Pierre Dubuc, cofondateur et CEO d’OpenClassrooms partage l’histoire de sa plateforme de e-learning, et sa vision du futur de l’éducation.

L’éducation, nerf de la guerre dans un contexte de pandémie qui n’épargne aucun continent. En 6 mois, le débat sur l’accès à l’éducation académique s’est d’abord porté sur les conditions sanitaires d’un retour à l’école, puis sur le maintien des examens, et enfin le format de la rentrée des classes. Qu’importe l’âge, chaque strate du parcours académique a eu affaire à une certaine forme de remise en question.

Pour les étudiants post-bac, le dilemme prend même une tournure financière. L’université de Harvard a par exemple annoncé que toutes ses promos de 2020 – 2021 auront accès à leur cours uniquement en ligne. Le problème ? Des cours déportés, mais des frais de scolarité figés. Même son de cloche en France, où un reportage de France 2 présentait l’injustice vécue par de nombreux étudiants en école de commerce ces trois derniers mois. Forcés de rester chez eux pour terminer l’année scolaire, aucun rabattement sur les frais de scolarité ne leur a été offert.

Sous le feu des projecteurs, les institutions académiques traditionnelles ne sont pas à l’abri de voir les plateformes de e-learning concurrentes leur ravir bon nombre d’étudiants. En jeu : l’accès à des formations en ligne plus en adéquation avec le marché du travail, et pour un coût dérisoire en comparaison.

Un format d’éducation à distance qui affecte aussi le marché de la recherche d’emploi. Alors que les faillites d’entreprises entraînent dans leur chute nombre de salariés, ceux-ci sont dans l’obligation de se reconvertir. Et quand la crise économique met en avant des métiers en tensions, comment trouver et former des forces vives pour répondre aux besoins ? C’est là tout l’intérêt des plateformes de formation en ligne : un format plus flexible, réactif, et abordable que le sillon académique.

OpenClassrooms, leader français de l’e-learning

Fleuron de l’e-learning français depuis 2013, OpenClassrooms s’est depuis construit une notoriété mondiale. Partenariat avec Microsoft, plus de 50 diplômes certifiants, OpenClassrooms est devenu devenu un acteur impactant de l’éducation en ligne.

La notion d’impact, justement, est chère au co-fondateur et CEO d’OpenClassrooms, Pierre Dubuc. « Nous avons toujours suivi une étoile polaire, un leitmotiv : l’impact. Notre ambition, notre intention, a toujours été la même : chez OpenClassrooms, nous voulons avoir de l’impact, utiliser autant que possible les possibilités de l’éducation en ligne pour changer la vie des femmes et des hommes. »

Une pierre angulaire ancrée dans les statuts juridiques de l’entreprise en 2018. « Rendre l’éducation accessible à tous » était déjà dans l’ADN d’OpenClassrooms, il devient désormais mission d’ordre légal.

Deux ans plus tard, la seconde étape est là. Le Comité d’Impact formé l’année dernière publie son premier rapport d’impact. Présentation par Pierre Dubuc « En mettant en place notre Comité d’Impact comme instance indépendante, nous voulions nous assurer que tous les acteurs d’OpenClassrooms, en interne et en externe, aient accès à toutes les dimensions de notre activité. Le Comité d’impact est le garant à long terme de la bonne exécution de notre mission, le gardien du temple en somme. »

Une initiative nouvelle, qui peut trouver un certain parallèle avec la démarche de consultation citoyenne pour le climat pilotée par le gouvernement : créer une entité distincte pour opérer une sorte d’audit interne, chargée de garantir la tenue des objectifs fixés dans les statuts juridiques. Pour OpenClassrooms, la démarche a pris près d’un an à se structurer. Le temps de définir une gouvernance, et de laisser voix au chapitre à toutes les parties prenantes : étudiants, anciens diplômés, employeurs, universités partenaires, mentors,… Présidé par Maureen Sigliano, le Comité a eu accès à l’ensemble des ressources de l’entreprise, y compris au Conseil d’administration. Le premier rapport condense la feuille de route d’OpenClassrooms (et son respect) et des recommandations pour les mois et années à venir.

