Avec la révolution numérique, impossible de se passer des nouvelles solutions digitales pour travailler plus intelligemment et efficacement. Parmi les technologies clés d’aujourd’hui et de demain, nous retrouvons les jumeaux numériques, ou digital twins en anglais. Bien loin d’être un concept futuriste, ils sont déjà utilisés dans l’automobile, le BTP et l’industrie.

Ces répliques digitales d’usines, de villes ou encore d’organes contribuent à intensifier l’innovation. Siècle Digital vous embarque à la découverte de cette révolution qui bouscule tous les secteurs pour comprendre le fonctionnement de cette technologie, ses promesses et son développement.

Pour cela, nous avons fait appel à Michel Morvan, cofondateur de Cosmo Tech, entreprise française spécialisée dans les jumeaux numériques. Nous avons également échangé avec Florence Verzelen, Directrice Générale adjointe en charge des Industries, du Marketing et du Développement Durable de Dassault Systèmes.

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Jumeaux numériques : de quoi parle-t-on ?

Depuis quelques années, les jumeaux numériques sont au cœur de bon nombre de conversations et font l’objet de plusieurs dossiers et articles. Au fond, de quoi s’agit-il ? Les digital twins sont des reproductions numériques d’une organisation ou encore d’un objet. Ce dernier est équipé de capteurs IoT, permettant de faire remonter des données en temps réel.

Grâce à celles-ci, il est possible d’anticiper des dysfonctionnements et d’identifier les ajustements à effectuer. Plusieurs situations peuvent être simulées et de nombreuses analyses peuvent être réalisées, notamment pour les performances.

« Admettons que j’ai le design d’un avion virtuel. Je peux lui faire faire des tas de tests, le mettre dans toutes les conditions possibles pour décider les meilleurs matériaux à utiliser, la meilleure technologie à insérer dans mon avion pour qu’il réponde à mes besoins dans le monde réel », explique Michel Morvan.

Ce concept intègre forcément plusieurs technologies de pointe, comme l’intelligence artificielle (IA), l’analyse de données, l’apprentissage automatique ou encore le big data. Il s’agit d’innovations clés de la quatrième révolution industrielle. Pour rappel, il est question de la convergence entre un monde virtuel de la gestion et les objets du monde réel, avec une prédominance pour les systèmes robotisés interconnectés.

Pour autant, les jumeaux numériques sont-ils considérés comme une brique de l’industrie 4.0 ? Pour certains professionnels, il s’agit plutôt d’une extension. C’est notamment le cas de Florence Verzelen. « C’est beaucoup plus large que cela », assure l’experte de Dassault Systèmes. « Je pense que l’industrie 4.0 se focalise seulement sur la partie “usine”, avec tout ce qui est automatisation des process pour gagner en efficacité. Moi, avec le jumeau numérique, je vais plus loin, je vais sur une innovation plus rapide. Je vais sur une plus grande durabilité des produits et des services qui sont créés grâce aux jumeaux numériques et je vais jusqu’au life-cycle de ceux-ci » précise-t-elle.

Un concept qui ne date pas d’hier

Pour mieux cerner le concept de jumeaux numériques et ses enjeux, il faut se pencher sur la genèse de cette technologie. Bien que son histoire varie en fonction des acteurs et des sociétés qui en parlent, une version est affirmée par plusieurs grandes entreprises, dont IBM et Microsoft.

Les jumeaux numériques seraient nés d’une idée exprimée pour la première fois par David Gelernter dans Mirror Worlds en 1991, mais la notion de répliques numériques pour étudier un objet physique remonte, elle, à bien plus tôt. La NASA aurait utilisé cette technologie au cours d’une de ses premières missions d’exploration spatiale dans les années 1960. Chaque vaisseau était reproduit dans une version à des fins d’étude et de simulation. L’agence spatiale américaine aurait utilisé des proto-jumeaux numériques pour la programmation spatiale.

Pour autant, la première réelle application des digital twins revient à Michel Grives, professeur à l’université du Michigan. Il l’a utilisée lors d’un coup sur le Product Life Management (PLM), en 2002. Cependant, le concept de jumeau numérique comme nous le connaissons aujourd’hui fut introduit en 2010 par John Vickers, qui exerce pour la NASA.

Dassault Systèmes avance une autre version. « Nous considérons que c’est notre entreprise qui a inventé le jumeau virtuel et qui a commencé par créer des bouts de digital twin il y a 40 ans, avant de passer au jumeau virtuel de l’avion complet en 1989 », soutient Florence Verzelen.

« Ce qui s’est passé sur les dix ou quinze dernières années, c’est que ces technologies qui étaient dans l’automobile et l’aéronautique sont passées à tous les biens de consommation, mais aussi dans les bateaux et sont passées dans la ville et les infrastructures. Avec notamment le premier projet de jumeau virtuel de ville, qui a été fait en 2012 avec Dassault Systèmes sur la ville de Singapour », ajoute-t-elle. L’entreprise a aussi mis un pied dans le secteur de la santé en élaborant un premier projet de jumeau virtuel du cœur il y a moins de dix ans.

