Il est l’une des figures principales de l’entrepreneuriat au Vietnam et, sa startup, Lozi, l’une des entreprises IT les plus ambitieuses du pays ; à Hanoï, j’ai eu le plaisir de rencontrer Minh Son, co-fondateur du « Bon Coin » vietnamien. Un entrepreneur génial et 100% investi dans une aventure incroyable débutée en 2012. Retour sur des échanges captivants qui témoignent de l’évolution technologique du pays.

Lozi startup

Minh Son dans les locaux de Lozi, Hanoï © Guillaume Terrien

Bonjour Minh Son ! Tu es l’un des fondateurs de Lozi, pourrais-tu me parler de ce site internet C2C qui connaît un succès fulgurant depuis sa création en 2012 ?

Bonjour Guillaume ! Lozi, ou en tous cas l’idée qui en est à l’origine, est née en Mai 2012 ; au départ, nous souhaitions créer un site internet pour les Vietnamiens, un site où ils pourraient trouver des conseils sur des produits et entreprises locaux. A cette époque, nous avions décidé de nous concentrer sur le segment « food » car nous savions que c’était un sujet générateur de croissance. Lorsque nous avons commencé à concevoir le site, nous sommes partis du constat suivant : une personne a faim mais nous ne savons rien d’elle, de ses plats préférés, si elle préfère un fast-food ou un plat de restaurateur, ni même le budget qu’elle compte dépenser. Ainsi, le site a été conçu pour donner une réponse à ces questions et répondre aux mieux à ces attentes. Chaque personne avait un compte personnel et, de notre côté, cela nous permettait d’en savoir plus sur ces utilisateurs, ce qu’ils aimaient, ce dont ils avaient besoin, ce qu’ils recommandaient et ainsi de récupérer une quantité importante de datas afin de leur donner entière satisfaction.

En Janvier 2014, nous avons lancé le site grâce à de la « love money » et, après seulement six mois, en Juillet, on avait déjà plus de 500 000 utilisateurs sur Lozi ! A cette période, nous avons décidé d’intégrer un incubateur et de participer à des bootcamps tech pour développer notre business. Une fois cette étape effectuée, nous avons enregistré Lozi comme une vraie entreprise IT et levé des fonds auprès des VCs ce qui nous a permis de lancer une application IoS et d’embaucher plusieurs développeurs pour gérer les développements techniques. Fin 2014, nous avons déménagé nos locaux à Ho Chi Minh Ville parce que l’éco-système IT était plus mature. Nous avons ensuite coopéré avec le Ministère de la Communication et de l’Information vietnamien, développé notre business model basé sur la publicité et continué a recruter des talents.

En 2016, nous avons décidé d’appliquer ce modèle économique à d’autres produits : vêtements, services domestiques, sneakers, produits de beauté, lingerie, accessoires, garderie et même coiffeur…! Fin 2016, on a levé de nouveaux fonds dont le montant est privé mais qui porte notre total d’investissements nationaux et internationaux à un nombre contenant sept zéros. A ce jour, les internautes se rendent sur notre site pour d’innombrables services et nous avons intégré la fonctionnalité « Buy & sell » pour devenir une vraie plateforme C2C. Nous avons deux bureaux principaux, l’un à Ho Chi Minh Ville, où se trouvent nos équipes techniques, marketing et business development et le second à Hanoï avec nos équipes de « Brand Content » et « Advertising ».

Considères-tu que Lozi est encore une startup et comment fonctionne l’éco-système startup au Vietnam ?

Nous faisons partie de la deuxième génération de startups au Vietnam. Les premières startups ont été fondées en 2005, 2006 mais les infrastructures globales n’étaient pas encore prêtes et le modèle « startup » pas encore populaire. Aujourd’hui, la majorité des Vietnamiens ne sait d’ailleurs toujours pas ce qu’est exactement une startup, ils l’associent simplement à la technologie. Jusqu’en 2016, il était rare de trouver des créateurs de startups et encore moins des investisseurs vietnamiens ; c’est pourquoi, au départ, nous avons dû nous tourner vers des investisseurs étrangers, basés à Singapour ou au Japon. Cela dit, même avec ces investisseurs, notre histoire a été compliquée car il n’existait aucune possibilité d’obtenir directement les fonds levés ; chaque somme devait passer par les banques gouvernementales et ça prenait presque six mois avant d’arriver effectivement sur notre compte bancaire ! Au regard de ces complications bancaires, je ne vois pas comment une startup pouvait survivre ! Avant 2016, la loi et le système bancaire n’étaient donc pas adaptés au développement de l’éco-système startup et, aujourd’hui encore, il reste beaucoup de progrès à faire !

