C’est une annonce qui a fait réagir sur les réseaux sociaux : à partir de février 2022, les jeunes parents se verront distribuer de la part du gouvernement une “bébé box” constituée de plusieurs objets destinés à être les supports « de communication des messages de santé publique des 1 000 premiers jours » de l’enfant. Dont… une crème hydratante, pour que la mère prenne soin d’elle : un objet qui a fait beaucoup réagir, jugé inutile face au nombre de dépressions post-partum. Pour beaucoup de parents, la période qui suit la naissance est source de stress, d’organisation complexe et parfois d’un retour au travail pas toujours facilité par les entreprises.

Si le congé maternité est assez encadré (six semaines avant la naissance et dix semaines post-naissances, rémunérées à 100%), le congé paternité reste encore peu pris par les jeunes papas, et le congé parental (qui suit la fin du congé maternité) est souvent mal perçu par les employeurs et recruteurs. Encore aujourd’hui, la parentalité est encore souvent perçue comme un frein à la carrière et à la réussite professionnelle, surtout du côté des femmes. « On remarque de fortes inégalités : ce sont des sujets qu’on commence à traiter, et certaines entreprises prennent les devants, mais ça reste une minorité en France » remarque Manuela Spinelli, chercheuse en études de genre et maîtresse de conférence à l’université Rennes 2, cofondatrice de l’association Parents et Féministes.

Refus d’aménagements des horaires, mises au placard, réflexions, voire discriminations à l’embauche : du côté des recruteurs, la parentalité n’est pas encore vue comme une plus-value dans le monde du travail. Éric Gras, Senior Recruitment Evangelist et spécialiste du marché de l’emploi pour la France chez Indeed, en témoigne : « Il y a beaucoup de promesses et peu d’actes chez nos clients ».

Gaëlle Brouat, créatrice de l’Escale et de Ma Pause Parentale, a passé plus de huit ans dans le recrutement et a constaté la disqualification des femmes en raison de leur potentielle maternité. « Je me suis rendue compte à quel point être une femme est encore discriminant, au sein même d’une entreprise, à tout niveau de poste… J’avais des clients qui me disaient qu’une femme entre 25 et 35 ans allait forcément faire des enfants » se rappelle-t-elle. Avec l’Escale, elle propose des bilans de compétences 100% en ligne, et ce sujet de la parentalité revient sans cesse. « Je vois bien que c’est difficile quand on est parent, parce que c’est compliqué de concilier la vie professionnelle et familiale, si on s’arrête pour s’occuper de ses enfants, cela va être compliqué de retrouver un emploi, on perd confiance… » énumère-t-elle.

Mais pour les experts du recrutement, il y a eu un avant et un après confinement. « Cette période a été un déclencheur : on a compris que les enfants existaient ! Et il ne faut pas que l’on fasse machine arrière, si on en parle, ça fera quelque chose » insiste Gaëlle Brouat. Une tendance confirmée par Eric Gras de chez Indeed, notamment sur la question des temps de travail. « Avant, on avait des débats sur le mi-temps, le 4/5ème … Mais avec le télétravail, on a remarqué que les gens s’organisaient autrement, et faisaient du 4/5ème ou du mi-temps mais n’étaient pas moins productifs ».

Congé parental ou paternité : la grande absence des pères

« L’égalité sera plus forte quand les pères se sentiront concernés par le sujet » pose Gaëlle Brouat. Et pour cause : peu de pères prennent l’intégralité de leur congé paternité. Si au 1er juillet 2021, le congé paternité est passé à vingt-huit jours dont sept obligatoires, prendre ces jours est souvent mal vu au sein de l’entreprise.

« Les chiffres changent beaucoup selon la situation : il n’y a que 50% des pères en CDD qui prennent leur congé paternité dans leur entièreté alors qu’on est à 80% pour les fonctionnaires » analyse Manuela Spinelli. Des différences qui s’expliquent par la sécurité et la stabilité de l’emploi, et de comment ce congé paternité est amené à l’intérieur des entreprises. « Ne pas prendre ce congé, ce n’est pas un choix, c’est plutôt quelque chose qui est obligé par des pressions ou parce que c’est mal perçu pour un homme de s’occuper de son enfant »insiste la chercheuse.

Un phénomène qui se poursuit sur la question du congé parental, qui est un congé optionnel, renouvelable, à temps complet ou partiel, pour s’occuper de son enfant. Selon l’Insee en 2013, après une naissance, un homme sur neuf réduit ou cesse temporairement son activité contre une femme sur deux… En effet, les pères sont une minorité à prendre un congé parental.

Ce phénomène a deux explications, selon Manuela Spinelli. D’une part, une indemnisation presque inexistante : la CAF rémunère le congé parental… mais octroie moins de 400 euros par mois pour un congé parental à temps plein, et à peine 150 euros pour un temps partiel. « Encore aujourd’hui, il y a une asymétrie qui fait que les hommes gagnent en moyenne plus que les femmes : ça devient presque naturel de se dire que c’est la mère qui va prendre le congé parental car elle va renoncer au salaire le plus bas » explicite la chercheuse. « Même les mères qui le prennent, c’est davantage subi que souhaité : ce serait bien que les parents prennent des congés parentaux mais la rémunération est trop faible » ajoute Gaëlle Brouat.

