Les confinements successifs ont fait émerger de nouveaux modes de consommation, au cœur desquels le digital est roi. Cet essor de l’e-commerce a permis de grandes avancées pour le retail media, ces annonces publicitaires diffusées par une marque sur un site ou une application de vente en ligne d’un retailer. Le concept connaît aujourd’hui une croissance importante : selon le guide The Marketer’s Toolkit 2023 de Warc, les dépenses publicitaires mondiales en retail media devraient augmenter de 10,1 % en 2023 pour atteindre 121,9 milliards de dollars.

En quoi consiste ce concept ? Comment transforme-t-il le monde de la publicité digitale ? Quels sont les avantages pour les annonceurs, les distributeurs et les consommateurs ? Pour répondre à toutes ces questions, Siècle Digital a échangé avec deux experts en la matière, Tanguy Le Falher, Head of Retail Partnerships de CitrusAd et Gwenola Coicaud, Managing Director Retail Media de Criteo.

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Retail media, un concept d’hier qui se renouvelle aujourd’hui

Si vous évoluez dans les domaines du marketing, de l’e-commerce ou encore de la communication, vous avez peut-être récemment lu ou entendu les mots “retail media” lors de votre veille ou de conversations avec vos pairs. Pour autant, le concept n’est pas nouveau. « Si je fais un parallèle avec le monde historique des distributeurs que l’on connaît, le monde du magasin, concrètement, ça a le même objectif qu’une tête de gondole en magasin ou qu’une publicité installée au sein d’un rayon, c’est de faire émerger une marque pour accroître sa visibilité, et donc ses ventes », explique Gwenola Coicaud.

Le retail media existe depuis plusieurs années en magasin. Côté digital, nous parlons de troisième vague, survenue après le search développé par Google et le social, popularisé par Facebook, Instagram et désormais TikTok. « Le retail media digital est assez récent, car les technologies ne sont finalement pas si vieilles que ça. Cela s’est vraiment accéléré ces dernières années. Il y a eu plusieurs évolutions technologiques », raconte Tanguy Le Falher.

Le retail media s’est également développé au rythme des transformations des comportements d’achat des consommateurs, surtout durant la pandémie. Ils ont pris le réflexe de se tourner vers leurs smartphone ou ordinateur pour se procurer un produit. De ce fait, il est devenu indispensable pour les marques d’être présentes en ligne. Le retail media a alors pris de plus en plus de poids dans les investissements des annonceurs, notamment en raison de la performance que cette activité leur apporte.

Le retail media : une palette exhaustive de formats publicitaires

Si le concept de retail media paraît clair, une question subsiste toutefois : comment ces annonces apparaissent-elles sur nos écrans ? Il y a plusieurs formats publicitaires : certains sont sur des sites et des applications de distributeurs, d’autres sont sur l’open web, utilisant la first-party data des retailers. Gwenola Coicaud distingue deux cas de figure. « Nous avons tout d’abord les produits sponsorisés. Ce sont des tuiles natives qui ressemblent à n’importe quelle tuile d’un site de distributeur. Celles-ci permettent de mettre en avant un produit. Elles sont vendues aux enchères aux Coût Par Clic (CPC) avec, pour but, d’accélérer la conversion d’un produit », explique-t-elle.

Il y a également les displays, c’est-à-dire des bannières ciblées qui permettent de pousser le message d’une marque sur un type de page spécifique. Les contenus peuvent être statiques ou dynamiques. Dans le cas où un consommateur navigue sur un site à la recherche d’un nouveau smartphone, il peut voir apparaître une publicité Samsung ou Apple mettant en lumière leur dernier téléphone. C’est une façon d’adresser le bon message, à la bonne personne et au bon moment.

Pour les entreprises souhaitant expliquer le cœur de leur activité ou de leurs produits, d’autres formats peuvent également être utilisés. Des annonces publicitaires sont alors diffusées sur des pages de marques ou des shop in shop, qui sont des espaces dédiées à des annonceurs sur un site marchand, mais plus pédagogiques. « Il y a aussi la partie off site, cette extension d’audience où la société va pouvoir utiliser la donnée du distributeur en dehors de son écosystème pour aller toucher une audience précise », détaille le Head of Retail Partnerships de CitrusAd.

C’est grâce à cette first-party data que les marques peuvent piloter leur stratégie de retail media et mesurer l’impact de leurs publicités sur les sites des distributeurs. Outre le pan analytique, ces informations sont utiles pour en savoir davantage sur les habitudes d’achat de leurs cibles et comment les atteindre, que les acheteurs soient sur un site d’un distributeur ou sur un autre réseau digital. « Il n’y a pas de vision à l’individu, ce sont juste des données agrégées qui sont partagées et vendues par le distributeur », souligne Tanguy Le Falher.

