Le 9 novembre, le chancelier Rishi Sunak a présenté les ambitions du Royaume, en matière de services financiers. Ces annonces interviennent au milieu d’une semaine de négociations décisives entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur un accord commercial post-Brexit. L’économie, et particulièrement le secteur financier sont en effet des pivots de l’Union Européenne, et l’Angleterre ne souhaite en rien se laisser devancer. “Nous entamons un nouveau chapitre dans l’histoire des services financiers et renouvelons la position du Royaume-Uni en tant que première place financière mondiale. (…) Nos plans [sur les monnaies numériques de banque centrale, ndlr]) permettront au Royaume-Uni de progresser en tant que marché ouvert, attractif et bien réglementé” a déclaré le chancelier de l’Échiquier.
Parmi ses annonces, le renforcement de la compétitivité, de l’ouverture, de la finance verte, et l’exploration du potentiel des technologies financières. Sur ce dernier point, le pays souhaite particulièrement insister sur les monnaies digitales : il reconnaît les avantages des stablecoins, et assume être en train d’effectuer des recherches sur les MNBC.
Inscrivez-vous à la newsletter
En vous inscrivant vous acceptez notre politique de protection des données personnelles.
En quoi cela est-il intéressant ? Bien que de nombreuses banques centrales du monde, comme la Corée, ou encore la Chine, aient annoncé ces derniers mois leur volonté active de développer une MNBC, la Banque d’Angleterre nous parle de stablecoins, “(…) des monnaies numériques privées qui pourraient transformer la façon dont les gens stockent et échangent leur argent, rendant les paiements moins chers et plus rapides” selon Rishi Sunak.
Les stablecoins qu’évoquent le chancelier britannique sont ces cryptomonnaies adossées à des actifs stables comme le dollar, pour stabiliser leur valeur et minimiser l’habituelle volatilité des cryptomonnaies comme le bitcoin, que l’on voit grimper en flèche ces jours-ci. Un exemple, pour illustrer : si le prix du bitcoin est à 2 000 dollars et que l’on décide d’en échanger une unité contre un stablecoin adossé au dollar même, on obtiendra 2 000 unités du stablecoin en question. Si le cours du bitcoin monte, descend et même dégringole, nos unités en stablecoin ne changeront pas de valeur.
Un stablecoin n’est pas une monnaie numérique de banque centrale (MNBC), qui elle, est émise et contrôlée grâce à une blockchain privée monitorée par une banque centrale, utilisant un protocole appelé “preuve d’autorité ». Le stablecoin, à l’inverse, repose sur une blockchain publique, bien qu’il soit contrôlé par un organisme central aussi. Et celui-ci est une source d’enjeux. Qui ne se rappelle pas les émois qu’avait engendrés la stablecoin de facebook, la Libra, à son annonce ? Les Etat s’en méfient, tout comme ils redoutent les cryptomonnaies en général, symbole de défi à la souveraineté monétaire de l’État.
Pour autant, le Royaume-Uni ne rejette pas l’idée de la MNBC, et est actuellement en phase de recherche sur le sujet, recherches étant prétendument “presque terminées”. Les problèmes majeurs, comme bien souvent, se concentrent sur la réglementation et le design de ces monnaies numériques.
Les MNBC peuvent être conçues, entre les multiples aspects qui les façonnent, comme une tentative de reconquête de cette souveraineté monétaire menacée, et de contrôle sur les offres du secteur privé en termes de technologie financière (connue sous le terme “fintech”). Il est donc surprenant de voir l’Angleterre évaluer non seulement la MNBC, mais aussi les stablecoins : utiliser une blockchain publique, par sa nature, engendrerait des conséquences contredisant le système bancaire traditionnel. Il est aussi à rappeler que la blockchain est née précisément d’une volonté de contrer l’État, ce qui rend bien ironique leur possible usage par des banques centrales (les banques des États) aujourd’hui.
Les blockchains (publiques) ont été conçues à l’origine “au service d’une pensée anarcho-libertarienne visant à s’extraire du carcan étatique en faisant l’expérience d’une monnaie virtuelle sans banque centrale, sans tiers de confiance, dont la masse monétaire serait fixée par un mécanisme informatique conçu par des acteurs privés” peut on lire dans un rapport d’information sur la blockchain des députés Mme Laure De la Raudière et M. Jean-Michel Mis. Et pourtant, le mois dernier, le gouverneur de la Banque d’Angleterre Andrew Bailey déclarait que “les stablecoins pourraient offrir des avantages utiles, et pourraient réduire davantage les frictions dans les paiements, en augmentant potentiellement la vitesse et en abaissant le coût de ceux-ci”. L’utilisation de la blockchain représente en effet un moyen sécurisé, rapide, et sans intermédiaire, de transférer de l’argent. Pour l’Angleterre, deuxième place financière avec Londres et sixième économie mondiale derrière les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne et la France préparant son plan de survie post-Brexit, de telles monnaies représentent aussi l’ouverture et la promotion des innovations technologiques. La mise en place d’une infrastructure blockchain utilisée par l’Etat permettrait d’intégrer des fonctionnalités comme l’argent programmables et les “smart contracts” (un contrat automatisé dont les termes de l’accord entre l’acheteur et le vendeur sont écrits en lignes de codes), tout en laissant libres cours à de potentielles innovations pour améliorer le système, attirant ainsi les start-up dans le pays.
Conscient, pourtant, des difficultés qui peuvent découler de ces stablecoins émises par le secteur privé, Rishi Sunak a récemment tweeté que le Trésor “publiera une consultation pour garantir que les nouvelles devises émises par le secteur privé (les stablecoins) répondent aux normes établies que nous attendons des autres méthodes de paiements”, à l’image de l’Union Européenne qui consulte encore actuellement la population à propos de l’euro numérique.