« Les précédentes révolutions industrielles se sont concentrées à remplacer les efforts physiques, qu’ils soient humains ou animal, par des machines, et plus récemment avec des ordinateurs, la 4e révolution industrielle (4RI) va bien plus loin », soutient une étude (pdf) de l’Office européen des brevets (OEB).

Pour l’organisme européen, la 4ème révolution industrielle marque une étape radicale vers une économie entièrement guidée par les données. De manière très générale, la 4RI désigne les technologies de l’information et de la communication. L’Internet des Objets (IoT), le big data, la 5G ou encore l’Intelligence Artificielle (IA) sont considérés comme des technologies de la 4ème révolution industrielle. La création en 1969 de l’Arpanet, l’ancêtre d’internet, ne compte donc pas dans la 4RI, mais dans la troisième révolution industrielle. Depuis 2010, l’innovation liée à la nouvelle révolution industrielle a bondi de 356%.

Infographie sur l'innovation liée à la quatrième révolution industrielle.

Infographie sur la quatrième révolution industrielle. Crédit : Institut national de la propriété industrielle (INPI)

L’OEB note de nombreux domaines d’applications impactés par la 4RI. Certains concernent directement l’être humain, comme les applications santé, d’autres, son environnement, comme les technologies de maintenance prédictive de l’agriculture, ou encore sa sphère privée avec les technologies de domotique. La sphère du travail est bien entendu impactée par la 4RI, avec des technologies d’identification du personnel et des contrats intelligents. En ville, les technologies de la 4RI régulent en temps réel le trafic routier, optimisent la gestion des déchets et facilitent la surveillance. Du côté des transports, les véhicules autonomes et de nouvelles méthodes de suivi du fret innovent dans le secteur.

Tableau présentant l'impact des technologies de la 4RI sur différents domaines d'application.

Tableau de l’impact des technologies de la 4RI sur différents domaines d’application. Crédit : Office européen des brevets

Si c’est avant tout la recherche scientifique qui rythme cette mutation de la société, celle-ci se déroule sous les yeux des acteurs de la propriété industrielle, domaine comprenant le droit des marques et le droit des brevets. Les brevets reflètent les dernières avancées. Ils servent à protéger une idée, la commercialiser et la partager sous forme de licences.

Entre 2010 et 2018, les demandes de brevets liées aux technologies de la 4ème révolution industrielle ont connu une croissance dépassant tous les autres secteurs. Au niveau mondial, en moyenne et annuellement, elles ont augmenté de 20% contre 4,2% pour les autres secteurs, la 4RI cumule donc 16 points de plus. En 2018, 40 000 familles de brevets internationales (FBI) relatives à la 4RI ont été déposées. Une FBI désigne une invention pour laquelle des demandes de brevet ont été déposées sur au moins deux territoires.

Graphique de la croissance mondiale des FBI relatives à des technologies 4RI par rapport aux autre domaines technologiques.

Croissance mondiale des FBI relatives à des technologies 4RI par rapport aux autres domaines technologiques. Crédit : Office européen des brevets

Les technologies de data management explosent pour la 4ème révolution industrielle

Trois champs technologiques sont essentiels à l’essor de la 4RI : les technologies de base, les complémentaires et les domaines d’application. Les technologies de base concernent la connectivité, le matériel informatique et logiciel. Celles dites complémentaires sont utilisées en association avec les objets connectés, comme la gestion des données, la géolocalisation ou les systèmes 3D. Les domaines d’application se rapportent à l’utilisation des objets de la 4ème révolution industrielle. L’Office européen dénombre 8 domaines d’application : biens de consommation, services, véhicules, santé, industrie, habitat, infrastructure et agriculture. Si l’ensemble de ces champs connaît une croissance exponentielle, celui de la connectivité bat tous les autres en termes de dépôt de brevet.

