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Ces deux dernières années, les usages des consommateurs se sont transformés. Aujourd’hui, ils se tournent presque instinctivement vers leurs écrans pour découvrir de nouveaux produits et effectuer leurs achats.

Pour s’adapter à ces nouvelles habitudes de consommation, mais également aux nouvelles tendances, les marques se voient contraintes de repenser leurs dispositifs marketing. Nombreuses d’entre elles ont opté pour le concept du retail media. Il s’agit d’annonces publicitaires diffusées par une marque sur le site web ou l’application d’un distributeur. Le but est de proposer à l’acheteur une publicité hautement personnalisée afin de le pousser à l’achat.

Souvent ramené à la somme des opérations marketing menées dans la grande distribution, le retail media se fait progressivement une place en ligne. D’après une étude du GroupM, le marché devrait peser plus de 100 milliards de dollars en 2022, marquant une hausse de 15 % par rapport à 2021, où il atteignait 88 milliards de dollars. Comment ce concept transforme-t-il la publicité digitale ? Quels sont ses avantages et ses désavantages ? Comment va-t-il évoluer ? Autant de questions auxquelles Gwenola Coicaud, Managing Director Retail Media de Criteo, a répondu au micro de Siècle Digital.

Siècle Digital : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Criteo ?

Gwenola Coicaud : Criteo est une entreprise qui est leader de la Tech. Nous fournissons aux spécialistes du marketing et aux propriétaires de médias, qu’on appelle des publishers, des publicités qui sont fiables et pertinentes. Avec notre plateforme Commerce Media, notre objectif est de générer plus de résultats commerciaux, c’est-à-dire plus de chiffre d’affaires, plus de leads pour certaines marques et plus de revenus. Criteo, c’est une entreprise française qui a presque 20 ans d’existence et qui est aujourd’hui présente dans plus de 32 pays.

SD : C’est donc une entreprise avec une grande expérience derrière elle. De votre côté, Gwenola, vous êtes Managing Director Retail Media de Criteo. En quoi consiste exactement votre travail ?

GC : J’ai rejoint Criteo il y a six ans, justement pour développer cette activité retail media en France. J’ai grandi au sein de Criteo en matière d’équipe à manager et de région à gérer. Aujourd’hui, mon rôle en tant que Managing Director de l’Europe est de piloter des équipes commerciales qui sont en relation avec les marques et les agences pour présenter notre activité retail media et faire grandir cette activité en Europe.

SD : Pour vous, qu’est-ce que le retail media ?

GC : C’est un domaine que nous avons identifié comme l’un des plus prometteurs du secteur publicitaire digital. Nous parlons aujourd’hui de troisième vague après le search et le social. Si je dois simplifier au maximum ce qu’est le retail media, ce sont des annonces publicitaires qui sont diffusées sur des sites ou des applications de distributeur. Elles ont pour objectif d’influencer le client au moment de son acte d’achat. Si je fais un parallèle avec le monde torique des distributeurs que l’on connaît, donc le monde du magasin, l’objectif est le même qu’une tête de gondole en magasin ou qu’une publicité installée au sein d’un rayon. Le but est de faire émerger une marque pour accroître sa visibilité, et ainsi ses ventes.

SD : C’est un peu la version numérique de tout ça. Vous avez parlé de troisième vague, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les deux premières justement ?

GC : Le search, qui a historiquement été développé par Google, permettait de faire émerger des sites internet en fonction des recherches effectuées par les consommateurs sur le moteur de recherche. Il y a ensuite eu le social avec Facebook et Instagram, et maintenant Tik Tok. Ces plateformes ont énormément évolué et ont finalement montré à des marketeurs des audiences très spécifiques pour pouvoir faire émerger leur marque. Aujourd’hui, nous présentons finalement à des équipes marketing des audiences first-party d’un distributeur, qui sont très spécifiques et qui sont centrées sur du comportement d’achat. Elles ont donc beaucoup de valeur, puisqu’elles sont fortement reliées à la vente. Pour une marque, c’est la possibilité d’aller contacter ce type d’audience, d’émettre une publicité et pouvoir, derrière, mesurer l’impact sur les ventes de toutes leurs communications. C’est dans ce sens que nous parlons de troisième vague : c’est la qualité de l’audience et la qualité de la mesure associées.

