Le Digital Markets Act et le Digital Services Act sont deux règlements européens qui devraient entrer progressivement en vigueur à partir de 2023. Ces deux textes sont souvent qualifiés d’historiques. Historiques pour la rapidité avec laquelle ils ont été discutés, modifiés, puis adoptés. Historiques également par les sujets qu’ils touchent et les cadres réglementaires qu’ils posent. Le DMA définit ce que sont les grandes entreprises, les gatekeepers et s’inscrit dans une logique préventive et de préservation de la concurrence. Le DSA, pour sa part, se concentre sur les contenus diffusés par et sur les plateformes avec des obligations proportionnées à leur taille. Toutefois, que vont concrètement changer ces textes pour les entreprises ? Sont-ils une bonne nouvelle ? Siècle Digital a posé ces questions et bien d’autres à Gilles Babinet, Digital Champion de la France, entrepreneur et co-président du Conseil national du numérique.

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Siècle Digital : Vous êtes donc un entrepreneur français, actuel coprésident du Conseil national du numérique, mais aussi digital champion de la France auprès de la Commission européenne, avec plusieurs livres à votre actif. La première question devant un tel CV vous concerne, vous et votre parcours. Comment en arrive-t-on à faire tout ça ? À être, en plus d’un entrepreneur, un digital champion pour la France et coprésident du Conseil national du numérique ?

Gilles Babinet : Écoutez, je me pose moi-même la question. Non, en réalité, je n’ai pas prévu et donc c’est de fil en aiguille. D’abord, j’étais entrepreneur et puis pour tout vous dire, l’articulation entre entrepreneur et affaires publiques, c’est parce qu’un jour, je trouvais que le gouvernement — c’était il y a longtemps, c’était en 2010 — faisait n’importe quoi. J’ai écrit une tribune un peu coup de sang qui a été publiée dans Les Échos et il y a un garçon qui lisait à l’époque sur le sujet du numérique, qui m’a appelé en disant : « On crée un nouvel organisme qui s’appelle le Conseil national du numérique et on aimerait bien vous rencontrer pour savoir si vous voulez en être ».

Donc j’ai dit : « OK » et par la suite, il a fallu élire un président et je me suis présenté et j’ai été élu. C’est comme ça qu’on change de vie et qu’on passe d’entrepreneur à autre chose.

SD : Grâce à une tribune un peu coup de sang donc. En quoi consiste votre travail au Conseil national du numérique, mais aussi en tant que digital champion pour la France ?

G.B : Je commence par le Conseil. Le Conseil, il a eu plusieurs rôles. Le premier Conseil, par exemple, que je présidais, avait comme rôle d’être un facteur de meilleure compréhension pour le gouvernement de ce qu’est le numérique. À l’époque, ce n’était pas très clair. Il y avait beaucoup de choses à prévoir et par la suite, le Conseil a évolué. Nous étions surtout sur des enjeux économiques, de compétitivité.

Par la suite, il évoluait plus sur des enjeux de transformation interne de l’État. Puis le dernier Conseil, il a plus un rôle de travailler sur des enjeux très fondamentaux comme : la désinformation, le rapport avec la connaissance, etc. On est moins sur des enjeux de réglementation. Nous ne travaillons pas sur des textes de loi. Finalement, notre Conseil a plus une portée politique. Quand on réfléchit bien, on propose des projets de société.

SD : Digital champion auprès de la Commission européenne, qu’est-ce que ça signifie ?

G.B : J’étais en train de faire une conférence en Allemagne et à la table ronde, il y avait la Commissaire européenne au numérique. À la fin de la table ronde, elle m’a dit : « est-ce que tu peux venir à Bruxelles pour qu’on en parle et tout ça ? » À l’issue de ça, elle a demandé au gouvernement français si je pouvais être le digital champion français.

À Bruxelles, les missions sont très variées. C’est principalement avoir un échange sur la perspective de la France. Ce que je pense qu’il se passe actuellement en France, qui est un peu différent de ce qu’ils peuvent avoir en direct au sein du Conseil européen et qui est plus une vision de la société civile.

SD : Pour entrer directement dans le sujet qui nous intéresse maintenant, une première question très simple : Qu’est-ce que vous pensez de ces deux textes, le DMA et le DSA ?

G.B : D’abord, ce sont des textes qui ont eu un processus d’élaboration qui est assez différent du RGPD. Le RGPD, ça a duré huit ans, le DMA et le DSA, ça a plutôt duré deux ans et ce sont des textes qui étaient beaucoup plus balisés. Notamment, le rapport avec les États membres a été beaucoup plus simple que ça ne l’a été dans le cadre du RGPD.

