Les réunions par Zoom qui s’éternisent, le manque de lien social avec ses collègues ou sa hiérarchie, l’absence de distanciation entre l’espace privé et professionnel… L’avènement du télétravail depuis le début de la pandémie de Covid-19 a certaines conséquences sur la santé psychologique et physiologique des travailleurs et travailleuses. Face à ces problématiques, de plus en plus d’entreprises et de services de ressources humaines se dotent de chatbots, ces outils conversationnels fonctionnant souvent de pair avec de l’intelligence artificielle.
Sur Messenger ou sur les sites de certains services comme EDF ou la SNCF, vous avez déjà peut-être pu tester ces agents conversationnels automatisés, qui répondent à tous types de questions. Désormais, ces chatbots se développent dans les RH. En juin 2020, l’éditeur de logiciels conversationnels Dydu publiait la 4ème édition de son Observatoire des chatbots. Dans celle-ci, on pouvait lire que 25 % des professionnels RH ont déjà mis en place un chatbot, contre 6 % en 2018. Une explosion qui s’explique par la rapidité et la simplicité d’utilisation de cet outil, et son utilité en temps de crise.
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« L’idée n’est pas de leur demander de télécharger une nouvelle application, mais de l’intégrer à celles qu’ils utilisent déjà, comme Google Chat, Slack ou leur intranet. Ils ont juste un autre collègue virtuel, qui est le chatbot » explique Gaëlle Bassuel, fondatrice de YesWeShare, créé en 2017, qui conçoit et développe des chatbots thématiques sur la prévention en matière de santé au travail et sur l’inclusion des diversités. En premier lieu, les chatbots implémentés en RH ont en avant tout un but d’efficacité et de simplification des tâches administratives, comme le détaille Salim Jernite, directeur général de Clevy, une entreprise spécialisée dans les technologies conversationnelles : « Les chatbots se basent sur des foires aux questions assez simples, qui vont répondre aux questions récurrentes, mais également les aider à poser des congés, récupérer les fiches de paye… ».
Clevy a ainsi développé le chatbot Eva, qui totalise aujourd’hui plus de 200 000 questions. « Cela permet de proposer un chatbot déjà entraîné sur une base de connaissances, et on va pouvoir déterminer la dizaine de questions les plus posées, sur les congés, la paye, les absences, la retraite… » égraine Salim Jernite. À l’origine de ce chatbot, un constat : les ressources humaines ont de moins en moins de moyens, et leurs responsabilités augmentent avec le contexte sanitaire actuel. « On leur apporte des outils qui leur permettent d’optimiser la réponse à une partie des questions récurrentes pour qu’ils passent plus de temps sur d’autres activités. Et c’est un outil hyper simple à utiliser » détaille Salim Jernite. Les chatbots permettent alors de gagner du temps en répondant à des interrogations récurrentes, mais également en étant disponibles 24h/24 et 7 jours sur 7.

Deux exemples de l’utilisation de Clevy pour les ressources humaines. À gauche, le contrôle de jours de congés disponibles, à droite, une demande de formation. Montage : Siècle Digital / Clevy.
Consommation d’alcool, gestion du stress et sophrologie
Au-delà de l’aspect pratique et efficient des chatbots pour la partie administrative du quotidien, ces agents conversationnels peuvent également jouer un rôle dans l’amélioration du bien-être et de la santé au travail. Car avec le contexte sanitaire actuel et l’augmentation du télétravail, difficile de garder un lien avec ses collègues et sa hiérarchie : sédentarité, perte de sens, équilibre complexe voire impossible entre vie professionnelle et familiale… Les télétravailleurs broient du noir.
Selon Gaëlle Bassuel, les chatbots peuvent avoir une vraie plus-value sur ces thématiques. Au-delà des foires aux questions, son entreprise YesWeShare développe des chatbots aux fonctionnalités de “matching” autour de la vie sociale : « pour chercher des personnes qui ont les mêmes intérêts que moi, faire un footing ensemble, mais également autour des compétences pour favoriser les apprentissages entre pairs » explique-t-elle. Une manière de créer du lien entre collaborateurs. Également, YesWeShare développe des programmes de contenus pour chatbot, sur la base de la pédagogie micro-learning autour des questions de prévention santé et d’inclusion des diversités.