SD : Bien qu’il ait quelques années, le retail media semble être un concept assez neuf. Qu’en pensez-vous ?

GC : Si nous prenons le point de vue du magasin, je dirai que le concept est historique, car il y a toujours eu des relations entre des marques et des distributeurs, et la volonté pour une marque d’émerger. Si nous pensons à la partie digitale, en effet, il y a eu une énorme accélération de cette activité retail media liée à la pandémie, durant laquelle les consommateurs ont changé leurs comportements d’achat et ont accéléré leurs investissements en ligne. Dans ce cadre-là, le retail media a pris de plus en plus de poids dans les investissements des annonceurs car il devenait indispensable d’être présent en ligne là où était le consommateur. Finalement, cette activité retail media a continué à croître de par la performance qu’elle apporte aux annonceurs.

SD : Y a-t-il une forme d’annonce de retail Media qui, depuis la pandémie, a particulièrement explosé ?

GC : En effet, il y a plusieurs types de formats publicitaires, dont certains sur des sites et des applications de distributeurs. D’autres sont sur l’open web, utilisant la first-party data des distributeurs. Si je prends le premier cas, il y a deux types de formats publicitaires sur leurs sites. Nous avons tout d’abord les produits sponsorisés. Ce sont des tuiles natives qui ressemblent à n’importe quelle tuile d’un site de distributeur. Celles-ci permettent de mettre en avant un produit. Elles sont vendues aux enchères aux Coût Par Clic (CPC) avec, pour but, d’accélérer la conversion d’un produit. Il y a aussi les displays. Ce sont des bannières qui sont ciblées sur des types d’annonceurs, sur des types de pages précis, avec du contenu qui peut être statique ou dynamique. L’objectif est toujours de générer des ventes, mais, cette fois, plutôt dans une logique de considération : la marque est mise en lumière avant le produit. Dans ce cadre-là, l’enchère est au Coût Pour Mille. Ces deux types d’annonces fonctionnent donc très bien. En ces temps d’inflation et de recherche de retour sur investissement très fort, la partie produits sponsorisés, qui est vendue aux enchères aux CPC, a aussi beaucoup évolué sur cette année 2022.

SD : J’aurais presque dit le display car cela attire davantage l’œil, et donc la conversion est plus facile.

GC : La conversion est forte sur les deux. Nous avons de très bons retours sur investissement sur chacun d’entre eux. Je ne sais pas si vous êtes familier avec le ROAS, c’est-à-dire du Return On Advertising Spend. En moyenne, sur de l’activité on site, nous pouvons nous attendre à avoir des retours sur investissement qui sont de l’ordre de 500 % sur les produits sponsorisés. Comme cela se fait aux enchères, nous avons des retours sur investissement qui sont généralement plus forts que sur le display. C’est pour cette raison que je l’évoque comme étant un levier qui a beaucoup grandi sur cette année. Dans un cadre de recherche de performance, c’est le levier qui est activé en fil rouge toute l’année et qui permet de s’assurer une visibilité permanente sur les sites des distributeurs.

SD : J’ai vu que ça venait plutôt de la grande distribution. Est-ce qu’aujourd’hui c’est encore réservé à la grande distribution, le retail media ?

GC : En effet, le retail media, est très fort au sein de la grande distribution, avec toutes les enseignes alimentaires que l’on connaît en France et en Europe qui ont aujourd’hui développé leur activité. Toutefois, ce n’est pas seulement la grande distribution. Désormais, nous travaillons avec beaucoup de sites de consumers electronics. En France, il y a par exemple des sites comme Boulanger et Fnac/Darty. Nous avons signé très récemment un deal avec MediaMarkt, qui est un des leaders européens sur tout ce qui est gros électroménager. Il y a aussi des sites fashion ou encore des sites de beauté. Donc non, ce n’est vraiment plus du tout réservé à la grande distribution, même si aujourd’hui c’est là où le volume d’activité est le plus dense, parce qu’il y a un nombre de marques considérable présentes dans ce secteur.

