La mesure du gouvernement néerlandais était attendue, elle est officielle depuis le vendredi 30 juin : les Pays-Bas vont exiger des licences pour l’exportation des outils industriels utilisés pour fabriquer des semi-conducteurs. Ce règlement concerne essentiellement une entreprise, ASML, et est à resituer dans le contexte de rivalité technologique entre la Chine et les États-Unis.
Plusieurs dizaines de commandes, vers la Chine, sont annulées ou modifiées
« Nous avons pris cette mesure pour des raisons de sécurité nationale, » a justifié Liesje Schreinemacher, ministre au Commerce extérieur, dans le communiqué accompagnant la publication au Journal officiel du texte. Les semi-conducteurs, ou les puces sont utilisés dans tous les produits électroniques et sont de fait des composants à emploi dual : civil ou militaire. Ils servent aussi bien au dernier smartphone, qu’à la recherche en Intelligence artificielle ou dans le système de guidage d’un missile.
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C’est pour cette raison que « L’arrêté porte sur un certain nombre de technologies très spécifiques pour le développement et la fabrication de semi-conducteurs avancés » développe Liesje Schreinemacher. La Haye s’attend à une vingtaine de demandes de licences par an. Elles viendront probablement toutes d’ASML.
Nichée dans la banlieue d’Eindhoven, l’entreprise occupe une place unique dans l’écosystème des semi-conducteurs. Elle détient le monopole sur les systèmes de lithographies EUV, pour extrême ultraviolet, les plus avancés du monde. Ils sont déjà soumis à un régime de contrôle à l’export depuis 2019, le nouveau règlement les couvre également. Depuis 2019, par exemple, aucun n’a été envoyé, au hasard, en Chine.
ASML devra désormais demander l’autorisation pour exporter certaines de ses machines à lithographie profonde par ultraviolet, ou DUV. Elles représentent la génération précédente et sont légèrement moins avancées. Le Financial Times estime que plusieurs dizaines de commandes, destinées à la Chine, risquent d’être annulées. ASML, de son côté, n’a pas changé de position depuis son bilan d’activité 2022, ses résultats ne devraient pas être affectés. La Chine représente 15 % de ses parts de marché, mais la demande est en train d’exploser partout, ce qui devrait compenser le manque à gagner.
Les Pays-Bas au milieu des rivalités sino-américaines autour des semi-conducteurs
S’il est autant question de l’Empire du Milieu, c’est parce que le pays est bel et bien la cible de ce texte. Depuis octobre 2022, les États-Unis ont pris des mesures fortes de limitation des exportations de semi-conducteurs avancés vers la Chine. Le caractère dual des composants est mobilisé comme prétexte, mais les autorités américaines admettent ouvertement vouloir entraver les progrès technologiques de leur rival.
C’est pour cette raison que Washington a engagé des discussions avec Tokyo et La Haye, deux pays ayant des entreprises vendant des outils de fabrication de semi-conducteurs. En novembre 2022, Liesje Schreinemacher affichait une certaine distance avec les volontés américaines, avant d’évoluer sur la question. Un accord a, semble-t-il, été trouvé en janvier, puis officialisé deux mois plus tard.
La Chine, de son côté, ne souhaite pas se laisser faire. Son ambassadeur avait tenu des propos véhéments dès mars, dans le pur style de la diplomatie chinoise. La publication de la réglementation a donné l’occasion d’un nouveau commentaire, lors de la conférence de presse de Mao Ning, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, le 30 juin.
Lors de cette prise de parole, elle n’a pas pris la peine de citer les Pays-Bas, mais s’en est prise aux États-Unis directement. Elle a proclamé que la Chine s’oppose à ce qu’ils utilisent « toutes sortes de prétextes pour enrégimenter ou contraindre d’autres pays à se joindre à leur blocus technologique contre la Chine ». Argument classique, Mao Ning a accusé Washington de déstabiliser la chaîne d’approvisionnement mondial. Elle a conclu en assénant « Nous suivrons de près l’évolution de la situation et défendrons fermement nos droits et intérêts légitimes ».
Le règlement néerlandais entrera en application le 1er septembre. Ce 3 juillet, Pékin a annoncé restreindre, à partir d’août, l’exportation de deux métaux utilisés dans l’industrie des puces, le gallium et le germanium.