En 2018, 14 000 brevets internationaux liés à la connectivité ont été déposés, soit une croissance annuelle de 26,7% depuis 2010. Le développement de la 5G a largement contribué à ce résultat. Autre FBI dynamique, la gestion des données avec plus de 11 000 dépôts en 2018. Depuis 2010, la croissance annuelle moyenne des technologies de gestion des données a augmenté de 22,5%.

Graphique à points de l'évolution de la croissance mondiale des technologies coeur de la 4IR. 4IR

Évolution de la croissance mondiale des technologies cœur de la 4IR. Crédit : Office européen des brevets

La 4RI se fonde sur les données, pouvant provenir de sources toujours plus nombreuses et ne cessant de croître. Elles sont la matière première des technologies dites d’IA. Inversement, l’IA est essentielle pour traiter efficacement d’importants volumes de données, car la reprogrammation d’algorithmes à la main n’est plus fiable. Depuis 2010, les dépôts de brevets concernant le traitement de données ont donc sans surprise très fortement augmenté. C’est le domaine qui compte le plus grand nombre de brevets sur les technologies liées à la 4ème révolution industrielle. En tête, les logiciels servant à la planification et contrôle. De 2006 à 2012, les dépôts de brevets à l’international sur ces domaines ont stagné entre 1 000 et 2 000, puis leur développement a explosé. En 2018, la barre des 8 000 a été dépassée. Les technologies liées à l’analyse de données ont suivi la même tendance.

Graphique de la croissance des FBI liées à la gestion des données. 4IR

Graphique de la croissance des FBI liées à la gestion des données. Crédit : Office européen des brevets

La compression des données essentielle à l’accroissement de leur utilisation

De par l’essor de Netflix ou celui de la visioconférence, les usages vidéo ne cessent de croître. Avec l’augmentation des usages de la réalité virtuelle et augmentée, davantage de bandes passantes vont encore être nécessaires. D’ici 2022, 82% du trafic internet sera consacré à la vidéo. Ce format nécessite beaucoup d’espace de stockage et de débit. La réduction de ces deux points est essentielle pour maintenir la croissance du secteur. En ce sens, la compression des données incarne une solution et serait centrale à l’expansion de la 4RI en facilitant les transferts de données.

Qualcomm s’est particulièrement investi dans la compression vidéo. Ces technologies permettent de compresser des fichiers et les décompresser sans perdre de qualité. En juillet 2020, Qualcomm a annoncé sa dernière innovation : le Versatile Video Coding (VVC). En comparaison avec ses prédécesseurs, le codec VVC compresse davantage les fichiers, avec une réduction augmentée de 40%. Cet outil de compression devrait être disponible d’ici la fin de l’année 2021.

L’élevage du futur : des robots pour traire les vaches sans intervention humaine

Dans l’agriculture, l’IoT se traduit notamment par des robots pour traire les vaches. Alexander van der Lely et Karel van den Berg, finalistes du prix de l’inventeur européen de 2019, ont passé une dizaine d’années à développer un robot autonome de traite : Astronaute. Avec leur robot, les vaches entrent dans un box de traite dans lequel un badge porté en collier est scanné afin de les identifier. Le badge collecte des données sur les habitudes d’alimentation, le débit du lait, sa qualité et sur la santé des animaux. Ces données servent notamment à personnaliser l’alimentation de la vache pendant la traite. Pendant qu’elle se rassasie, le robot trouve les pis et les nettoie automatiquement, avant de s’y attacher pour la traite. Si l’animal bouge, le bras robot en fait de même. Un robot peut traire entre 55 et 70 vaches plusieurs fois par jour.

« Le robot de traite est appelé “Astronaute” tout ce que vous avez à faire c’est de penser aux sorties spatiales. Les astronautes sont connectés à la station spatiale uniquement grâce à un câble, et ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Nous laissons aux vaches une liberté totale de mouvement une fois dans le robot de traite », explique Alexander van der Lely.

Le marché des robots de traite est évalué à 1,1 milliard d’euros et devrait atteindre 2,5 milliards d’euros d’ici 2027, soit une prévision de croissance annuelle de 11,4%. L’entreprise néerlandaise Lely compte trois départements de recherche et développement et a déposé plus de 140 brevets dans au moins deux pays.

