Selon une étude du ministère de la Santé publiée le 8 juin dernier, 38 % des professionnels hospitaliers souffriraient de dépression et 28 % d’anxiété. Parmi les causes, on retrouve les « conditions de travail difficiles » propres à l’hôpital, les « surcharges inhabituelles de travail », et les « difficultés à concilier vie personnelle et professionnelle ». Depuis plusieurs années, la société américaine Nuance mise sur la transformation numérique pour améliorer l’expérience des médecins en développant de nouvelles technologies de reconnaissance vocale que l’on retrouve dans la solution Dragon Medical One. Elle est utilisée par 77 % des hôpitaux et 10 000 établissements de santé dans le monde
Le Dr Arnaud Wilmet, directeur médical France de Nuance aborde les enjeux et innovations tels que le cloud et l’IA, dans une interview à Siècle Digital.
Siècle Digital : quel a été votre parcours avant de rejoindre Nuance ?
Arnaud Wilmet : Je suis médecin généraliste de formation. J’ai fait un master d’économie et de la gestion de la santé au CNAM à Paris puis j’ai été embauché à la CPAM de Paris pour gérer un centre de bilan de santé pédiatrique avec une équipe de 100 personnes. En 2007, le centre était complètement papier et, en tant que médecin, j’ai été chargé de digitaliser le parcours. J’ai travaillé avec mes confrères pour créer un dossier patient informatisé avec la gestion des agendas, le parcours etc.
Après avoir fait mes premières armes dans la digitalisation, j’ai été embauché par Cerner, un éditeur de logiciels américain, l’un des leaders américains avec Epic. J’ai accompagné des digitalisations de CHU de 2013 à 2015. Je suis ensuite partie aux États-Unis à Cerner US, j’étais en lien avec les gros clients américains et surtout les groupes hospitaliers américains. Après 3 ans je suis rentré en France et j’ai eu un poste de directeur médical pour une start- up française de télémédecine. En janvier 2022, j’ai intégré Nuance pour prendre la direction médicale de la France et je dirige aujourd’hui plusieurs médecins en dehors des US.
SD : Pouvez-vous nous en dire plus Dragon Medical One ?
AW : Notre cœur de métier chez Nuance c’est la reconnaissance vocale portée par l’intelligence artificielle, depuis très longtemps. Notre technologie propriétaire existe depuis une vingtaine d’années. Dragon a commencé à être utilisé en France en 2010. La solution Dragon c’est la reconnaissance de la voix, c’est-à-dire comment je retranscris une voix en texte pour reconnaître le langage et la terminologie médicale. Nous sommes spécialisés pour les professionnels de santé. Notre outil reconnaît les posologies et les médicaments. Quand le médecin dicte, le taux de reconnaissance est proche des 100 %. Plus Dragon vous connaît, plus il va s’adapter à votre profil. Il s’adapte à votre façon de parler, à votre construction de phrase et à la voix. Ce qui fait la force de Dragon c’est sa qualité de reconnaissance vocale.
Pour simplifier, on aide à collecter l’information par la voix et à l’intégrer au dossier patient au bon endroit. C’est un outil multilingue, disponible dans 20 langues. Environ 40 000 médecins en France utilisent Dragon. Ce n’est pas une solution nouvelle, mais avec le temps on améliore de plus en plus l’algorithme.
SD : Quelle est l’ambition de Nuance derrière cette solution ?
AW : Faciliter la vie des médecins au quotidien. Avant, il y avait une secrétaire et un médecin. Aujourd’hui, on est dans une dynamique différente, on doit mettre l’info en temps réel dans le dossier patient. Avec la reconnaissance vocale, on gagne du temps par rapport à la frappe et en tant que médecin, on préfère passer plus de temps avec le patient.
Sur une journée, un médecin peut gagner une à deux heures de travail. Il est plus dans l’instantanéité et a moins de charge mentale. Il dicte devant le patient, le patient entend et les risques médicaux légaux sont diminués.
SD : À qui s’adresse-t-elle ?
AW : L’ensemble de la population médicale. Médecin indépendant, cabinet médical, hôpitaux privés, publics, médecins du travail. Tous les médecins sont concernés.
SD : Le rachat par Microsoft l’année dernière a-t-il impacté votre activité ?
AW : Nous travaillons avec Microsoft depuis bien plus longtemps. Notre solution est portée par le cloud Microsoft Azure. Ils ont les outils et le cloud et nous avons la connaissance du domaine médical. En rachetant Nuance, Microsoft a eu accès à tout ce qui est digitalisation et connaissance des soins par des médecins.
Avec eux, nous avons développé DAX (Dragon Ambient eXperience) Express, une application déployée à travers Dragon Medical One qui combine les performances de GPT-4 d’OpenAI et notre IA ambiante. Avec l’arrivée de GPT-4, on a regardé comment faciliter encore plus la documentation clinique des médecins. On a utilisé en plus de cette IA, une technologie qui écoute la discussion entre le patient et le médecin et qui retranscrit automatiquement pour proposer un compte rendu médical. GPT -4 a apporté une nouvelle technologie pour faciliter ce deuxième temps : la génération d’un compte rendu à partir du script.
SD : Dernièrement, vous avez présenté un partenariat avec Epic Systems pour intégrer DAX Express. En quoi cela consiste ?
AW : Le but de ce partenariat est d’intégrer encore plus notre solution DAX dans le dossier patient. Aujourd’hui Epic détient environ 38 % à 40 % des parts de marché des hôpitaux aux États-Unis. Avec Epic, l’ambition est d’aller piocher l’information dans le dossier patient, analyser les antécédents et proposer un diagnostic et des examens complémentaires. On est justement en train de construire ce copilote pour le médecin autour des solutions Dragon.
SD : Comment votre solution par l’IA a-t-elle été accueillie auprès des médecins ?
AW : Le taux d’adoption en France est très bon. Nous sommes le troisième pays dans le monde a avoir le mieux adopté la solution. Les anciens médecins qui sont très dans le narratif sont convaincus tout de suite par l’idée de gagner du temps. C’est assez convaincant de voir que nous pouvons documenter dans le dossier patient en temps réel.
SD : Pensez-vous que le rôle du secrétaire médical sera amené à disparaître ?
AW : Il va évoluer, mais ne va pas disparaître. Tout comme la technologie ne remplacera jamais un médecin. On aura toujours besoin d’un médecin pour corriger et adapter un diagnostic.
L’IA apporte simplement une nouvelle information, elle peut nous aiguiller sur des maladies rares et des analyses complémentaires. Aujourd’hui le rôle du secrétaire est plus poussé que de la simple frappe, donc à ce niveau de développement, l’IA ne pourra pas le remplacer. Elle vient plutôt en complément.
SD : Quels sont les enjeux à venir de la technologie dans le domaine médical ?
AW : Premièrement la formation des universitaires. C’est en cours, puisque le ministère veut intégrer des modules sur cette thématique dans le cursus médical. Puis, le monde de la santé a été très en retard en matière d’innovation et d’avancées technologiques. Aujourd’hui on est en train de rattraper ce retard. On est capable de gérer de l’humain avec de l’humain tout en intégrant la technologie. En tant que directeur médical je trouve que c’est un super défi en termes de cas d’usage pour la santé et nous sommes en train de développer cela. Plusieurs choses vont arriver dans les mois et années à venir. Pour l’instant Nuance va continuer le développement du DAX Express et proposer d’autres pilotes médicaux.