Des avantages pour les marques, les distributeurs et les consommateurs

Le retail media a un intérêt pour chacun des acteurs impliqués, à commencer par les marques. Pour ces dernières, c’est un moyen d’accroître la visibilité de leurs produits et d’émerger en haut des pages des sites des distributeurs. In fine, cela permet de générer plus de ventes.

Pour les distributeurs, le retail media offre une nouvelle manne financière, acquise grâce aux multiples formats publicitaires. « Nous avions mené une étude auprès de directeurs marketing britanniques de sites distributeurs qui avaient mis en place des espaces publicitaires sur leur site. Ils ont vu leurs revenus augmenter de 24 % sur la dernière année », détaille Gwenola Coicaud.

Enfin, il y a les consommateurs, le cœur du retail media. Les publicités poussées sont directement liées à leur recherche, à leur navigation et à leur parcours d’achat, donc pertinentes. C’est pourquoi elles ne sont pas forcément mal perçues par les acheteurs, contrairement aux publicités dites “classiques”, plus agressives et pas toujours adéquates. « Évidemment, il y a une notion de pertinence de l’outil qui est utilisé qui est très importante. Il faut avoir un algorithme de pertinence qui soit très fort, mais qui permet d’avoir une association de la publicité qui soit hyper pertinente par rapport à la requête ou par rapport à la navigation de l’internaute », précise Tanguy Le Falher.

Le retail media, accélérateur de mutation pour les distributeurs

Au fil des années, les distributeurs se métamorphosent ainsi en média. Il n’y a qu’à faire un tour sur les sites e-commerce les plus populaires pour s’en rendre compte : ils disposent tous d’espaces publicitaires qui peuvent être exploités pour atteindre une certaine audience en quête d’un produit spécifique.

Ils s’arment de nouvelles solutions technologiques et développent des services dédiés pour accélérer le développement de cette nouvelle activité. C’est notamment le cas du côté d’Amazon. Avec sa régie publicitaire « Amazon Advertising », l’entreprise de Seattle a augmenté sa part de marché des revenus publicitaires digitaux de 7,8 % à 10,3 % de 2019 à 2020. Ce chiffre devrait continuer de grimper pour atteindre 14,6 % cette année, soit presque le double en seulement quatre ans.

La grande distribution suit également les traces du géant de l’e-commerce. Fin 2021, Carrefour a introduit Carrefour Links, une plateforme permettant aux partenaires de l’entreprise de développer une meilleure expérience client.

Pour Tanguy Le Falher, ces transformations sont fortement accélérées par le retail media, avec tous les formats publicitaires et les outils qui l’accompagnent. « L’audience des retailers est en augmentation ces dernières années », rappelle-t-il. « Comme tout publisher, comme tout éditeur, c’est cette audience-là qui permet d’aller générer des revenus complémentaires qui sont assez différents de ceux du retail classique. Si nous prenons l’exemple de la grande distribution, la marge dans le retail classique est plutôt entre 1 ou 2 %. C’est sur un chiffre d’affaires qui est très important, mais la marge est faible. Le retail media, c’est une marge beaucoup plus élevée. Selon les leviers, ça peut monter jusqu’à 80 à 90 %. C’est donc une échelle complètement différente », explique-t-il.

Gwenola Coicaud a un avis un peu plus nuancé sur la question. « Je dirais qu’en effet les distributeurs se transforment en média, mais leur objectif premier restera de la vente de produits et de générer du chiffre d’affaires lié à la vente de produits. Je ne suis pas sûre que nos distributeurs, notamment nos distributeurs français qui sont très axés sur l’user experience, privilégieront la publicité au détriment de l’expérience consommateur », assure-t-elle.

À quoi ressemblera le retail media demain ?

Pour les annonceurs comme pour les distributeurs, le retail media apparaît déjà comme un canal aux multiples promesses. Aujourd’hui, il permet aux retailers de toucher les consommateurs sur les sites et les applications qu’ils possèdent. À l’avenir, une évolution du concept pourrait être d’atteindre de nouveaux clients à travers des médias innovants, comme les télés connectées. Il faut dire qu’avec la taille de l’écran, les publicités des marques seraient mises en valeur à coup sûr. Pour les distributeurs, le défi reste de rendre exploitables les données first-party sur ces supports.

Dans les prochaines années, de plus en plus de secteurs devraient chercher à tirer parti de cette data, de ces formats et de ces plateformes. Le tourisme et la banque sont quelques-unes des industries qui s’intéressent aux possibilités offertes par ces publicités d’un nouveau genre.

Une chose est sûre, le retail media n’a pas fini de croître. D’ici à 2027, ce marché devrait peser plus de 160 milliards de dollars, toujours porté par les nouveaux modes de consommation.

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