Il y a, je pense, clairement une maturité plus importante de l’ensemble des acteurs qui a permis de converger plus facilement. Le DSA, c’est la régulation des contenus. Le DMA, c’est la régulation des plateformes, si je le fais de façon brève. Ce sont des textes qui ont des implications assez fortes parce que le DSA, par exemple, vous définissez une graduation dans la façon dont vous allez réguler les contenus et vous laissez quand même une capacité de régulation assez forte aux plateformes elles-mêmes.

C’est évidemment polémique parce que, ce que l’on essaie d’éviter, c’est d’avoir des processus qui ne sont pas contradictoires et là pour aller vite, nous sommes obligés de laisser une certaine latitude aux plateformes. Nous avons prévu tout un tas de garde-fous, mais aussi de contraintes pour pouvoir imposer aux plateformes le fait de pouvoir réglementer ces contenus.

Je pense que le texte est plutôt équilibré aujourd’hui. Bien évidemment, il y a des critiques à faire sur le fait que ça ne va pas assez loin, que le texte est plus technique que politique et néanmoins, c’est un texte qui va indiscutablement dans la bonne direction. Le DMA, c’est un texte qui porte des contraintes très lourdes, qui définit comment les plateformes doivent opérer en Europe. Notamment quels sont les degrés d’ouverture qu’ils doivent prévoir, de permettre à des tiers d’accéder à la data, de faire en sorte qu’il y ait une concurrence qui soit plus ouverte entre les méta plateformes qu’on appelle aussi GAFAM, et des acteurs de taille plus petite.

L’idée, c’est de recréer un peu de compétition dans le jeu. Quand le RGPD est arrivé, il y avait un certain nombre d’acteurs qui espéraient qu’en freinant les GAFAM, en leur mettant des contraintes nouvelles, on allait restaurer un certain niveau de compétition. Ce n’était évidemment absolument pas le cas et c’est même le contraire puisqu’on se rend compte aujourd’hui a posteriori que c’est plus facile quand vous êtes une grande entreprise de respecter le RGPD que quand vous êtes une petite entreprise. Ça a été finalement une forme de texte qui a renforcé les GAFAM et on espère que le DMA sera à cet égard différent.

SD : Un premier retour plutôt positif pour les deux textes, à vous écouter. Il était temps pour vous ? On ne compte plus les polémiques quand même, les problèmes de régulation. Aussi, les géants du numérique, les GAFAM, n’étaient pas forcément ravis de ces textes, notamment du DMA, donc c’est qu’ils doivent peut-être leur faire un peu peur, ces textes. Certains pourraient aussi penser qu’il a fallu attendre 2022 pour avoir de nouveaux textes de régulation pour le numérique. Est-ce que ce n’est pas trop tard d’un côté ? Est-ce que ça n’aurait pas dû arriver avant ?

G.B : Oui, ça aurait dû arriver avant, mais vous savez, nous sommes face à un nouveau monde qu’on ne comprend pas bien, qu’on ne connaît pas bien. Les régulateurs ont mis du temps à comprendre ces sujets.

Si le DMA et le DSA étaient arrivés il y a cinq ans, on s’en serait mieux porté. Ce n’est pas le cas, donc malheureusement, nous devons accepter ça. Ce que je peux vous dire, c’est que ce midi même, j’ai déjeuné avec le directeur de la régulation et des affaires publiques d’un des grands GAFAM et il m’a dit : « le DMA et le DSA, ce sont quand même des textes qui pour nous, changent la donne de façon fondamentale ». Je pense qu’on se connaît suffisamment bien pour qu’il n’essaie pas de me faire la messe. Je pense que ça a un impact très fort sur eux.

SD : On ne saura pas quel GAFAM ?

G.B : Non.

SD : Est-ce que vous pensez que rien n’est irréversible sur à l’avance que certaines entreprises américaines ont pu prendre par rapport à des entreprises européennes ? Peut-être que le DMA et le DSA vont permettre de rattraper un peu ce retard.

G.B : Je n’irai pas jusqu’à dire ce que vous venez de dire. Je pense que ces acteurs-là ont une avance et la garderont pendant probablement plusieurs décennies pour différentes raisons. À mon avis, pour trois raisons.

La première, c’est ce que les économistes appellent des économies des réseaux qui sont différents des modèles économiques de production traditionnels. Quand vous êtes dans une économie de réseaux, vous avez une forme de monopole naturel qui se constitue sans même que vous ayez nécessairement d’abus de position dominante. Ces acteurs sont à un niveau de taille critique qui leur permet de disposer de ce monopole naturel. Ça, c’est le premier facteur.