Sept ans après son lancement, OpenClassrooms a acquit une notoriété colossale. Mais avant d’en arriver à ce niveau de notoriété, la plateforme a elle aussi dû faire ses classes.

La création de cours en ligne, du passe-temps et au temps plein

Créer des cours en ligne, c’était déjà un passe-temps sur les bancs du collège pour Pierre Dubuc et Mathieu Nebra, les deux cofondateurs d’OpenClassrooms. L’ancêtre d’OpenClassrooms voit le jour sous le nom du Site du Zéro il y a environ 20 ans. « Nous étions plutôt désintéressés par l’école. Du coup, nous a commencé à créer des cours en ligne qui étaient en fait les cours que l’on aurait voulu avoir. Pendant longtemps, c’est resté un hobby. Et puis un jour c’est devenu la plateforme de référence pour coder en français. De là, nous en avons fait notre métier » explique Pierre Dubuc.

L’objectif est tracé, il s’agira donc de vendre de l’éducation. Sans accréditation, le parcours s’annonce toutefois semé d’embûches. « Au tout début, il a fallu démarrer en vendant des abonnements à des e-books que nous avions créé. Nous avons commencé à rajouter des petites certifications, et progressivement nous sommes arrivés jusqu’au diplôme » se rappelle l’actuel CEO d’OpenClassrooms.

La première victoire, l’effet de bascule, Pierre Dubuc l’attribue au tout premier diplôme de chef de projet digital, niveau BAC +3/4. Sorti en 2015, les retours des premiers étudiants certifiés sont dithyrambiques. Le diplôme est certifié par l’État, commence à faire du bruit, et attire les regards circonspects « Les gens nous appelaient pour nous traiter de menteurs. Ils avaient énormément besoin d’être rassurés. C’était tellement nouveau que c’était peu concevable d’avoir un diplôme entièrement à distance, » précise t-il.

Les premières formations certifiantes se multiplient, et les diplômes listés tournent principalement autour du digital. Depuis, le catalogue des métiers du numérique s’est considérablement élargi, de BAC +2 (développeur web, technicien support IT) à BAC +5 (ingénieur en machine learning ou en cybersécurité). Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. La demande en compétences numériques, qu’elle concerne le code, la data, l’intelligence artificielle ou les 3 est en croissance exponentielle. Pour pallier le manque de forces vives, OpenClassrooms a sorti sa formation « Objectif IA »: « une formation très grand public de 6h, certifiante et entièrement gratuite sur l’intelligence artificielle. L’objectif c’est de former 1% de la population française sur l’IA. »

La plateforme OpenClassrooms

Image : OpenClassrooms

De la détection des métiers en tension à la création de formations

Avec plus d’une cinquantaine de formations diplômantes, le succès d’OpenClassrooms peut aussi être attribué à l’équipe en charge de détecter les besoins des employeurs. Une équipe est en effet dédiée à la cartographie des besoins métiers et compétences, capables de mettre en place des systèmes d’alertes à plusieurs niveaux. « C’est un travail très fin et très technique, et nous sommes désormais capables de le faire au niveau local, d’aller repérer les besoins d’un bassin territorial. »

Une cartographie en temps réel qui enclenche la phase suivante : celle de la création des diplômes certifiants. Dès que les indicateurs de métiers en tensions font apparaître un besoin sur le radar, une équipe pédagogique OpenClassrooms prend le relais. Des groupes de travail sont constitués avec des experts sur la compétence ciblée. De ces ateliers émergent ensuite l’architecture de compétences du parcours et le squelette pédagogique des projets. La force de sept années d’expérience a permis à OpenClassrooms de considérablement compresser le temps de confection de ces parcours. Au tout début de l’aventure, et en fonction des pays ciblés, la démarche de lancement d’un diplôme reconnu pouvait prendre jusqu’à 4 ans. Aujourd’hui, la rédaction des projets d’un cours s’étale sur 4 à 6 mois. Une accélération de l’ouverture à l’apprentissage à distance forcément encouragée par le contexte de Covid-19 : « Dans l’esprit de tout le monde, nous avons passé une étape importante. D’autant plus dans le contexte actuel, on ne peut plus questionner le fait qu’on puisse enseigner à distance. Nous avons fait un bon de 5 ou 10 ans en ce sens. »

