TikTok, le réseau social de l’entreprise chinoise ByteDance fait l’objet de plusieurs enquêtes en Europe et aux États-Unis. En France, le Sénat a ouvert une commission d’enquête visant à déterminer les risques encourus pour la sécurité nationale et par les jeunes utilisateurs. Le 8 juin dernier, deux responsables de la branche française de l’entreprise se sont exprimés. Ce lundi 19 juin, c’est au tour de Jean-Noël Barrot, ministre délégué de la transition numérique, de prendre la parole devant les sénateurs pour détailler l’évolution de la mise en conformité de l’entreprise au regard des lois européennes.

« TikTok est soumis aux lois européennes et françaises »

Comme le mentionne le ministre en début d’audience, TikTok, par son succès indéniable, a conquis la planète en un temps record. Avec 1,7 milliard de téléchargements dans le monde depuis sa création en 2020, la plateforme a recueilli une quantité impressionnante de données, dont celles des Européens. Des données qui, selon le rapporteur de la commission d’enquête, Claude Malhuret, sénateur de l’Allier (LIRT), ont été transférées avec certitude vers la Chine et donc potentiellement à la portée des autorités chinoises.

En 2022, BuzzFeed a dévoilé que des employés chinois de ByteDance, avaient eu accès à des données sensibles d’utilisateurs américains. Une révélation parmi d’autres qui a poussé le gouvernement à interdire aux fonctionnaires français d’installer l’application sur leur téléphone de fonction. Le rapporteur s’interroge alors : « Le succès de TikTok est-il mérité ou repose-t-il sur un abus ? Est-il en accord avec nos valeurs ? ».

Pour prouver la capacité de l’Union européenne et de la France à imposer ses règles aux plateformes numériques, Jean-Noël Barrot a mis en avant l’arrivée du Digital Services Act (DSA), le 25 août prochain. « Le DSA obligera TikTok à faire preuve de plus de transparence quant à la modération des contenus », a-t-il déclaré. La Commission européenne pourra directement vérifier le respect du texte. TikTok risque gros en cas d’infraction, « Si ByTeDance ne respecte pas les règles, des sanctions seront prononcées allant jusqu’à 6 % de son chiffre d’affaires soit environ 560 millions d’euros et une interdiction d’utilisation en Europe » énonce clairement Jean-Noël Barrot.

Trop peu pour rassurer le rapporteur qui s’inquiète de la réalité de la fermeté du règlement. En s’emmêlant les pinceaux, Claude Malhuret a fait l’amalgame entre le fonctionnement du RGPD et du DSA. Il a critiqué la procédure du RGPD : c’est le pays hôte du siège européen d’une plateforme qui est en charge des sanctions. La plupart des géants du numérique sont installés en Irlande où l’autorité sur place est régulièrement remise en cause pour sa lenteur et la faiblesse de ses sanctions. Comme l’a rappelé le ministre, ce n’est pas le cas du DSA géré directement par la Commission européenne. Le rapporteur a toutefois justement souligné le risque de procès à rallonge et de la latence pour les plateformes à se conformer aux règles en place.

« Le modèle européen de protection des données n’est pas une faveur que nous demandons, mais une exigence », souligne Jean-Noël Barrot poussé dans ses retranchements par le rapporteur, « Mais avez-vous les moyens d’être exigeant ? ». Le ministre se montrera « intransigeant », assure-t-il. TikTok devra traiter toutes les données européennes en Europe avec « des structures qui garantissent l’impossibilité technique de les envoyer en dehors du continent ». C’est d’ailleurs l’objet du « projet Clover », présenté le 8 mars dernier par TikTok.

En réponse aux inquiétudes de l’Europe, TikTok a décidé de montrer patte blanche en adoptant de nouvelles mesures pour garantir la protection des usagers européens. Dès cette année, les données personnelles de ces usagers seront stockées dans ces centres de données européens. 1,2 milliard d’euros par an seront alloués à ce plan par l’entreprise chinoise. Le projet n’a cependant pas suffi à convaincre les sénateurs toujours soucieux d’un risque d’espionnage.

Des inquiétudes concernant un algorithme addictif pour les plus jeunes

Au-delà des données personnelles, le ministre aborde les conséquences addictives et cognitives inhérentes à l’utilisation de TikTok sur les plus jeunes, « TikTok a choisi de développer un produit fondamentalement addictif en offrant aux utilisateurs ce qu’ils désirent voir ». Il analyse que l’effet est encore plus prononcé chez les jeunes, plus sensibles à ces stimuli. Le sénateur se désole de cette situation : « Les mineurs de 13 ans ne devraient pas avoir accès à la plateforme ». Et pourtant, 90 % des jeunes de 11 à 12 ans sont sur TikTok.

Avec la mise en place du DSA, TikTok devra respecter l’interdiction de la publicité ciblée pour les mineurs et mettre en place des mesures strictes pour lutter contre les contenus illicites. De plus, Jean-Noël Barrot en profite pour rappeler que le Sénat a adopté une proposition de loi sur la majorité numérique le 23 mai dernier. Celle-ci vise à fixer l’âge légal d’accès aux réseaux sociaux à 15 ans. Il rappelle toutefois que le DSA régit le contenu des applications, mais pas les conditions d’inscription.

Le ministre du numérique conclut sa prise de parole durement en reprochant à TikTok d’avoir construit « un algorithme d’enfermement ». Jean-Noël Barrot a achevé sa déclaration conclusive en déclarant « Je suis certain que la Commission d’enquête saura faire des recommandations pour orienter l’action qui doit être la nôtre ».