Le deuxième facteur, ce sont des facteurs qui ont une capacité d’aspiration extrêmement forte. C’est-à-dire qu’ils ont réussi à attirer les meilleurs, et ça depuis des décennies. Ils ont créé un phénomène d’attrition sur le capital humain, sur le marché. Peut-être un peu moins vrai maintenant, mais qui reste quand même assez vrai et la première matière première de cette révolution, avant même de la technologie, c’est d’être du capital humain.

Puis le troisième facteur, c’est que vous avez dans la Silicon Valley, un écosystème de taille critique. C’est-à-dire que vous avez absolument toutes les compétences, toutes les meilleures technologies, les gens parlent, partagent de l’information, font des deals, etc. Arriver à ce niveau d’écosystème pour les autres systèmes qui peuvent exister sur Terre, ça va être très difficile. Il y a beaucoup de problèmes dans la Silicon Valley. Les gens ont plutôt tendance à partir parce que ça devient difficile d’y vivre et néanmoins, cet avantage, il est là et il restera un certain temps.

Si par hasard, il devait aller ailleurs, je pense qu’il irait aux États-Unis. Je pense que New York, par exemple, qui est la deuxième place aujourd’hui dans la technologie, réussit aussi à constituer cet écosystème. Nous avons des très bons, mais il y a des briques manquantes. Typiquement, on ne fabrique pas de système d’exploitation pour smartphones, on ne design pas de smartphones, on n’a pas de Cloud ou d’hyperscaler. On n’a pas non plus un certain nombre de grands acteurs sur le quantique par exemple, où les États-Unis restent malgré tout, aujourd’hui encore, des leaders sur ces sujets.

SD : Attardons-nous sur les entreprises. Qu’est-ce qui va changer pour les entreprises européennes ? Nous avons bien compris que les grandes entreprises américaines allaient garder de l’avance pendant plusieurs décennies, mais quelle est votre vision d’entrepreneur sur ces textes pour les entreprises européennes ?

G.B : Écoutez, elles ne sont quasiment pas touchées. Sur le DMA, je pense qu’il y a que Spotify qui est concerné.

SD : Ah oui ?

G.B : Nous avons parlé d’une ou deux autres entreprises qui pourraient être potentiellement impactées. Je n’ai pas regardé les dernières analyses à cet égard, mais je veux dire que je pense que le niveau auquel ça s’applique est tel que ça concerne surtout ce qu’on appelle les GAFAM et les BATX, c’est-à-dire une dizaine d’entreprises dans le monde.

SD : La prochaine question était sur l’émergergence des startups, des entreprises européennes, plus facile grâce au DMA et au DSA. La réponse est donc non ?

G.B : Nous rétablissons une concurrence plus efficace. Ce que j’aurais dû dire d’ailleurs, qui est important, c’est que vous avez des distorsions concurrentielles. Quand vous êtes un acteur qui pèse un demi-milliard de dollars, vous voyez un concurrent qui débarque, vous le gobez tout cru. Si vous ne le gobez pas, vous avez plein de moyens pour le ralentir. Plutôt que d’attendre d’être ex post, c’est-à-dire de travailler après, vous essayez d’être ex ante. C’est une des innovations, en particulier, du DMA, de permettre de travailler avant que les problèmes ne soient constatés.

SD : Andreas Schwab, rapporteur du DMA à l’Union européenne et eurodéputé allemand, a affirmé : « les développeurs d’applications bénéficieront de nouvelles opportunités et que les PME auront un meilleur accès aux données pertinentes pour les entreprises et le marché de la publicité en ligne deviendra plus équitable ». Est-ce qu’après tout ce que nous venons de dire, vous êtes d’accord avec cette affirmation ?

G.B : Oui, mais c’est l’objectif du DMA. C’est ce que je disais tout à l’heure, c’est de faire en sorte que la data soit plus facilement accessible. L’idée, je vais la caricaturer, mais c’est que de dire : « j’utilise Google, je suis très content d’avoir Google Mail, mais plutôt que d’utiliser Google Maps, j’utilise OpenStreetMap ». Vous intégrez tout ça avec une continuité de la donnée qui est aussi bonne que si vous aviez Google Maps. Ça, c’est la vision théorique à laquelle nous aspirons. Vous avez une fragmentation de services qui étaient auparavant intégrés.

SD : Donc plus de possibilités aussi, plus de choix pour les consommateurs, qui auront aussi plus de transparence de la part des entreprises.