Startup Lozi

Locaux de Lozi à Hanoï, Vietnam © Guillaume Terrien

Peux-tu me parler de ton parcours personnel et de comment tu as eu cette idée ? Qu’as-tu appris depuis lors sur l’aventure entrepreneuriale ?

J’ai étudié aux USA en Pennsylvanie et notre CEO qui est une connaissance de toujours, a fait ses études en Corée. On échangeait beaucoup pendant nos études et c’est comme ça qu’est née l’idée de Lozi. Nous avons également associé deux autres personnes, un profil tech et un profil « design oriented » et, depuis le départ, nous travaillons tous les quatre main dans la main.

Être un entrepreneur n’est pas donné à tout le monde… Il faut savoir dans quelle direction on souhaite aller, quelle route suivre et, plus important encore, il faut une équipe très complémentaire ! Être un entrepreneur est un long et stressant chemin de croix ! Il faut un investissement personnel de tous les instants et savoir que les choses ne se font pas toutes seules… On a eu tellement de moments durs pendant ce parcours et je te promets que c’est difficile à vivre personnellement. Par exemple, en 2017, on a développé un nouveau service de livraison et attendions l’arrivée de nos fonds. Nous n’avions plus qu’un mois avant d’être en défaut de paiement et de faire faillite ! En effet, avec ces nouveaux services, au départ, nous perdions de l’argent sur chaque commande et n’avions plus les fonds nécessaires pour continuer : Lozi a failli couler ! Stressant…

Quelles sont, selon toi, les trois qualités premières d’une entrepreneur ? Quels sont également les défauts à gommer ?

Du courage ! De l’ambition et de la résilience : continuer à se battre chaque jour et à s’auto-challenger en permanence. Il faut également être transparent avec ses investisseurs parce qu’ici, ils ne regardent que les principaux KPIs et les résultats financiers. Les investisseurs vietnamiens font principalement des investissements à court-terme et s’attendent à des retours sur investissements très rapides. Le business est leur priorité car ils s’attendent à gagner de l’argent avant cinq ans en moyenne !

A ton avis, quelles sont les principales exigences pour satisfaire à la fois les vendeurs et les acheteurs ?

Le TEMPS ! Nous nous concentrons vraiment sur cet aspect en faisant la promesse de la « livraison en 1h«  sur la majorité de nos catégories de produits ; c’est ainsi que nous avons développé notre image de marque et c’est également notre facteur différenciant sur le marché par rapport à la concurrence. Nous voulons absolument être le service digital le plus pratique en terme de livraison pour les Vietnamiens : produits médicaux, fleurs, nourriture et de nombreux autres segments doivent être livrés le plus rapidement possible.

On propose également aux internautes la livraison gratuite et, grâce à ces deux avantages concurrentiels, nous essayons d’être ou de devenir les leaders du marché face à des entreprises telles que Grab, Shoppy ou Agoda par exemple. Notre volonté est d’être « le site site e-commerce citadin de référence« . Dans les faits, nous essayons de satisfaire les besoins de nos clients du petit-déjeuner jusqu’à la fin de leur journée et de proposer tous les services de niche possible pour qu’ils restent sur notre site ou reviennent à chaque besoin qu’ils éprouvent.

Livraison startup

La livraison gratuite et en moins d’une heure, la promesse de Lozi © Guillaume Terrien

Comment gérez-vous les développements du site et des applications ? Est-ce que vous pratiquez le « Test & Learn » ou savez-vous déjà comment obtenir une forte croissance chaque année ?

