« Nous devons être plus lucides sur les risques auxquels nous sommes confrontés en cette période de profonds bouleversements géopolitiques et d’évolutions technologiques rapides », a déclaré Valdis Dombrovskis, commissaire au Commerce, pour présenter la stratégie européenne de sécurité économique le 24 janvier. L’Union européenne veut protéger ses chercheurs, s’assurer que les investissements de ses entreprises ne financent pas des technologies qui menacent sa sécurité ou encore réguler les investissements étrangers dans certains secteurs critiques.
Évaluer avant de décider
Covid-19, agression russe contre l’Ukraine, tension sino-américaine, cyberattaques, IA… Les dernières années ont été mouvementées sur le plan géopolitique. Toutes ces crises ont affecté l’Union européenne plus ou moins directement : chaînes d’approvisionnement perturbées dans les semi-conducteurs, dépendances énergétiques problématiques à la Russie ou prise de possession d’actifs stratégiques par la Chine. Voici quelques conséquences parmi d’autres de cette période tumultueuse. « ces dernières années nous ont appris quelques leçons difficiles sur les risques d’une dépendance excessive », reconnaît Valdis Dombrovskis.
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Pour répondre à ces défis, la Commission européenne a publié en juin 2023 une stratégie pour la Sécurité économique. Le paquet de mesures de mercredi en est l’un des aboutissements. Au travers de 5 initiatives, Bruxelles espère maintenir sa compétitivité, protéger son économie et renforcer ses partenariats avec des acteurs sûrs. Certains perçoivent déjà dans ce dernier point une subtilité visant la Chine.
Les initiatives ne sont pas forcément de nouvelles règles, mais plutôt des consultations, des évaluations ou des appels à une meilleure coordination entre États membres.
Un système de filtre des investissements directs étrangers mis en place en 2019 va être étudié. Le but est d’harmoniser les règles nationales, de déterminer des secteurs où les investissements peuvent poser des problèmes de sécurité.
Les investissements venant d’entreprises européennes vers l’étranger doivent également faire l’objet d’une attention spécifique. Ceux qui permettent de développer des technologies de pointe ne doivent pas servir derrière à des fins militaires. Un groupe d’expert travaille sur le dossier depuis l’été 2023. Il va livrer des recommandations en 2024.
Une proposition de recommandation au Conseil doit aussi permettre de mieux sensibiliser le domaine de la recherche universitaire sur le partage de technologies sensibles. Encore une fois, la crainte mise en avant est le détournement de partenariat scientifique vers le développement de technologies militaires.
Les technologies à double emploi, civiles et militaires, comme les puces, les drones et autres, sont particulièrement citées. Comme l’explique Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission, « la sécurité économique de l’UE repose sur le maintien de notre avance technologique et sur la prévention des fuites de technologies indésirables. »
Un livre blanc doit lancer un débat sur le système de contrôle actuel, combler ses lacunes. Une évaluation sur une potentielle réglementation pour 2025 est prévue. La recherche dans les technologies à double emploi doit aussi bénéficier d’un coup de pouce. Les acteurs du secteur ont jusqu’à avril 2024 pour se prononcer sur les meilleurs outils de soutien de la recherche et développement.
Au sein de l’UE, il y a une différence entre les programmes purement civils comme Horizon Europe et ceux militaires. Faut-il revoir cette frontière, notamment pour le successeur d’Horizon Europe en 2027 ? Créer un instrument spécifique pour ce domaine hybride ? Voilà les questions soulevées par Bruxelles.
La stratégie de sécurité économique de l’UE vise-t-elle la Chine ?
« En substance, notre approche vise à accroître notre capacité à évaluer les risques et les vulnérabilités, et à les traiter de manière proportionnée et ciblée », a résumé Valdis Dombrovskis.
Le lobby patronal européen BusinessEurope a salué la clarté apportée par le paquet de propositions. Il admet le besoin d’un engagement dans ce sens et la voie prise par Bruxelles, basée essentiellement sur le débat. Markus J. Beyrer, directeur général de BusinessEurope, demande cependant à « identifier les problèmes, évaluer les risques et utiliser plus efficacement la boîte à outils existante de l’UE » avant « d’envisager de nouveaux instruments ».
Beaucoup d’observateurs s’accordent pour voir dans l’initiative européenne un ciblage de la Chine. La Chambre de commerce chinoise auprès de l’UE a réagi dans un communiqué qu’elle « suit de près l’évolution de la stratégie de sécurité économique de l’UE ». Elle dit s’inquiéter de son impact « sur les investissements, le commerce et la collaboration en matière d’innovation des entreprises chinoises en Europe ».
Lors du sommet de Davos, une semaine avant la sortie attendue de ce paquet de mesure, le Premier ministre chinois Li Qiang avait échangé avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Lors de cet entretien, il lui aurait demandé d’assouplir les règles d’exportations de technologies de pointe contre plus d’importation chinoise de produits européens.