Des vitres intelligentes pour climatiser et chauffer les bâtiments

Parmi les applications de la 4RI en domotique, SageGlass s’est penché sur les vitrages thermo-isolants. De manière grossière, c’est l’équivalent d’une couverture de survie pour les vitrages. Une certaine teinte du verre capte de la chaleur, une autre du froid. En hiver, le verre utilise l’énergie du soleil pour chauffer. En été, les vitres s’assombrissent pour rafraîchir les bâtiments.

Cette technologie est étudiée depuis les années 80, mais elle est restée longtemps limitée faute de pouvoir contrôler les changements de couleur du verre. Problématique à laquelle le chercheur français a répondu avec les nanotechnologies. Les chercheurs ont développé un verre électrochrome, aussi appelé verre intelligent ou verre dynamique, qui modifie ses teintes grâce aux courants électriques.

L’utilisateur peut choisir le niveau de transmission de la lumière visible qui change en fonction de la tension électrique diffusée dans les 5 couches composant les vitres. La température d’une pièce est ainsi contrôlée simplement en pressant un interrupteur mural, en se connectant à une application ou encore en s’adressant à Alexa d’Amazon. Il est possible d’automatiser ces changements grâce à des capteurs modifiant les verres en fonction de la luminosité.

Les bâtiments utilisent environ 40% de la consommation énergétique mondiale. Pour 180 mètres carrés de surface, les verres SageGlass nécessitent moins d’énergie qu’une ampoule de 60W. Depuis 2003, les verres de l’entreprise ont été installés dans plus de 700 projets de construction. Des bureaux pourraient l’utiliser pour chauffer ou rafraîchir les bâtiments en fonction de la position du soleil. L’invention est particulièrement intéressante pour les musées. Elle pourrait protéger certaines œuvres des effets néfastes de la lumière, comme la décoloration.

En 2019, le marché du verre intelligent était évalué à 1,1 milliard d’euros. Les prévisions pour 2027 le fixent à 2,1 milliards d’euros, ce qui équivaut à une croissance annuelle moyenne de 9%.

Les États-Unis en tête pour la 4ème révolution industrielle

Les centres d’innovations mondiaux sont majoritairement concentrés à proximité de grandes agglomérations renfermant dans leurs murs des institutions, entreprises et centres de R&D.

Cartes des clusters mondiaux de la 4IR.

Cartes des clusters mondiaux de la 4IR. Crédit : Office européen des brevets

Les États-Unis sont en tête de l’innovation liée à la 4ème révolution industrielle. Un tiers des FBI liés à la 4RI sont déposés par des entreprises américaines. Depuis 2000, la croissance annuelle moyenne des États-Unis dans le domaine s’élève à 18,5%. L’Europe arrive en seconde position avec une croissance de 15,5% des dépôts de brevets à l’international. Le vieux continent est talonné de très près par le Japon qui en comptabilise 15,8%. La Chine et la Corée du Sud arrivent respectivement quatrième et cinquième. Néanmoins, en se basant sur la croissance, les deux pays asiatiques seraient aux deux premières places. Depuis 2010, la Chine a enregistré une croissance des FBI de 39,3% et la Corée de 25,2%.

Graphique de la croissance des FBI relatives aux technologies de la 4RI par centre mondial d'innovation, 4IR.

Croissance des FBI relatives aux technologies de la 4RI par centre mondial d’innovation. Crédit : Office européen des brevets

De fait, les entreprises issues de zones géographiques dynamiques le sont également. Ainsi, Samsung domine la 4RI avec 12 000 FBI, soit 4,6% des inventions depuis 2000. Le coréen est suivi par deux autres acteurs asiatiques : Sony avec 6 401 et LG avec 6 290 brevets. Arrive enfin le premier acteur américain, Qualcomm avec 6 223 brevets déposés dans au moins deux pays. La suite du top 10 en ordre croissant : Microsoft, Huawei, Intel, Nokia, Apple et Ericsson.