Pour Michel Morvan, le cofondateur de Cosmo Tech, difficile de retracer réellement les origines de ces représentations numériques, mais il est clair que Dassault Systèmes a joué un rôle pivot aux côtés d’autres grandes sociétés.

Une technologie aux multiples promesses

Les jumeaux numériques suscitent l’intérêt de bon nombre de secteurs en raison des possibilités qu’ils offrent aux organisations qui les utilisent. En effet, ils permettent d’optimiser et d’offrir de nouvelles perspectives industrielles. Par exemple, les acteurs de l’automobile peuvent créer une réplique d’une voiture afin de tester et de simuler l’utilisation d’une nouvelle pièce. Les digital twins sont également exploitables dans des projets de mobilité afin d’essayer des scénarios d’aménagements. Pour cela, c’est la ville entière qui est répliquée.

Vous l’aurez compris, cette technologie peut être utilisée dans une large palette de domaines, dont le BTP ou la santé. « Dassault Systèmes a été dans 70 % des développements de nouveaux vaccins Covid. Pourquoi ? Parce que, en faisant le jumeau virtuel de la molécule du virus, vous pouvez lui lancer, dans le monde virtuel, toutes les molécules que vous connaissez pour accélérer la création de nouveaux médicaments », dévoile Florence Verzelen. Comme le rappelle l’experte, les limites des jumeaux numériques résident dans l’accompagnement des hommes et des femmes qui les utilisent. En effet, les jumeaux numériques restent un concept encore obscur pour certains professionnels, car il n’est pas enseigné dans leur formation, notamment celle médicale.

Pour Michel Morvan, le recours aux jumeaux virtuels présente plusieurs avantages pour les organisations, notamment pour répondre à leurs nombreux défis : accroissement du chiffre d’affaires, augmentation de la résilience, réduction de l’impact carbone… Des challenges évolutifs auxquels il faut s’adapter en permanence. Les digital twins permettent de prendre des décisions dans ces environnements complexes et incertains.

« Dans le cadre de Cosmo Tech, nous utilisions des jumeaux numériques qui ont deux caractéristiques. La première, c’est que nous prenons le système dans son ensemble, par exemple, toute une supply chain », explique l’entrepreneur. « La deuxième, c’est que nos jumeaux numériques sont faits pour simuler, montrer le futur, voir comment le système va évoluer si je fais ça ou autre chose. Les jumeaux numériques simulables à 360 degrés permettent de visualiser l’impact des actions afin d’aider à prendre des décisions », poursuit-il.

Un marché plein d’avenir

Le marché des jumeaux numériques a fait un véritable bond en avant. En 2021, il était évalué à 10,27 milliards de dollars. Il devrait atteindre une valeur de 61 milliards de dollars d’ici à 2027, rapporte Mordor Intelligence dans une étude. Le marché devrait principalement être porté par les industries manufacturières et la santé. D’un point de vue géographique, la croissance s’observera surtout en Asie.

Une question demeure toutefois : qui sont les acteurs qui opèrent dans le domaine des jumeaux virtuels ? Il y a bien entendu Dassault Systèmes, qui est l’un des pionniers, mais aussi Microsoft avec son service Azure Digital Twins et IBM. Des plus petites entreprises comme Cosmo Tech, qui a déjà travaillé pour Michelin et sas.com, se démarquent également.

Elles opèrent dans de multiples secteurs, dont l’infrastructure. « Un certain nombre de gouvernements, les États-Unis, la Chine, l’Europe ont lancé des plans de relance très forts dans les infrastructures pour donner de l’emploi aux populations locales. Si nous voulons vraiment les réaliser, il va falloir être plus avec les personnes qu’il y a dans ce secteur-là, mais aussi avec les matériaux disponibles. Le jumeau numérique apparaît comme une technologie clé pour rendre de l’efficacité à ce secteur », explique Florence Verzelen.

Dans la supply chain, les digital twins ont aussi leur rôle à jouer. Ils se sont fortement développés dans ce milieu au cours des dix-huit derniers mois. « L’enjeu, c’est d’avoir une supply chain résiliente, donc capable de se reconfigurer quand un État fermait sa frontière, quand on ne peut plus avoir accès à certains matériaux pour cause de troubles géopolitiques », ajoute l’experte.

Cosmo Tech a accompagné une entreprise du secteur. L’impact fut notable. « Elle a pu organiser sa supply chain pour utiliser tous les effets en cascade plutôt que de les subir. Il est possible de s’en servir pour augmenter son profit, par exemple de 5 %, et réduire son impact gaz à effet de serre de manière considérable », raconte Michel Morvan.

Que ce soit pour optimiser la gestion d’immeubles, détecter des maladies ou étudier le cycle de vie d’un produit, il est certain que les digital twins s’étendront à plusieurs champs d’application. Pleine de promesses, cette technologie s’annonce comme un véritable accélérateur stratégique des projets de transformation digitale.

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