Depuis le 9 juin 2023, l’encadrement des influenceurs est officiel. L’Assemblée Nationale a voté en mars en faveur d’une proposition de loi pour « encadrer l’influence commerciale et lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Quelques modifications plus tard, le Sénat a également voté pour, le 1er juin. Après plusieurs avertissements émis par les autorités, les citoyens et les associations, l’activité des influenceurs est désormais encadrée. L’objectif : « renforcer les contrôles et nous assurer que le net n’est pas le Far West », selon le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire.

Siècle Digital a pu échanger avec les auteurs de cette proposition de loi transpartisane : Arthur Delaporte, député socialiste du Calvados et Stéphane Vojetta, député Renaissance des Français de l’étranger. Sans oublier Amélie Deloche, Cofondatrice du collectif Paye ton influence.


Cet épisode est disponible sur SpotifyApple PodcastsDeezerGoogle PodcastsAcast.

La goutte de trop

Parfois, une simple rumeur suffit à embraser les choses. Cet encadrement a de multiples origines. L’une des plus importantes est sans doute la rumeur lancée en décembre 2021 par Marc Blata, ancien candidat de téléréalité. Selon lui, le rappeur Booba aurait porté une fausse montre de la maison d’horlogerie de luxe Richard Mille. Une accusation qui a déclenché l’ire de l’artiste. Ce dernier s’est alors lancé dans une guerre par écrans interposés contre les influenceurs issus de la téléréalité.

Dans sa ligne de mire se trouvent notamment les partenariats avec des sites de drop-shipping. Une pratique qui consiste à vendre des produits plus chers que leur valeur initiale via un tiers, sans disposer d’un stock physique. Des produits souvent peu contrôlés. Dans une interview à Brut, l’avocat de Booba, Patrick Klugman, explique que « Booba a décidé de mettre tout le public au courant parce qu’il y a un système des influenceurs qui consiste à abuser des gens et à leur vendre n’importe quoi sans aucune vérification ».

Magali Berdah, fondatrice de l’agence d’influenceurs Shauna Events, se voit particulièrement ciblée. Sur Twitter et Instagram, le rappeur lui attribue la responsabilité des dérives de cet écosystème. Une utilisation intensive du réseau social qui a poussé la femme d’affaires à déposer plainte contre lui pour cyberharcèlement. Le compte Instagram de Booba est alors fermé. Ce dernier réplique avec le lancement du hashtag « influvoleurs », ainsi qu’avec l’ouverture de la boîte mail « Influvoleurs2022 » pour recueillir les témoignages de personnes victimes des pratiques trompeuses des influenceurs.

Cette guerre entre deux personnalités suivies par les plus jeunes aurait pu éclipser le sujet, la problématique sous-jacente : les pratiques des influenceurs ne sont pas encadrées, les dérives sont nombreuses et se multiplient. Les premières victimes sont régulièrement des jeunes, qui suivent les influenceurs sur les réseaux sociaux et qui raffolent de leurs « bons plans ». Shauna Events a notamment fait l’objet de deux signalements auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF.

L’avocat de Booba a déposé de son côté deux plaintes contre l’agence pour pratiques commerciales trompeuses et escroqueries. Une enquête a également été ouverte en septembre dernier pour pratiques commerciales trompeuses et escroquerie en bande organisée au commissariat d’Antibes, commune où est immatriculée l’entreprise de Magali Berdah. Les accusations de manquement ou d’arnaques n’ont eu de cesse de se multiplier ces deniers mois. L’écho médiatique augmente lui aussi considérablement, essentiellement grâce à la guerre entre Booba et les influenceurs. De quoi pousser les élus français à acter que le temps de la régulation est venu pour l’activité commerciale des 150 000 influenceurs de l’Hexagone.

« Sensibiliser les jeunes aux risques liés à l’influence commerciale »

En dépit des reproches à l’encontre des influenceurs, ces derniers ne sont pas les seuls responsables. « Il y a énormément de marques qui vont vouloir vendre des produits qui peuvent potentiellement être dangereux », explique à Siècle Digital Amélie Deloche, cofondatrice du collectif Paye ton influence. Selon cette dernière, « les influenceurs peuvent aussi se faire avoir ».

Pour assurer une responsabilité collective entre les influenceurs, les marques et le consommateur, les députés Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta ont mis au point une proposition de loi transpartisane. Un groupe de travail transpartisan a ensuite vu le jour, suivit d’échanges avec le Ministère de l’Economie et des Finances. Deux tables rondes avec des acteurs du secteur, dont le collectif d’aide aux victimes d’influenceurs AVI et l’Union des métiers de l’influence et des créateurs – l’UMICC – se sont tenues en mars. « Nous avons fait un effort de concertation préalable et de consultation des acteurs du secteur, des représentants de l’influence et des victimes, où nous avons cherché à comprendre et à répondre à leur besoin », explique le député socialiste Arthur Delaporte.