La France se distingue sur les technologies complémentaires

Du côté du continent européen, la France se classe troisième en possédant 12,5 % des brevets liés à la 4ème révolution industrielle. L’Allemagne domine avec 29 % des brevets, suivie par le Royaume-Uni qui en possède 14,3 %. Malgré une place sur le podium des dépôts de brevets, la France est à la traîne en termes de croissance. Sa croissance annuelle s’élève à 11,5%, moins que la moyenne mondiale de 19,5% et que les 15,5% de l’Europe.

L’hexagone est particulièrement dynamique sur les technologies complémentaires, soit celles utilisées avec des objets connectés : sécurité, protection des données ou systèmes 3D. Ainsi que celles concernant le développement d’applications : infrastructures intelligentes, véhicules intelligents, maisons intelligentes. Plusieurs entreprises françaises se hissent parmi les 100 meilleures du monde sur l’innovation liée à la 4RI. Technicolor se classe 48e, Orange 60e, Thales 89e et Valeo 96e.

Tableau des spécialisations des pays européens par champs technologiques. 4RI

Tableau des spécialisations des pays européens par champs technologiques. Un résultat est considéré comme significatif à partir de 1. Crédit : Office européen des brevets

Avec la 4RI les usines et voitures deviennent autonomes, les IA anticipent les besoins des consommateurs, l’énergie est distribuée par des réseaux intelligents, les chirurgiens deviennent assistés par des robots, les villes sont connectées et les traitements de données optimisent l’agriculture. D’après une étude de Cisco, d’ici 2023, 29 milliards d’appareils seront connectés à internet. Parmi ces 29 milliards, sont comptés les ordinateurs portables, les smartphones, les montres, lunettes, vêtements, compteurs, réfrigérateur, fenêtres et implants intelligents, les drones, les véhicules autonomes, les robots d’usines, de chantiers ou d’hôpitaux. Mis à part quelques exceptions, tous ces appareils sont dotés de capteurs et de processeurs, les rendant capables de se connecter à internet. L’IoT devrait représenter la moitié de toutes les connexions mondiales d’ici 2023 et marquera une étape majeure dans la démocratisation des technologies au sein de la vie quotidienne.

Graphique prévisionnel du nombre d'objets connectés en 2023. 4IR.

Graphique prévisionnel du nombre d’objets connectés en 2023. Crédit : Cisco et Office européen des brevets

« Les responsables politiques doivent relever le défi de soutenir et de réglementer ces nouvelles infrastructures numériques, créer des cadres juridiques appropriés pour préserver la concurrence, la cybersécurité et les droits des consommateurs à l’ère numérique », indique l’étude de l’OEB.

Au même titre que les révolutions industrielles précédentes, la 4ème soulève des questions économiques, sociales et éthiques. La responsabilité juridique des décisions prises par une IA va encore occuper plusieurs juristes. Par ailleurs, si les données apportent une plus-value sans précédent, leur piratage en devient d’autant plus intéressant, ce qui représente des problématiques majeures pour les gouvernements et les entreprises. L’automatisation de certaines tâches va profondément modifier la nature du travail. Pour un pays comme l’Inde dont la population est nombreuse et continue de s’accroître, et qui s’industrialise avec des usines de plus en plus autonomes, les conséquences pourraient se traduire par un taux de chômage sans précédent.

« Cela fait une centaine d’années que nous essayons de faire travailler la machine pour l’homme et d’éduquer l’homme à servir la machine. On s’aperçoit maintenant que la machine ne “marche” pas, que l’homme ne saurait se conformer à ses exigences, se faire à vie son serviteur », avertissait en 1973 Ivan Illich dans son ouvrage La Convivialité. Prêtre devenu philosophe, penseur de l’écologie politique, Ivan Illich incarne une figure majeure de la critique de la société industrielle.