Alors qu’en février 2021 une subvention de 800 000 euros a été accordée à Huawei de la part de la région Grand Est pour la construction controversée d’une usine près de Strasbourg, une enquête du Monde, publiée le 3 mars 2021, met au grand jour des pratiques musclées de lobbying. En 2019, Huawei France a déclaré avoir investi entre 400 000 et 500 000 euros pour améliorer son influence, ce qui équivaut aux dépenses de la SNCF et dépasse celles de Peugeot.

À la tête de la communication de Huawei France se trouve Shuo Han, appelée Linda Han. À 35 ans, la femme d’affaires s’est retrouvée, en 2019, vice-présidente des affaires publiques de Huawei chargée de la France.

Dès lors, Linda Han s’entoure et rencontre d’anciens hauts responsables politiques, d’entreprises, ainsi que des lobbyistes reconnus : conseiller du groupe les républicains, membre de la cellule diplomatique du ministère de l’Intérieur, secrétaire d’État aux affaires européennes, conseiller municipal à Levallois-Perret, députés, réserviste opérationnel des forces spéciales, ami de longue date de François Hollande, avocat sorti de l’ENA, lobbyiste du secteur du tabac, lobbyiste de la Poste, lobbyiste pour des entreprises appartenant au conglomérat chinois HNA, directeur des relations internationales de Thalès. Certains des postes énoncés ont été occupés par la même personne. Le Monde détaille ces profils tout au long de son enquête.

« Ils sont prêts à tout pour faire une photo à l’Élysée, qu’ils pourront ensuite envoyer à Shenzhen »

Parmi ces personnalités se trouve Henri Soupa, qui après avoir occupé diverses fonctions publiques, se retrouve à la direction des affaires publiques de Huawei. Malgré un salaire à 9 000 euros l’homme n’est resté que quelques mois : « J’avais un problème de conscience », admet-il. « Ayant servi le gouvernement français, j’étais mal à l’aise de travailler pour une entreprise dont les liens avec le pouvoir chinois sont aussi ambigus », confie-t-il au Monde. Après avoir quitté son poste en février 2020, il est remplacé par un ancien lobbyiste de La Poste, Philippe Régnard.

« Si tu as une agence de com’, la chose la plus facile est d’aller prendre un chèque chez Huawei en promettant de leur faire rencontrer n’importe quel député ou conseiller », explique au Monde un communiquant resté anonyme. Pour se rapprocher des personnes ayant des postes à responsabilités, un des meilleurs « coup » de Huawei a été l’installation, en octobre 2020, de son sixième centre de recherche dans le 7ᵉ arrondissement de Paris, à proximité de Matignon et des ministères. Par ailleurs, Huawei sait se montrer généreux. Ainsi, l’entreprise a offert 6 millions d’euros à l’Institut [privé] des hautes études scientifiques (IHES). « Ce n’est pas Huawei, c’est la mécanique gouvernementale chinoise qui est à l’œuvre », estime un industriel influent resté anonyme qui s’est confié au Monde.

Néanmoins, cet attirail de personnalités reste à nuancer. Le service des affaires publiques de Huawei connait un fort turnover et tout le monde n’accepte pas de rencontrer les responsables de l’entreprise. C’est le cas de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance. Par ailleurs, la quête ultime de Linda Han, rencontrer le président de la République française, n’a pas encore été atteinte. « Ce serait le Graal absolu. Ils sont prêts à tout pour faire une photo à l’Élysée, qu’ils pourront ensuite envoyer à Shenzhen », raconte au Monde une source anonyme proche de l’entreprise.