L’évangélisation de l’e-learning n’est pas seulement organique. Récemment, la multiplication de partenariats entre les acteurs du secteur et institutions publiques et privées a aussi contribué à prêcher l’efficacité et la pertinence de l’éducation en ligne. OpenClassrooms est là encore le champion de la classe, ayant dans son cartable plusieurs collaborations transversales avec des références notables. L’une des dernières est un partenariat avec Microsoft, spécialement confectionné pour la ville d’Atlanta aux Etats-Unis. « Accelerate Atlanta » est le fruit d’une collaboration main dans la main entre public et privé. Objectif : former la population d’Atlanta aux métiers de demain.

« Avec Microsoft, il y a quelques temps déjà que nous avons lancé un parcours de niveau Master sur l’IA. À la fin du parcours, l’étudiant obtient un diplôme OpenClassrooms et un certificat Microsoft. Maintenant, nous nous sommes penchés sur l’upskilling de la population de la région d’Atlanta. Microsoft veut y ouvrir un bureau et recruter 1500 personnes. En s’associant avec nous et les collectivités locales, l’objectif est de former la population locale aux métiers tech, en participant au développant économique et social de la région ». Une logique de consortium qui a vocation à se répliquer.

En France, avec le contexte Covid-19 et l’accélération de la demande de formation, la plateforme de e-learning a également lancé un partenariat avec Pôle Emploi. En achetant les formations en ligne d’OpenClassrooms, Pôle Emploi permet désormais aux chercheurs d’emplois d’accéder aux formations supérieures et reconnues de l’acteur français.

L’avenir de l’éducation se trouve t’il en ligne ?

Le e-learning n’est donc qu’aux prémisses d’une phase de maturité. Alors que la recherche scientifique tente toujours d’établir le niveau de risque réel d’exposition des écoliers à la Covid-19, de nombreux pays ont reconnu qu’un rebond économique était en grande partie lié au retour des élèves à l’école. Le monde académique traditionnel avance à tâtons. Comment rassurer des parents d’élèves quand les instructions scientifiques sont au mieux partielles, au pire contradictoires ?

Les regards commencent à se tourner vers le numérique, et la légitimité acquise par la formation à distance doit, dans un futur proche, amener le e-learning à s’asseoir à la table. L’apprentissage à distance a grandement évolué. Le e-learning a d’abord trouvé son marché dans la reconversion professionnelle, avant de se déporter vers l’obtention de diplômes. Du quadra qui change de carrière, à l’étudiant qui préfère désormais trouver un diplôme plus en attente avec les besoins du marché, le e-learning a su avancer l’âge moyen de ses étudiants.

De là à aller encore plus loin en se positionnant auprès des lycéens et collégiens ? Pierre Dubuc pèse le pour et le contre : « Oui et non. Oui, par ce que c‘est clairement le sens de l’histoire, d’aller vers une approche par compétence, pour avoir des compétences professionnalisantes qui soient détectées plus tôt. Les compétences numériques vont devenir aussi vitales que celles de savoir lire, écrire et compter. Avoir des compétences numériques de base paraît déjà essentiel pour vivre en société. Et c’est déjà rentré dans le curriculum, en France on peut apprendre à coder, et on trouve un BAC à spécialité numérique. Certaines écoles primaires ne donnent plus de notes, mais évaluent sur des compétences. Les choses changent. Mais les vents contraires persistent, notamment philosophiques. L’école est là pour former le citoyen de demain. On est encore sur une perception de l’école du siècle des Lumières. Je pense que ça va perdurer, mais que l’approche par compétences fera son trou. La créativité, la pensée critique, la capacité à travailler ne groupe et à communiquer, ce sont des compétences pas encore très bien enseignées à l’école aujourd’hui, mais très bien valorises par les employeurs. »