SD : Revenons un peu sur le lien entre retail media et first party-data. Quel est l’impact du retail media sur les données des utilisateurs ?

GC : Aujourd’hui, toute la donnée que nous utilisons est first-party. C’est de la donnée qui est propre aux distributeurs et qui est utilisée à des fins de communication et de ciblage. Nous sommes sur des sites de distributeurs, ce qui veut dire qu’ils sont aussi “safe” par nature. Nous savons sur quel inventaire nous allons pouvoir communiquer et mettre de la publicité. Ensuite, comme nous utilisons de la donnée first-party, nous avons la capacité de pouvoir mesurer, derrière, l’impact sur les ventes de l’utilisation de cette donnée.

SD : J’imagine que pour gérer toutes ces données et pouvoir analyser les retombées, il faut choisir une plateforme de retail media. Il faut bien s’appuyer sur quelque chose : un support, un outil… Comment faire pour choisir quelle plateforme ou quelle technologie utiliser ?

GC : Avec notre plateforme retail media, les annonceurs ont la possibilité d’aller acheter en self-service en programmatique des inventaires sur des sites distributeurs qui sont exclusifs à notre plateforme. Ils peuvent choisir d’opérer une campagne de produits sponsorisés comme nous l’avons évoqué, ou des campagnes de display de manière totalement autonome. Ils pilotent leur campagne et la mettent en place comme ils le souhaitent. Ils peuvent augmenter ou diminuer leurs investissements si nécessaire, et tout cela, en temps réel. Ils peuvent bien entendu suivre leurs performances et l’impact de leurs campagnes sur leurs ventes. Si je dois répondre concrètement à la question, le choix de la plateforme technologique pour un annonceur se fait finalement en fonction des distributeurs qu’ils veulent toucher.

SD : J’aimerais que l’on discute un peu des avantages et des désavantages du retail media, car, rien n’est parfait, il doit y en avoir aussi. Parlons d’abord de ses atouts et notamment de ce que cela apporte au consommateur. Finalement, est-ce que ça n’apporte pas que des expériences client et des parcours d’achat facilités, plus agréables et fluides ?

GC : En effet, toute la technologie a été développée pour être très native au sein des sites distributeurs. C’est pour cela que nous avons beaucoup de formats différents, car chaque format s’adapte à la user experience du site. Déjà par nature, les publicités retail media ne sont généralement pas intrusives. Elles ont pour but de ne pas perturber le parcours d’achat du consommateur et elles sont respectueuses de leur vie privée. Ce qui est très intéressant avec l’activité retail media, c’est que finalement, les consommateurs auront une expérience d’achat enrichie, parce que nous pourrons leur proposer des produits qu’ils n’auraient peut-être pas vus naturellement. Nous savons que les nouveautés n’émergent habituellement pas en haut de page, car elles n’ont pas encore été achetées et n’ont pas encore généré de ventes. L’algorithme du site des distributeurs ne va donc pas les pousser directement. Là, grâce à ces publicités retail media, la marque pourra mettre en avant son nouveau produit, son innovation et apporter du contenu pour expliquer pourquoi ce produit a du sens. Le consommateur pourra le découvrir grâce à cette activité retail media. Le but est vraiment de générer plus de personnalisation et plus d’expériences d’achat pour le consommateur grâce à cette technologie.

SD : Pour les marques, ce sont des ventes en plus. Pour les retailers ou autres, c’est une manne de revenus supplémentaires.