« Nous avons deux produits phares depuis bientôt un an : le programme Back&Up qui propose de la sophrologie, des étirements, de l’automassage, des conseils autour de la vie professionnelle et personnelle; et Visibot, qui sensibilise sur la santé visuelle et l’usage des écrans » détaille Gaëlle Bassuel. Des programmes intégrables aux chatbots et qui permettent d’accompagner les collaborateurs de manière douce et non-intrusive. En matière de prévention des risques, les chatbots ont l’avantage de l’anonymat et d’être un interlocuteur extérieur à l’entreprise. YesWeShare, dans le cadre d’un mois sans alcool, avait mis en avant Walter, le robot qui désaltère, pour parler de consommation d’alcool. « On a pris le parti d’un ton décalé et pas dans la culpabilisation, de donner des clefs pour se jauger et pallier certains risques. Ça permet de parler à une machine, qui est juste là, qui ne juge pas » estime Gaëlle Bassuel.
Sur certains types de sujets stigmatisants ou tabous, les chatbots peuvent alors s’avérer être un atout majeur. « Toute une partie de l’expérience du chatbot est anonymisée. Au final, on a plein de questions que les gens n’oseraient pas poser à leurs RH, par exemple sur comment faire face à un harcèlement ou une agression au travail » explique Salim Jernite. Les administrations RH ont ensuite accès à des statistiques sur les questions les plus posées, même étant anonymisées.
Si certains chatbots permettent simplement de répondre à des questions, d’autres sont plus proactifs. C’est par exemple le cas de l’assistant RH Raph, créé par Gojibo, spécialisé dans l’analyse des signaux faibles du stress. Le chatbot va ainsi envoyer des messages et des questions régulièrement aux collaborateurs pour jauger leur état mental et leur proposer des solutions. Selon Gaëlle Bassuel, qui utilise ces technologies pour parler de sujets liés aux diversités et à l’inclusion comme le handicap : « les gens ne vont pas faire le premier pas pour demander de l’aide ou se renseigner. Le faire par le digital, cela permet d’aller éventuellement plus loin et d’aiguiller vers d’autres dispositifs », explique-t-elle. D’autant que faire passer ces informations par chatbot est semble-t-il plus efficace que par mail. « Nous avons des taux de pénétration plus élevés. En fin de parcours, on a des retours positifs : les gens ont appris des choses, disent vouloir changer de comportement ou d’habitude, etc » affirme Gaëlle Bassuel.
Et l’humain, dans tout ça ?
Pourtant, les chatbots peuvent-ils résoudre tous les problèmes ? « C’est une technologie comme le téléphone ou l’email… Il ne faut pas en attendre trop ni se dire pour autant que les robots viennent nous remplacer » estime Gaëlle Bassuel. Même son de cloche du côté de Salim Jernite de chez Clevy, qui estime qu’il y a une “marge” avant de dire qu’ils ont un impact sur la santé au travail. « Est-ce qu’on peut aider à réduire le stress ? C’est possible. Est-ce que nos chatbots sont utilisés dans des situations où l’on ne poserait pas ses questions d’habitude ? C’est possible. Mais on n’ira pas plus loin que ça », estime-t-il.
Les questions de bien-être et de santé au travail doivent donc passer par une politique spécifique à chaque entreprise, et un accompagnement humain, surtout sur des questions de détresse psychologique, d’agressions ou de harcèlement sexiste, sexuel, raciste ou LGBTphobe. Selon la fondatrice de YesWeShare, rien ne remplace les rendez-vous en face-à-face ou en groupe. « En revanche, le digital est un levier : cela permet de s’adresser aux gens quand ils sont disponibles pour répondre ou pour écouter, pour engager une discussion. Cela permet de s’adresser là où ils sont, de faire le premier pas sur un sujet qui peut être stigmatisant » résume-t-elle.