G.B : Exactement et une capacité pour des opportunités de marché plus importantes pour des acteurs tiers. Si vous êtes un fournisseur de services de géolocalisation, vous pouvez potentiellement remplacer Google Maps, ce que vous ne pouviez pas faire auparavant. Si vous êtes Citymapper, c’est super pour eux. Sauf que maintenant Citymapper, ils sont au Royaume-Uni et ils ne sont pas couverts par le DMA. C’est bien dommage pour eux.

SD : Pour résumer, est-ce que nous pouvons dire que l’ambition est là, mais qu’il manque encore un petit quelque chose pour vraiment pousser les entreprises européennes ?

G.B : Oui, il manque beaucoup de choses, vous savez, il manque de l’accès au capital, il manque surtout du capital humain. Moi, me semble-t-il, la guerre, elle commence et elle ne s’est pas traduite politiquement dans les faits. C’était vraiment attirer du capital humain. La force de la Valley, c’est que vous arrivez à Palo Alto, vous entrez dans un Starbucks, 80 % des gens ne sont pas de Californie.

Ils ont une force d’attraction incroyable, mais ce ne sont pas eux qui font la Valley. C’est cette espèce de mythe qu’ils ont réussi à créer, ce soft power extrêmement puissant qui fait que tout le monde veut aller là-bas sans se rendre compte que c’est extrêmement compétitif. Maintenant, les gens qui travaillent dans les grandes entreprises ou même d’ailleurs dans les startups, c’est très difficile d’avoir moins de deux heures de transports en commun pour aller travailler parce que vous voulez habiter sur place. Moi, j’ai un copain qui loue une maison à Mountain View. Il me semble qu’il loue 18 000 $ par mois, une maison qui est sympa, mais qui n’est pas… Je peux lui trouver un meilleur deal ailleurs.

SD : Évoquons maintenant un peu plus la position, ce que ça traduit en tout cas de la position de l’Union européenne et des GAFAM. Pour vous, est-ce que le DMA et le DSA font quand même peur aux GAFAM ? Est-ce qu’ils les inquiètent ? Il y a notamment des amendes en cas de non-respect qui peuvent être jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires. Est-ce que ça a de quoi les inquiéter ?

G.B : Écoutez, le précédent du RGPD a plutôt tendance à les rassurer. C’est-à-dire que sur la base du RGPD, les plus grosses amendes, je crois que c’était 500 millions. 500 millions, c’est quelques jours de profits. Il y a eu une amende de cinq milliards qui a été prononcée contre Facebook il y a quelques années. Le jour où l’amende a été annoncée, le cours de Facebook est monté. Je ne sais plus qui était à l’origine de l’amende. Je me demande si ce n’était pas l’administration américaine d’ailleurs et ça a rassuré les investisseurs. Ils se sont dit : « c’est un petit morceau du résultat, mais ce n’est pas très grave ».

Ce sont des entreprises qui ont une profitabilité entre 15 et 27 %, je crois. Si vous n’êtes même pas capable de leur dire « je vous mets une amende qui vous met en danger parce que je vous ai pris un résultat d’une seule année », c’est compliqué. Là, au pire, ils se disent : « on a perdu notre résultat sur six mois ou sur quatre mois ». Quand BNP a pris une amende, je crois que c’était 17 milliards de dollars, pour avoir fait des transactions avec l’Iran, là, nous étions face aux États-Unis. Nous étions face à quelque chose qui, me semble-t-il, était supérieur aux résultats de BNP à l’époque, mais c’est pour ça que j’ai commencé par vous dire que c’est un bon texte qui ne résout pas tout.

SD : Donc nous ne pouvons pas dire non plus que l’Europe est prête à faire face à des pays, des nations, des continents comme les États-Unis et l’Asie.

G.B : Je ne pense pas qu’on puisse imaginer que la régulation va rendre un territoire innovant. Le problème que nous avons, c’est qu’ils ont été plus innovants que nous et qu’ils ont eu une innovation systémique, un écosystème qui a innové et ils ont construit ça en une soixantaine d’années parce qu’ils ont commencé avec les Bell Labs à inventer le transistor puis le circuit intégré, puis le microprocesseur, etc.

Autour de tout cet écosystème, se sont créés tout un tas de startup, de chercheurs à Stanford, de Caltech et ça, nous sommes en train de commencer à le faire. Il ne faut pas s’étonner si nous sommes en retard. La relation grande entreprise-université-startup, elle n’existe pas en France.

SD : Ça viendra peut-être un jour.

G.B : Oui, là par contre, il pourrait y avoir une impulsion politique plus forte parce que c’est très déliquescent et insuffisant. Il n’y a pas une seule licorne qui est sortie d’un laboratoire de recherche. Le cas est inverse. Vous prenez des licornes aux États-Unis, vous avez beaucoup de choses qui devraient aller au tapis, notamment, si on a les taux qui remontent et tout ça, ça va faire un petit peu de casse, mais vous avez pas mal de boîtes qui sont vraiment de la deep tech. La deep tech, qui est en spin-off avec de l’IP qui vient de Stanford et consorts.

