de la stratégie d’internationalisation de la marque japonaise : “la marque Rakuten n’était pas connue et ce n’était pas évident d’ouvrir une enseigne dans un pays aussi différent. Alors que sur leur marché domestique, au Japon, la population était plus vieillissante”. Durant les premières années, l’équipe initiale de PriceMinister, dont Pierre Kosciusko-Morizet et Olivier Mathiot, restent aux manettes.
Fabien Versavau, PDG de Rakuten France. Photographie : Laurent de Broca / Rakuten.
Une stratégie de fidélisation, point par point
Avec ce prolongement d’équipe entre feu PriceMinister et Rakuten se développe une idée qui fera le succès de la plateforme : le Club PriceMinister, devenu Club R … pour Rakuten. “Les japonais sont très friands des programmes de fidélité. La rétribution de points est omniprésente dans leur culture. C’est presque un jeu. C’est pourquoi, il était tout naturel que Rakuten lance le sien en 2006, le Club R” développe Fabien Versavau. “C’est un concept de club de fidélisation qui peut rémunérer ou récompenser les consommateurs sur pleins d’axes. Et dans un marketplace où il y a plusieurs vendeurs, le programme est intéressant car transversal à tous les vendeurs” explique avec fierté Olivier Mathiot. Cette stratégie de fidélisation s’appuie sur un système de cash back qui permet au client d’accumuler des points qu’il pourra dépenser sur le site ou sur celui d’une grande marque partenaire : à ce jour, Rakuten compte plus de 850 sites partenaires. “Nous avons déjà reversé l’équivalent de plus de 100 millions d’euros ces dernières années à nos 5 millions de membres” complète Fabien Versavau.
Entre 2010 et 2020, Rakuten France a su rassembler plus de 17 millions de visiteurs par mois : l’Hexagone est le 3ème marché mondial de Rakuten. “En France, il existe une très grande variété de sites e-commerce et de places de marché. C’est un marché très dynamique mais du coup très fragmenté, ce qui le rend à la fois très intéressant mais plus compliqué à appréhender que dans d’autres pays où les consommateurs ont le réflexe de réaliser leurs achats via quelques sites e-commerce seulement” explique Fabien Versavau.
Dans sa stratégie commerciale, l’entreprise perpétue l’une des ligne directrice de PriceMinister : soutenir les commerçants, quelle que soit leur taille ou leurs ressources. “En tant que pure player de la marketplace, et donc véritable intermédiaire, nous sommes le partenaire de nos marchands et notre mission n’est rien d’autre que le développement d’un commerce qui bénéficie à tous pour réussir ensemble” développe Fabien Versavau. Cette stratégie, Rakuten la nomme “l’Empowerment du retail”. En pratique, cet empouvoirement passe pour les vendeurs par une personnalisation de leur espace de vente, une gestion autonome de leur catalogue mais aussi accès à des formations pour les professionnels. “Tous nos vendeurs professionnels bénéficient d’un accompagnement personnalisé avec notre équipe de E-Commerce Consultants qui les aident à améliorer leur page dédiée, en leur fournissant des conseils pour adapter et décliner leur stratégie globale, se préparer aux pics de consommation comme les soldes, etc.” ajoute-t-il.
Cette stratégie opère aussi hors ligne, où Rakuten propose un système de click & collect, ce qui augmente le trafic “en réel” pour les commerçants. “Cette solution représente 30% de notre volume d’affaires et plus de 3 000 magasins sont connectés partout en France. Ces chiffres ne cessent d’augmenter !” jubile Fabien Versavau. “Nous sommes convaincus que nous avons un rôle essentiel à la survie de nos commerces et cela s’est notamment confirmé lors du confinement. Nous avons constaté pendant cette période l’inscription de près de 40% de nouveaux marchands” ajoute le PDG.
Selon les chiffres de Rakuten France, 1 produit vendu sur 2 est d’occasion, et 40% de ses vendeurs sont des particuliers. Pour Rakuten France, l’achat entre particuliers et de seconde-main est un premier pas vers une consommation plus responsable. “Aujourd’hui, 65% de nos produits vendus sont issus de l’économie circulaire et rien qu’en 2019, nous avons permis d’éviter l’équivalent de 22 870 tonnes d’émissions de CO2 et ce n’est que le début !” insiste Fabien Versavau.
Rakuten : Omotenashi, IA et 5G
L’entreprise comptabilise 500 millions d’euros d’investissements en France depuis 10 ans. “Le groupe s’est développé dans le but de proposer un écosystème composé de 80 services soit autant d’expertises dont l’objectif est l’interconnexion. Avec un seul identifiant, vous pouvez regarder vos films sur Rakuten TV, acheter vos produits sur notre plateforme e-commerce Rakuten France, sur laquelle vous verrez des contenus publicitaires gérés par notre régie Rakuten Advertising…” explique Fabien Versavau. Une diversité de services qui lui permet de se frotter à ses concurrents américains, comme Amazon, à travers un service de VOD (Rakuten TV), et des investissements dans les télécommunications : Rakuten a racheté l’application de messagerie Viber en 2014. L’entreprise se vante également de nombreux partenariats prestigieux, comme avec le FC Barcelone ou la papesse du rangement Marie Kondo.
Mais pour Rakuten, pas question de trahir leurs valeurs. “C’est ce business model très sain qui va nous permettre d’assurer un commerce responsable” assure son PDG français. L’entreprise se vante, y compris dans ses filiales, de cultiver une culture d’entreprise typiquement japonaise. “Cette culture transparaît aussi avec nos marchands et nos consommateurs, notamment l’ « Omotenashi », ce sens du service typique et inégalé japonais ou encore « Kaizen », cette notion qui symbolise cette amélioration continue que les équipes doivent entretenir” explique Fabien Versavau. Au quotidien, pour les 450 employés français de Rakuten, cela passe par des sessions “seiso” hebdomadaires, ces réunions suivies… d’un ménage collectif des bureaux par les employés.
Rakuten mise également beaucoup sur l’innovation technologique pour améliorer ses services : son Rakuten Institute of Technology, dont un est situé à Paris, travaille sur les questions d’intelligence artificielle, ou encore de deep learning. “Si nous prenons par exemple le service client : aujourd’hui nous nous devons de répondre aux exigences des consommateurs, celles de l’immédiateté des réponses et une personnalisation de ces dernières. Sans algorithme pour nous y aider, cela serait impossible, en particulier pour gérer les flux des messages entrants, bien plus nombreux aujourd’hui qu’il y a 20 ans” spécifie le PDG.
Pour Fabien Versavau, cette décennie au sein de l’e-commerce français n’est qu’un début pour Rakuten. Quel objectif a-t-il pour les prochaines années ? “Poursuivre le développement de notre programme de fidélité bien sûr. Aujourd’hui, nous regroupons 5 millions de membres, nous devrions en rassembler 10 millions d’ici la fin de l’année” explique-t-il. “Mais aussi continuer à soutenir le commerce, proposer des nouveaux partenariats, nous avons de jolies marques et enseignes qui nous ont rejoints et cela va continuer !”
Mais pour Rakuten, le plus gros projet des prochaines années reste l’arrivée de la 5G. Rakuten est le 4ème opérateur mobile 4G au Japon, et lance son premier réseau de télécommunication Cloud Native. “C’est une première mondiale. La 5G va permettre des avancées technologiques spectaculaires, notamment dans le e-commerce” affirme Fabien Versavau.