La proposition de loi transpartisane a fini par être adoptée à l’unanimité en Commission des affaires économiques en mars 2023. Les parlementaires entendent alors créer un statut légal d’influenceur commercial, en inscrivant sa définition dans le code de la consommation et du commerce. Ce faisant, les règles de publicité traditionnelle s’appliqueront aux créateurs de contenus, notamment dans des cas de promotion de cryptoactifs, de produits financiers, d’alcool, de tabac ou encore d’actes médicaux.

« Un rappel des règles qui s’appliquent à l’influence commerciale, notamment de la loi Evin », résume Stéphane Vojetta. La promotion de la chirurgie esthétique se voit prohibée, « la proposition de loi interdit la promotion des procédures chirurgicales, ou de produits à visées chirurgicales. S’y ajoute une obligation de mentionner, si vous utilisez une image qui transforme un corps ou un visage, que cette image est transformée », indique encore le député Renaissance.

À ce moment-là, d’autres types de promotions sont dans le viseur des députés. À commencer par celles des jeux d’argent ou des produits médicaux. Les législateurs envisagent également d’inclure l’éducation sur les dangers de l’influence commerciale dans le cadre du permis internet, une formation offerte aux élèves d’élémentaire. Elle couvre des sujets tels que la haine en ligne et le harcèlement.

« À travers cette proposition de loi, nous visons également à sensibiliser les jeunes aux problèmes et aux risques liés à l’influence commerciale », revendique Stéphane Vojetta. « Nous abordons les sujets des influences commerciales, des publicités et des dangers associés à la publicité dans les établissements scolaires », résume-t-il.

Qui pour réguler le secteur ?

Pour lutter contre les abus et protéger les consommateurs, des dispositifs légaux existent pourtant déjà. « Il y a le signal consommateur, qui est l’instrument pour signaler à la DGCCRF », remarque le député des Français de l’étranger. D’autres options s’y ajoutent aujourd’hui, grâce à la proposition de loi : « si vous voyez quelque chose qui est illicite sur Instagram, sur Twitter, vous pouvez utiliser depuis la plateforme l’outil de signalement qui sera mis à disposition », révèle l’élu.

La DGCCRF demeure probablement l’organisme de régulation de ce secteur par excellence. Depuis deux ans, il mène une enquête sur les pratiques commerciales des influenceurs. L’un des derniers états des lieux révélé montre que 60% des influenceurs ciblés n’ont pas respecté la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs. Cependant, l’organisme précise que l’enquête a concerné 60 influenceurs seulement, ainsi que des agences d’influence. Ce constat ne reflète donc pas forcément l’écosystème dans son ensemble.

L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, l’ARPP, se charge également de veiller au respect des règles. Des normes de transparence s’appliquent aux influenceurs, notamment sur le greenwashing, la protection des enfants ou sur les produits cosmétiques. Pour faire connaître ces règles aux créateurs de contenus, un certificat de l’influence responsable a été créé il y a en 2021. Depuis, environ 400 influenceurs en sont les détenteurs. Un nombre relativement faible au regard des 150 000 comptabilisés en France.

La proposition de loi transpartisane a sans surprise suscité une levée de boucliers de la part de certains influenceurs. Notamment du côté de l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenus, l’UMICC, organisme créé en janvier. Ce dernier a publié une tribune contre la loi, entraînant un bad buzz sur les réseaux sociaux et dans les médias nationaux. Plusieurs influenceurs et créateurs de contenus s’en sont rapidement retirés, à l’instar de Squeezie. Contacté, l’UMICC n’a pas répondu à nos sollicitations sur ce texte.

Une première en Europe

Le marathon législatif ne se limite pas à la seule Assemblée Nationale. Le Sénat doit lui aussi voter les propositions de loi, avec possiblement des modifications à la clé. Ce dernier a cependant adopté le texte à l’unanimité le 1er juin. Par rapport à sa première mouture, quelques modifications ont été apportées. Les sanctions ont notamment été renforcées.

Les peines sont passées de 6 mois de prison à 2 ans de prison. L’interdiction de la promotion de la chirurgie esthétique reste en application, mais s’y ajoute l’interdiction de promouvoir l’abstention thérapeutique des sachets de nicotine. Une réaction à la forte hausse de leur vente sur internet auprès des adolescents. Concernant les publications commerciales, les influenceurs sont obligés d’afficher un bandeau de publicité. Les promotions de jeux d’argent et de hasard doivent maintenant comporter une alerte écrite indiquant qu’elles sont interdites aux moins de 18 ans.

Les sénateurs ont tout de même décidé de supprimer l’interdiction pour les moins de 16 ans de promouvoir des aliments sucrés et salés. Il s’agit de la première loi de régulation du secteur des influenceurs, une initiative inédite en Europe.