Un an après le lancement de ChatGPT, qui a marqué le début d’une course à l’intelligence artificielle (IA) générative, la technologie est progressivement déployée en entreprise. Si son impact reste difficile à quantifier compte tenu de sa jeunesse, ses premiers utilisateurs font état d’un potentiel considérable pour optimiser leurs tâches.
Quels usages pour quels métiers ?
L’intelligence artificielle est présente en entreprise depuis plusieurs années, mais sa mise à l’échelle reste complexe. Désormais, l’IA générative chamboule les usages. Plus besoin de posséder des capacités techniques, avec une simple requête textuelle, un « prompt », le modèle réalise en quelques secondes une tâche parfois chronophage et pénible. Presque tous les secteurs vont en bénéficier, et certains usages sont déjà concrets.
Inscrivez-vous à la newsletter
En vous inscrivant vous acceptez notre politique de protection des données personnelles.
Dans le marketing digital, par exemple, « suivre la performance des campagnes, c’est quelque chose qui est absolument stratégique mais complexe, car cela change tout le temps, » explique Pierre Harand, co-CEO de fifty-five, un cabinet de conseil spécialiste de la data. Connecté à une base de données, son modèle d’IA est capable d’analyser très rapidement les performances.
De même, son utilisation dans la création publicitaire apporte un gain de temps et d’argent considérable. Les modèles comme Dall-E 2 ou Midjourney créent des images ultra-réalistes en quelques secondes. Une capacité très appréciée dans un secteur riche en petites structures. La start-up française Omi a senti le filon en créant un outil basé sur l’IA générative capable de générer un fond en 3D pour le marketing produit.
En informatique, l’IA peut s’appliquer à différents domaines. Elle peut analyser en temps réel les incidents, identifier des modèles, les résumer, suggérer des causes profondes et fournir des informations précieuses aux opérateurs. Elle est aussi en mesure d’automatiser les tests, octroyant un précieux gain de temps.
Moins flagrant, le rôle de l’IA générative dans le secteur de la vente, notamment B2B, s’avère prometteur. Lorsqu’un opérateur souhaite contacter un prospect, il prend le temps de se renseigner à son sujet. Ce processus peut prendre une heure, il est réduit à quelques minutes si un modèle d’IA l’assiste, poursuit Pierre Harand. L’outil propose la meilleure manière de démarrer l’appel selon les spécificités de l’interlocuteur.
Une autre branche où l’intelligence artificielle pourrait se révéler précieuse est celle des ressources humaines. Elle peut prendre en charge la « partie discriminative » du recrutement, indique Emilie Audubert, analyste de contenu chez Software Advice et auteur d’une étude sur l’usage de l’IA au sein des ressources humaines. Ainsi, le modèle peut réaliser une pré-sélection de candidats selon des mots-clés spécifiques. Les RH peuvent également s’en servir pour créer des fiches de postes ou, usage plus controversé, pour décider du personnel à promouvoir ou à remercier sur des critères de performances.
Les assistants alimentés à l’IA
L’IA générative devient l’assistant personnel des travailleurs sur les logiciels qu’ils utilisent quotidiennement. C’est l’ambition de Microsoft et Google, avec Copilot pour le premier et Duet AI pour le second. Déployée dans les suites Microsoft 365 et Workspace, l’IA accompagne l’utilisateur dans de nombreuses tâches, qu’il s’agisse de la rédaction de courriels ou d’un résumé de réunions. Ces outils ont pour vocation à améliorer la productivité, les compétences et la créativité des usagers.
Les deux systèmes n’en sont qu’aux débuts de leur déploiement. Ils pourraient, à terme, être utilisés par plusieurs millions d’employés quotidiennement. Orange compte parmi les 600 entreprises participant à l’Early Access Program lancé par Microsoft, qui permet de tester Microsoft 365 Copilot. « L’un des objectifs pour Orange, c’est de comprendre quelles personnes dans l’entreprise pourraient avoir l’avantage de travailler avec ce type d’outil, » confie Marie-Hélène Briens Ware, VP Workplace Together chez Orange Business.
La technologie est récente et il faut encore déterminer comment elle peut bénéficier aux collaborateurs selon leur fonction. Seize catégories de métiers, réparties dans une quinzaine de pays, expérimentent actuellement Copilot, continue la vice-présidente. La firme a choisi de laisser une grande liberté aux testeurs pour analyser la manière dont ils s’approprient l’outil. Elle récolte des cas d’usage précis auprès pour les appliquer à plus grande échelle. Ce processus, long de plusieurs semaines, témoigne des efforts nécessaires aux professionnels pour quantifier l’apport de la technologie.
D’une manière générale, les assistants alimentés à l’IA sont progressivement intégrés dans de nombreux autres outils de productivité. L’annonce récente d’OpenAI d’étendre son magasin d’applications devrait accroître cette tendance.
Qu’en pensent les travailleurs ?
Pour l’heure, il est encore très tôt pour déterminer comment les employés perçoivent l’essor de cette technologie, mais les premières études révèlent une certaine méfiance. 36 % des salariés estiment que leur travail sera remplacé par l’IA, selon une enquête réalisée dans 13 pays par le cabinet Boston Consulting Group. Un autre sondage, effectué en France par GetApp, atteste que près d’un Français sur deux utilisant ChatGPT craint de perdre son emploi.
La question éthique peut également entrer en compte, selon le type de métier. Dans le domaine des ressources humaines, 45 % des employés se disent particulièrement mal à l’aise si une IA devait sélectionner des personnes à licencier. 49 % s’inquiètent de n’avoir aucune supervision humaine, selon Software Advice.
En revanche, d’autres salariés se montrent enthousiastes à l’idée d’être accompagnés par une technologie qui leur offre la possibilité de se focaliser davantage sur le fond, plutôt que la forme.
« Dire que les IA génératives vont remplacer des humains dans le travail, c’est faux. Par contre, le risque pour les travailleurs, c’est d’être remplacé par des concurrents qui les utilisent mieux, » analyse Pierre Harand.
Des défis et des opportunités
Des freins subsistent encore au déploiement de ces outils en entreprise. Coût, sécurité des données, biais, fausses informations… Malgré leur facilité d’accès apparente, il convient de se former à leur exploitation, d’être conscients de leurs limites. Avant de s’en servir, les sociétés doivent mitiger les risques, notamment en établissant de nombreux garde-fous. « Si une de nos requêtes n’est pas la bonne, alors le modèle ne sort rien, » indique-t-il.
Comprendre comment déployer l’IA générative au sein d’une société, comment attribuer un usage à un domaine, ou déterminer à quels niveaux elle est la plus utile, relèvent encore de tâches complexes.
Toutefois, les experts s’accordent pour dire que les entreprises doivent l’expérimenter dès maintenant pour bénéficier plus tard d’un « avantage concurrentiel décisif, » juge Pierre Harand.