GC : Exactement. Si nous pensons aux marques, il y a un adage qui est « si la marque n’est pas vue, finalement, elle n’est pas achetée ». Pour le search, il y avait une blague de se dire que le meilleur endroit pour cacher un cadavre, c’est sur la troisième page de Google de résultats de recherche. Là, c’est la même chose. Sur un site internet d’un distributeur, si le produit émerge uniquement en deuxième ou troisième page, il ne sera jamais acheté, il ne sera jamais vu. Chez Criteo, nous avions mesuré que 85 % des ventes de produits sont générées sur la première page. Si je vais un cran plus loin, c’est 30 % du chiffre d’affaires d’un site internet qui est réalisé sur les dix premières tuiles ou références d’une page. L’intérêt du retail media est donc clair pour une marque : d’être visible et d’émerger sur le haut de page des sites de distributeurs. Elle va pouvoir être plus visible et donc finalement, générer des ventes. L’objectif des distributeurs est avant tout d’avoir une nouvelle source de revenus. Ils les acquièrent grâce à ces nouveaux formats publicitaires qui sont uniques et qui répondent à ces besoins des annonceurs. Nous avions également mené une étude auprès de directeurs marketing britanniques de sites distributeurs qui avaient mis en place des espaces publicitaires sur leur site. Ils ont vu leurs revenus augmenter de 24 % sur la dernière année. Pour les distributeurs comme pour les retailers, c’est vraiment un moyen de gagner en profitabilité grâce à cette nouvelle source de revenus.

SD : Il faut donc éviter la troisième page sur Google. J’aimerais qu’on parle un peu aussi du rôle des agences. N’est-ce pas simplement de servir d’intermédiaire entre la marque et le retailer ?

GC : Les agences ont aujourd’hui un rôle clé dans cette activité retail media car, d’une part, c’est nouveau. Il y a beaucoup de test & learn dans l’approche retail media, donc leur expertise du média est clé pour réussir à maîtriser de nouveaux KPIs. Il faut aussi maîtriser la lecture des distributeurs, car gérer des stocks, du contenu marketing ou encore des spécificités de marges, c’est très complexe. Il y a ce critère-là et il y a le critère plateforme. Aujourd’hui, plusieurs plateformes retail media existent sur le marché. Ça veut dire qu’il faut entraîner leurs équipes et être sûr qu’elles soient certifiées sur toutes les plateformes. Ensuite vient le pilotage de toutes ces campagnes. Il s’agit donc d’un rôle d’intermédiaire, mais bien plus fort, parce que c’est un rôle de conseil aussi et d’expertise sur l’activité retail media.

SD : Si je vous dis que le retail media accélère des mutations, par exemple des retailers qui transforment de plus en plus en média au fur et à mesure des années, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?

GC : Je dirais qu’en effet les distributeurs se transforment en média, mais leur objectif premier restera de la vente de produits et de générer du chiffre d’affaires lié à la vente de produits. Je ne suis donc pas sûre que nos distributeurs, notamment nos distributeurs français qui sont très axés sur la user experience, privilégieront la publicité au détriment de l’expérience consommateur. Je dirais ainsi que c’est un bon mix entre expérience utilisateur et génération de profit via de la publicité.

SD : Le retail media n’est donc pas forcément un accélérateur de mutation dans le monde de la publicité.

GC : Je pense qu’il y aura toujours des limites à ce que les distributeurs deviennent des publishers comme on les connaît aujourd’hui dans le monde du média. Parce qu’on ne peut pas imaginer un site de distributeur comme un sapin de Noël avec beaucoup de choses qui clignotent de partout. Au contraire, un distributeur va chercher une expérience pure et simple pour son shopper, qui est la plus lisible et la plus claire possible. S’il devient média, il intégrera des publicités qui sont non intrusives et de façon native.

SD : Vous avez déjà dit deux fois que les publicités de retail media n’étaient pas forcément intrusives. Mais, est-ce que vous n’avez pas peur quand même que, au final, ce soit encore de la publicité par-dessus de la publicité ? Que les consommateurs, les clients se lassent d’avoir de la publicité tout le temps, d’être entouré de publicité en permanence quand ils vont sur internet ou sur une application ?

GC : À partir du moment où cette publicité est pertinente pour le consommateur, qu’elle préserve son expérience d’achat, elle peut être bénéfique. Via la publicité, les acheteurs découvriront de nouveaux produits et de nouvelles possibilités de consommation. Ils auront des bénéfices associés dans le sens où un distributeur qui va avoir des revenus supplémentaires va aussi pouvoir améliorer l’expérience d’achat en ligne du consommateur. Je pense que tout est une question de dosage pour que cette publicité ne soit pas pénalisante et trop abondante pour l’acheteur.