Nous avons déjà douze personnes – data scientists et développeurs spécialisés – qui travaillent chaque jour sur les développements back et front end ainsi que sur la gestion technique de notre site internet et des applications. Comme nous offrons aux gens la possibilité de nous donner leurs feedbacks sur chacun de nos canaux digitaux, notamment sur nos réseaux sociaux, nous obtenons quotidiennement de nombreuses informations et données qui nous permettent de faire évoluer nos services. Ce sont toutes ces données qui orientent nos décisions stratégiques et qui sont capitales pour notre business.

On ne pratique donc pas vraiment le modèle « Test & Learn » parce que nous savons que nous avons simplement besoin d’avoir toujours plus d’utilisateurs pour obtenir plus de données afin d’analyser ce qui fonctionne ou non. En parallèle, nous regardons également ce que font les multinationales du e-commerce ce qui nous permet aussi de prendre des décisions stratégiques.

Quel est votre business model et comment générez-vous un chiffre d’affaire grâce à votre activité ?

Publicité, commissions and sponsoring lorsque nos vendeurs souhaitent mettre en avant leurs produits sur nos canaux de vente. Nous prenons des commissions sur chaque vendeur donc notre business model repose principalement sur notre nombre de vendeurs.

Qu’est-ce que cela signifie d’être un « startuper » au Vietnam ?

C’est comme avoir la sensation d’être la première personne à aller quelque part, d’être un pionnier dans son propre pays ! Pendant mes études, j’ai suivi avec attention l’évolution des plus grandes entreprises de e-commerce internationales et j’ai essayé de lister les bonnes choses qu’elles réalisaient et de les appliquer, avec quelques ajustements, sur le marché vietnamien car il existe tout de même pas mal de différences… Même si la transformation digitale du pays n’est pas encore optimale, de plus en plus de jeunes Vietnamiens souhaitent contribuer au bien-être de notre société. Être un « startuper » ici, c’est avant tout se concentrer sur la meilleure façon d’améliorer le quotidien de nos concitoyens et pas juste de penser « produit » ou « finances » ! La demande sur le marché est grandissante et les startups se doivent d’y répondre !

Quels sont vos plans stratégiques et objectifs pour le futur ?

En 2019, nous souhaitons étendre nos services à 20 catégories de produits différentes et d’offrir ce service dans deux nouvelles villes : Haiphong et Danang. Côté service de livraison, on veut recruter plus de livreurs pour passer de 4000 à 10 000 livreurs à temps partiel sur Ho Chi Minh Ville et Hanoï. Comme nous lançons de nouvelles catégories de produits, nous avons besoin d’augmenter notre nombre de livreurs ce qui est l’autre objectif de l’année. Cela représente un investissement énorme et, pour ce faire, nous devrons sans doute lever de nouveaux fonds.

Teams Brand Content et adverstising

Les équipes Brand Content et Advertising au travail dans les locaux de Lozi à Hanoï © Guillaume Terrien

Comment analyses-tu la transformation digitale du Vietnam et quelles sont ses étapes principales ?

Je pense que ça évolue positivement. Nous bénéficions désormais d’un Internet à haut débit dans quasiment tout le pays et d’infrastructures technologiques qui s’améliorent jour après jour. La loi est également en train d’évoluer favorablement en ce qui concerne les investissements et le gouvernement aide les startups à se développer notamment grâce à des avantages fiscaux : les entreprises IT ne paient pas d’impôt pendant leurs cinq premières années d’existence. Globalement, tout est fait pour que l’éco-système startup se développe afin d’intégrer de plus en plus de produits et services innovants sur le marché. La stratégie du gouvernement est d’utiliser la technologie comme principal vecteur de croissance.

Aujourd’hui, la data est reine et le gouvernement l’a bien compris ; c’est pourquoi, il essaie de créer une base de donnée nationale intégrant chaque citoyen vietnamien puis de mettre cette base de données à disposition des startups, des entreprises IT et des grandes entreprises ; de cette manière, il lutte avec Facebook, Google et d’autres entreprises internationales qui se servent de ces données pour vendre leurs produits sur le marché vietnamien. Je crois que c’est une démarche qui va aider notre pays et sa population dans son développement.

Minh Son Guillaume Terrien

Rencontre avec Minh Son, co-fondateur de Lozi © Guillaume Terrien