Elle fait, pour autant, encore face à deux échéances clefs. Elle va tenter d’obtenir de l’ACPR une levée de son interdiction actuelle d’exercer – depuis début décembre l’ACPR, organisme de contrôle et de supervision des banques, a interdit à Morning de poursuivre son activité. Et par la suite, il lui faut réussir une levée importante de fonds. Les Echos évoquent lundi 19 décembre la somme de 5 millions d’euros

Les difficultés auxquelles Morning fait face depuis le début du mois illustrent bien le difficile rôle qu’ont les entrepreneurs en France. La mobilisation des soutiens et le battage médiatique réussis par son fondateur Eric Charpentier, lui ont sans doute permis d’éviter le dépôt de bilan. Pour autant, il serait un peu trop simpliste de résumer la situation de Morning à la simple lutte d’un entrepreneur innovant contre un système établi. Sans mettre en question les compétences et qualités d’Eric Charpentier, ni la pertinence de son projet il nous apparaît que ce qui transparaît à travers l’exemple de cette start-up c’est aussi un manque criant de gouvernance. Dans cet article, nous retenons un sens élargi du terme gouvernance. Au-delà du seul respect des règles de droit ou dispositions réglementaires la gouvernance doit être comprise comme l’ensemble des règles qui déterminent la manière dont une entreprise est gérée et contrôlée. La gouvernance englobe non seulement les pouvoirs et responsabilités des dirigeants, mais aussi les relations entre les actionnaires et les dirigeants et prend en compte l’ensemble des parties prenantes.

Il nous semble utile de faire la distinction entre de « simples » difficultés financières et le respect de la réglementation.

Face à des difficultés de trésorerie la société a annoncé ne pas pouvoir payer les salaires de décembre. En cela Morning rejoint nombre d’entreprises qui, en France, souffrent d’un manque de cash. Parfois ce sont les délais de paiement des clients qui sont en cause, parfois c’est la difficulté d’obtenir un prêt bancaire, dans le cas de Morning il serait plus question d’avance de phase entre les recrutements et la mise en marché d’une nouvelle offre couplée à une levée de fonds qui a mis trop de temps à se concrétiser.

Mais cette start-up opère dans le monde bancaire. Contrairement à une société de services lambda qui encaisse un chiffre d’affaires de la part de ses clients, un établissement de paiement encaisse, lui, des fonds qui lui sont simplement confiés par ses clients. Et comme le précise le code monétaire et financier avec son article L 522-4 « l’établissement de paiement ne peut disposer de ces fonds pour son propre compte ». Eric Charpentier fait donc face à toutes les obligations d’un chef d’entreprise mais également à celles liées à son statut d’établissement de paiement. Ce sont là des contraintes supplémentaires, mais il nous semble difficile d’y lire uniquement l’expression de la rigidité d’un système bancaire établi. Car ces contraintes sont à la fois connues et acceptées par le dirigeant lorsqu’il dépose son dossier de demande d’agrément. Il ne s’agit donc pas que d’un point de réglementation mais aussi du respect de la parole donnée et d’engagements pris de manière formelle. On ne peut pas s’engager le jour du dépôt de demande d’agrément et balayer les obligations issues de cet agrément quelques mois plus tard.

Projet de carte Morning

Le projet de carte Morning – Mastercard qui est à l’origine du transfert de 500 000 euros.

Parmi ces contraintes figure l’obligation de déposer les fonds de la clientèle dans un compte de cantonnement qui doit être ouvert auprès d’un établissement de crédit. Et, à lire la décision 2016 C-91 de l’ACPR (L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) deux problèmes distincts sont apparus. Tout d’abord ce compte de cantonnement a été débité d’une somme de 500 000 euros en septembre. Ensuite il était insuffisamment provisionné il manquait 538 494 euros supplémentaires à fin octobre. Face à un trou de plus d’un million d’euros on comprend que l’autorité de tutelle ait décidé de geler début décembre les activités de Morning afin de protéger les 75 000 clients de la start-up. Espérons qu’entre les engagements pris par la Maif et une levée de fonds à venir, Morning retrouve une situation financière saine.

Au-delà des difficultés de trésorerie un manque de gouvernance ressort nettement au travers du cas Morning.

Dans le cas Morning, et à lire la décision de l’ACPR, c’est le commissaire aux comptes qui a alerté le régulateur. Dit autrement, aucun dispositif de gouvernance propre à l’entreprise n’a joué. Comme la plupart des entrepreneurs, Eric Charpentier a choisi de créer sa société sous la forme d’une SAS (Société par Actions Simplifiée). La SAS n’a besoin pour fonctionner que d’un président. Cette structure offre des atouts clairs : avec un président, dirigeant unique qui n’a pas à obtenir l’aval d’un conseil d’administration les décisions sont prises rapidement ce qui permet de fonctionner en mode agile. Revers de la médaille, aucun dispositif de contre-pouvoir n’était, a priori, prévu.

Trois dispositifs, simples à mettre en œuvre, auraient pu éviter une telle situation.

Tout d’abord, la mise en place d’un reporting mensuel, sous forme de tableau de bord destiné aux actionnaires. Comme toute start-up qui n’a pas encore atteint son régime de croisière, Morning consomme du cash tous les mois pour payer ses charges. Les actionnaires auraient pu recevoir chaque mois aux côtés des chiffres clefs sur l’activité commerciale un reporting faisant apparaître la situation de la trésorerie et indiquant clairement la durée d’activité assurée par la trésorerie.

Ensuite, une séparation claire de la fonction finance. Exerçant dans un domaine régulé, avec des obligations strictes relatives au compte de cantonnement, Morning aurait gagné à se doter d’une direction financière dotée d’une relative indépendance vis-à-vis du président.

Enfin, Morning aurait pu se doter d’un « équivalent conseil d’administration ». Par exemple en créant au travers de ses statuts un « advisory board » réunissant les actionnaires principaux. Ce conseil aurait été chargé de valider les décisions clefs, et d’avaliser les décisions à compter d’un certain seuil.

Ces trois dispositifs combinés auraient sans doute permis aux actionnaires d’anticiper davantage sur une consommation trop rapide du cash. Avec ces dispositifs il n’aurait surtout pas été possible de virer les fameux 500 000 euros d’un compte de cantonnement vers un compte à terme à fin de nantissement par un tiers. Cette somme est clairement d’un montant significatif pour une jeune entreprise et, en plus du principe de double signature (direction financière et présidence), il aurait fallu obtenir l’aval du board.

Il est également vrai qu’avec une telle gouvernance « renforcée » Morning aurait mis plus de temps à nouer un accord avec Mastercard. D’une part obtenir formellement l’aval du conseil aurait pris du temps. D’autre part le conseil n’aurait pas forcément validé le calendrier proposé. Mais ne valait-il pas mieux en l’espèce attendre que la levée de fonds nécessaire soit faite avant que de formaliser un accord avec Mastercard et que de devoir virer la somme de 500 000 euros ?