SD : Vous parliez justement de ce mot régulation. Le numérique a-t-il besoin d’autant de régulation ? La promesse d’Internet, à l’origine, c’était quand même une promesse de liberté. Autant de régulation, est-ce que ça ne risque pas de nuire à cette liberté sur Internet, mais aussi à cette liberté d’innover pour les entreprises comme pour les consommateurs ?

G.B : Écoutez, moi, je pense que tout le pari, tout l’enjeu, c’est d’arriver à faire des régulations intelligentes. C’est-à-dire que le mythe de « ne nous régulez pas », c’est John Perry Barlow, la déclaration d’indépendance de l’Internet en 83, c’est un bullshit libertarien, excusez-moi.

La raison pour laquelle c’est arrivé, c’est parce qu’il commençait à y avoir l’argent dans le secteur et finalement, les affaires publiques et les cabinets de relations publiques ont essayé de faire passer des messages sur le thème « nous sommes des hippies » vers Washington en leur disant « ne nous régulez pas ».

La réalité, c’est que ça a créé plein de problèmes. C’est-à-dire que tout le bazar que nous avons aujourd’hui, les fake news, le fait que l’OCDE introduit une taxe à 15 %, c’est la conséquence de ces gens-là. Nous serions beaucoup plus loin si nous avions une régulation intelligente. On nous refait le coup d’ailleurs, aujourd’hui, avec le Web3 et les cryptomonnaies.

Les gars, dès qu’on commence à leur dire : « nous allons prévoir des taxes, nous allons prévoir des autorités de contrôle », ils disent : « vous êtes des imbéciles, vous ne comprenez pas qu’il ne faut pas réguler ». Il y a une forme de dumping, de course à la moindre régulation. On s’appuie sur ceux qui ont le moins régulé pour expliquer que c’est ça qu’il faut faire. C’est juste du lobbying avec des intérêts directs pour quelques entreprises et ça fait 30 ans qu’on nous fait ce coup-là.

SD : C’est intéressant comme vision parce que depuis que nous savons que le DMA et le DSA entreront en vigueur dès 2023, la plupart des gens qui s’expriment sont très positifs et ne voient quasiment que du positif. Si nous devions résumer, est-ce que vous êtes, vous, positif par rapport à la mise en place de ces textes et à leurs conséquences ?

G.B : Moi, je pense que ce sont de bons textes, bien meilleurs que le RGPD qui devrait être révisé. La Commission ne veut pas en entendre parler, mais il y a des choses importantes à dire là-dessus. Je pense que le DMA et le DSA sont de bons textes. Ils sont moins disant. Il faut remonter le niveau de jeu. Ça, ce n’est pas très compliqué. Mais il faudra un peu de courage politique à un moment pour le faire.

L’aspect principal aussi pour le RGPD est bon. Le RGPD a permis de sortir d’une sorte de zone grise où les régulateurs faisaient à peu près ce qu’ils voulaient. Ils continuent à faire à peu près ce qu’ils veulent parce que malgré tout, il y a une interprétation au niveau local qui est très forte. Entre la CNIL allemande ou la CNIL française et la CNIL irlandaise, il y a un continent d’écart, mais au moins, il y a un processus. Si vous n’êtes pas content, vous pouvez faire appel, vous pouvez aller devant la Cour européenne de justice.

Ça va dans la bonne direction. Il y a plein d’autres choses à faire en même temps pour réussir et c’est quand nous ferons tout ensemble, c’est-à-dire quand nous retirerons les barrières, le ruban rouge. Enfin, ça ne veut rien dire le ruban rouge, mais les barrières au commerce intra-européennes. Quand nous permettrons d’avoir des régulateurs sur le plan de la finance, sur le plan des cryptomonnaies, qui seront intégrés, quand nous aurons du capital humain de bonne qualité et qu’il y aura des curriculums européens, quand nous faciliterons la relation entre la recherche et l’innovation, ça, ce sont des feuilles de route qui ne sont pas encore mises en œuvre. Si nous faisons ça, assez naturellement, on va voir un système émerger.

J’ajouterai qu’un élément non négligeable, c’est le fait d’avoir un système d’art moderne, parce que ça suscite beaucoup de R&D et quand nous voyons sur 60 ans, le nombre d’innovations qui viennent du système de défense, à commencer par l’invention d’Internet, c’est significatif.