Le Canada ne veut plus que ses universités et ses scientifiques travaillent main dans la main sur des technologies sensibles avec des institutions liées à des organisations militaires de certains pays tiers. La politique, publiée le 16 janvier allant en ce sens dit ne vouloir cibler « aucun pays en particulier », mais la Chine ne partage pas cet avis. Cette question a également été soulevée en France dans un passé proche.
Le Canada mobilise le levier du financement
C’est une enquête du quotidien The Globe and Mail, paru il y a quasi un an, qui a incité le gouvernement de Justin Trudeau à agir. Le média révélait qu’une cinquantaine d’universités canadiennes travaillaient avec des organismes scientifiques liés à l’Armée populaire de libération du Parti communiste chinois. Des projets de recherche pour certains financés par Ottawa, touchant des secteurs sensibles comme la cryptographie quantique.
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La « Politique sur la recherche en technologies sensibles et sur les affiliations préoccupantes » découle d’une promesse formulée à l’époque par le gouvernement. Les chercheurs canadiens travaillant sur des sujets divers comme l’IA, les infrastructures numériques, l’énergie, l’aérospatial… pourraient dorénavant se voir privés de subventions.
Les demandes seront refusées s’ils sont financés ou reçoivent une contribution en nature « d’un institut de recherche ou d’un laboratoire rattaché à des organisations militaires, de défense nationale ou de sécurité d’État qui pourraient présenter un risque pour la sécurité nationale du Canada ».
Une liste de ces institutions a été dressée par Ottawa. Elles sont une centaine et viennent de 3 pays, la Russie, l’Iran et la Chine. Ce répertoire est appelé à changer « pour tenir compte de l’évolution des menaces à la sécurité nationale du Canada, qui peuvent provenir de n’importe où dans le monde ». Les chercheurs sont, par ailleurs, appelés à la prudence et à la transparence sur leurs affiliations, même avec des organismes non cités.
La Chine se sent visée, à tort ?
Surreprésentée dans le document, avec plus de 80 organisations, la Chine a réagi mercredi lors de la conférence de presse régulière du ministère des Affaires étrangères. « Nous exhortons le Canada à abandonner ses préjugés idéologiques et sa mentalité de guerre froide, à cesser d’étendre à l’excès le concept de sécurité nationale, à cesser de politiser les questions de coopération scientifique et technologique », a répondu la porte-parole du ministère, Mao Ning’s, à une question de l’AFP.
Les relations entre les deux pays sont dégradées depuis plusieurs années, mais le sujet de la coopération scientifique sur les technologies sensibles est une question qui se pose au-delà du Canada. L’Empire du Milieu développerait sciemment un rapprochement du monde civil et militaire depuis 2017.
La France aussi protège sa recherche
En France, la question de la protection des recherches de technologies sensibles a fait l’objet d’une mission d’information au Sénat en 2021, « influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences ». Elle a permis « de confirmer la place prépondérante, mais non exclusive, de la Chine en matière d’influence ». Russie ou Turquie sont citées, mais la stratégie et les moyens engagés par Pékin sont soulignés.
Un dispositif doit permettre de préserver la recherche française, la Protection du patrimoine scientifique et technique de la Nation (PPST). Sous la responsabilité du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, qui dépend de Matignon, ce système permet de mettre en place des « zones à régime restrictif ».
Dans ces ZRR, des institutions travaillant sur des technologies sensibles, les doctorants étrangers sont exclus. Dans l’enseignement supérieur et la recherche, en 2021, 52 établissements avaient au moins une des 573 zones existantes.
Selon le rapport du Sénat, le dispositif est cependant trop limité dans sa couverture et le système « trop faiblement coordonné ». Il appelle à préserver l’ouverture du monde académique, sans sombrer pour autant dans la naïveté face à « de nouvelles stratégies planifiées, pensées sur le long terme et exécutées avec des moyens considérables par des États que l’on peut parfois qualifier d’hostiles ».