Quelle mouche a piqué la Commission européenne ? L’organe exécutif européen s’est retrouvé dans une tempête médiatique à la suite de la nomination d’une économiste américaine, Fiona Scott Morton, au sein de l’une de ses branches les plus sensibles de Bruxelles, l’antitrust. Cette dernière a finalement renoncé au poste ce 19 juillet, mais le choix initial pose question. Retour sur la polémique bruxelloise du moment.
La Commission gênée aux entournures
Toute l’affaire débute le mardi 11 juillet. Au détour d’un communiqué, la Commission européenne annonce la nomination de Fiona Scott Morton comme cheffe économiste à la direction générale de la concurrence. Le texte explique « avec une formation universitaire distinguée et des décennies d’expérience dans l’analyse économique et la politique de la concurrence, Fiona Scott Morton possède une compréhension approfondie de la dynamique du marché et des cadres réglementaires ».
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Tout le problème résulte d’un autre passage, « de nationalité américaine ». Très vite les réseaux sociaux, français très largement, se sont enflammés. Le 13 juillet le ministre du numérique, Jean-Noël Barrot, s’est interrogé sur le choix d’une ressortissante américaine pour un poste aussi stratégique. Il a été rapidement suivi par Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.
Il faut dire que cette désignation a ses zones d’ombre. Initialement, la fiche de poste exige un profil issu de l’un des États membres. Pour cause, vu la sensibilité des informations auxquelles a accès le ou la chef économiste de l’antitrust Européen, l’État membre dont il ou elle est issu doit lui fournir une habilitation de sécurité. Dans un contexte de rivalité commerciale exacerbé entre Washington et Bruxelles, l’idée que ce soit aux États-Unis de fournir un tel blanc-seing fait doucement sourire. Interrogé sur cette problématique par les eurodéputés, Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission en charge de la concurrence a eu bien du mal à répondre.
Le passeport de Fiona Scott Morton n’a pas été le seul point qui a fait hausser des sourcils à Bruxelles. L’économiste a un CV extrêmement fourni, professeur à la Yale Shool of Management, elle a été, sous Obama, vice-procureure générale adjointe pour la division antitrust du département de la Justice américain. Beaucoup plus sensible, elle a eu divers contrats de conseil avec des groupes tels qu’Apple, Amazon, Microsoft, Meta… Autant d’entreprises américaines ayant souvent maille à partir avec la concurrence européenne.
La France seule dans son indignation ?
Margrethe Vestager a assuré que la chercheuse se déporterait des dossiers en cas de conflit d’intérêts. Un minimum, mais qui interroge : ces dossiers sont justement parmi les plus importants qu’a à traiter la Commission. De plus, la vice-présidente de l’exécutif européen a refusé de transmettre aux eurodéputés la liste des conflits d’intérêts de Fiona Scott Morton au prétexte de la confidentialité de ces informations. La Commission a justifié son choix, au-delà des compétences de Fiona Scott Morton, par le manque de candidats. Ce poste, d’une durée de 3 ans, n’aurait attiré que 11 personnes.
Audition décevante de @vestager
Qui refuse de nous donner la liste des entreprises pour lesquelles Fiona Scott Morton a travaillé.
Qui nous dit qu’elle n’a pas besoin d’habilitation de sécurité alors que c’est dans la vacance de poste.
Cette nomination est intenable. pic.twitter.com/TB2sn7BEJd
— Aurore Lalucq 🇪🇺 (@AuroreLalucq) July 18, 2023
Emmanuel Macron en personne, présent à Bruxelles mardi pour le sommet entre l’Union européenne et la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC) s’est interrogé sur la décision de la Commission.
En retirant sa candidature, au « regret » de Margrethe Vestager, Fiona Scott Morton a probablement éteint cette agitation naissante. L’affaire a toutefois remis en lumière une problématique bien connue, ancienne, celle du rapport de l’UE aux États-Unis et les divisions des États membres autour de cette question. La désignation a créé une indignation large, cinq commissaires européens de diverses nationalités ont écrit à Margrethe Vestager, mais le scandale a été particulièrement fort en France. Comme Emmanuel Macron l’a rappelé, il est un défenseur de l’autonomie stratégique du Vieux Continent, mais cette volonté d’autonomie, notamment vis-à-vis des États-Unis, est-elle partagée ?