D’autre part, une dimension genrée persiste : la parentalité est encore perçue comme une affaire de femmes. « Encore aujourd’hui, les entreprises perçoivent très mal un homme qui décide de rester à la maison pour prendre soin de sa famille » note Manuela Spinelli. Une non-reconnaissance, voire un déni de ce que la parentalité peut apporter dans le monde du travail. « Tous les parents le disent : ce n’est pas un congé, mais les entreprises considèrent ça comme des vacances ! » insiste Gaëlle Brouat.

Tous ces facteurs contribuent à empêcher l’évolution de carrière chez les femmes, notamment quand elles retournent au travail. « Le monde du travail qui n’est pas agencé pour les familles. Dès qu’on a des enfants, on commence à voir que les horaires, les rythmes ne prennent pas en compte l’existence et la nécessité des familles. C’est aussi pour ça que quand les femmes reprennent le travail, beaucoup prennent un temps partiel » développe Manuela Spinelli. Une tentative de concilier deux mondes qui évoluent en parallèle, et qui ne devraient jamais se croiser.

Faire bouger les lignes

Pourtant, de plus en plus d’entreprises se rendent compte de la nécessité de trouver des solutions pour faciliter la vie des jeunes parents. Notamment, sur la question du temps de travail. « Il y a 5 ans, Indeed a mis en place des congés payés limités. Au sein de l’entreprise, il n’y a pas cette culture du présentiel, on s’organise comme on veut : tout ce qui compte, c’est la culture du résultat » avance Eric Gras. Une souplesse importante chez les jeunes parents. Depuis la pandémie, Indeed a également mis en place les “UDays” : un jour par mois, toute l’entreprise s’arrête. « On s’est rendu compte que les gens avaient plus de mal à déconnecter en télétravail : on répartit son temps de travail en fonction de son rythme personnel, mais on a quand même du mal à couper quand le reste de l’entreprise bosse. On donne l’opportunité de n’être sollicité par personne en interne » explicite-t-il.

Pour d’autres entreprises, il s’agit de fournir des incitations à s’occuper de son enfant, à travers des congés parentaux payés. Ainsi, Twitter offre jusqu’à 20 semaines de congé parental payé, qui complète le congé légal. « Le programme est accessible à l’ensemble des employés, sans distinction de genre ou d’identité de genre, en poste sans interruption depuis au moins 26 semaines (6 mois) avant la naissance ou l’adoption de leur enfant » déclare l’entreprise. Chez Indeed, le congé paternité est de six semaines, un peu plus que le congé légal. « On a remarqué que plus de 80% des papas prennent cette durée-là. L’équipe est préparée à ce que les parents prennent ce congé, et on les encourage à prendre cette durée-là, parce qu’on sait que c’est important » développe Eric Gras.

Enfin, d’autres initiatives visent à redorer l’image du congé parental. Avec Ma Pause Parentale, Gaëlle Brouat entend ouvrir une discussion sur les compétences gagnées pendant cette période. « On a lancé Ma Pause Parentale pour que les gens parlent des compétences qu’ils ont acquises sur la parentalité sur leur profil LinkedIn. C’est génial parce que ça redonne confiance ! » lance-t-elle. Productivité, empathie, créativité, capacité à relativiser… Selon elle, nombreuses sont les compétences acquises qui sont transposables dans le monde de l’entreprise.

Quelles solutions ?

Parmi les solutions envisagées pour que les jeunes parents vivent au mieux cette période, Manuela Spinelli penche pour l’allongement du congé paternité. « Il devrait être de durée égale au congé maternité, obligatoire, mais en décalé, pour que le père puisse se retrouver seul avec l’enfant pendant que la mère reprend le travail » développe la chercheuse. Selon elle, cela signifierait plus de sérénité, mais aussi moins de discriminations à l’embauche pour les femmes.

Pour Gaëlle Brouat, cela passe également par une revalorisation voire une réforme du congé parental, afin que celui-ci soit mieux rémunéré. « Il faut comprendre que c’est un vrai travail. Quand il sera valorisé financièrement, il sera plus valorisé symboliquement » appuie-t-elle. Une réforme qui s’accompagnerait d’une meilleure prise en compte des familles, à travers des crèches d’entreprises ou un aménagement des horaires, mais aussi une meilleure intégration des nouvelles mamans dans l’entreprise à leur retour. « Demander les besoins des jeunes parents, refaire un moment de sociabilité avec l’équipe, et faire une transition : on reprend à 100% alors qu’on sait très bien qu’au début, il y a une logistique à mettre en place » soutient-elle.

Mais la meilleure considération de la parentalité en entreprise va devoir passer par des actes, davantage que des paroles : que l’entreprise s’adapte à la parentalité, et non l’inverse. « Cela fait partie des types d’engagement que les entreprises doivent prendre : s’assurer du bien-être des salariés qui vont devenir parents » indique Eric Gras. Et à Gaëlle Brouat de rajouter : « Comprendre qu’être parent, ça fait partie du CV, qu’on développe des compétences… Et qu’on ne laisse pas son cerveau sur la table à langer ! » En clair, la priorité pour les entreprises reste de prendre soin de ses salariés, et particulièrement lors des changements importants de leurs vies, comme une naissance : accompagner les jeunes parents, leur permettre de prendre soin de leur famille, pour qu’ils gagnent en sérénité… et en productivité.