C’est au coeur de Bogota et de ses rues embouteillées par des files de voitures et une mobilité congestionnée que j’ai eu le plaisir de rencontrer Miguel Ocampo, l’un des trois fondateurs de la startup MUVO. Au menu de nos échanges, son parcours et l’histoire de cette startup colombienne dédiée à la mobilité verte.

HP Muvo

www.muvo.bike

Bonjour Miguel ! Tu es le COO et l’un des trois co-fondateurs de MUVO, le premier système de partage de trottinettes et de vélo électriques en Amérique latine. Peux-tu me raconter l’histoire de ce projet novateur ?

L’histoire de MUVO a débuté en Espagne lorsque mon associé s’est lancé dans un DEA et qu’il a du plancher, lors de son mémoire de fin d’études, sur un projet de location de trottinettes et de vélos électriques à Bogota. Après ce mémoire, il est rentré à Bogota et a décidé de créer cette startup parce que notre ville connait de gros problèmes de mobilité. Les vélos électriques semblaient être une solution efficace à nos problèmes de congestion, d’une part parce que le vélo est le moyen de transport le plus rapide, sans transpirer, pour se rendre d’un point à un autre au coeur de notre ville mais aussi parce que nos utilisateurs n’ont pas la responsabilité des vélos s’ils sont volés. De plus, les habitants de la capitale attendaient ça depuis longtemps car c’était l’une des promesses de notre ancien gouvernement !

Avant de se lancer, il a cherché des associés complémentaires et, comme nous nous connaissions depuis l’école, que j’étais consultant dans une société spécialisée dans le transport mais surtout un vrai passionné de vélo, il a pensé à moi… On savait également que nous aurions besoin de quelqu’un pour s’occuper du volet digital – gérer l’application et les supports techniques, entre autres – alors nous avons intégré un troisième associé au projet avant de définitivement lancer MUVO en Mai 2017.

Une fois nos débuts effectués, nous avons réalisé plusieurs levées de fonds et cherché des partenaires et investisseurs ; la première d’environ 200 000 dollars US nous a aidé à acquérir 50 vélos et une dizaine de stations. Notre MVP a été rapidement couronné de succès alors nous avons lancé un second tour à hauteur de 300 000 dollars US  pour acheter plus de vélos mais aussi pour développer un nouveau système qui permettait aux utilisateurs de laisser leur vélo où bon leur semblait. Notre troisième levée, la plus récente, nous a apporté 1,5 millions de dollars US supplémentaires afin que nous puissions nous développer dans deux villes supplémentaires en Colombie ;

Aujourd’hui, dix personnes travaillent à temps plein dans nos bureaux et dix autres sont dans la rue pour gérer notre flotte. En Janvier 2019, nous avons également testé un libre-service de trottinettes malgré les difficultés liées à ce format de véhicule.
Et toi alors, comment en es-tu arrivé là ?
J’ai étudié l’ingénierie civile à Bogota et j’ai ensuite travaillé pendant six ans comme consultant spécialisé pour une entreprise basée à Londres ; nous étions spécialisés dans la mobilité et, plus particulièrement, dans la réalisation d’études de marché pour nos clients à travers de nombreux pays. Plus récemment, j’ai rejoint un cursus spécialisé dans la mécanique, en Suisse, avant de rejoindre le projet MUVO.

Aujourd’hui, je suis COO de notre startup mais cela m’amène à travailler sur de nombreux sujets : je fais aussi bien le café pour les équipes que je collabore aux levées de fonds ! Au quotidien, je suis en charge des opérations tout comme je m’occupe des relations avec nos fournisseurs chinois et de nos différents partenariats. Autre corde à mon arc : le management, le recrutement et tout ce qui concerne les RH.
Quels sont les problèmes technologiques que vous avez dû résoudre au cours de ces dernières années et quels sont vos objectifs économiques pour le futur ?
Ah, nous avons eu beaucoup de problèmes techniques, si tu savais ! Comme beaucoup de startup tech, nous devons gérer à la fois la partie software mais aussi du hardware ; l’un des plus gros problèmes que nous avons rencontré concerne la géo-localisation des e-bikes : il nous était quasiment impossible de localiser précisément la position de nos véhicules et nous avons dû travailler pas mal sur ce sujet !

D’autre part, nous avions des difficultés à faire fonctionner correctement le système de verrouillage des vélos à travers  notre application que ce soit à travers le Bluetooth ou la carte SIM. Par exemple, au départ, le fonctionnement avec le Bluetooth était assez aléatoire alors nous avons dû développer notre propre algorithme pour le rendre plus fiable.

Niveau objectifs, nous allons désormais nous concentrer uniquement sur les vélos électriques et définitivement abandonner les trottinettes parce qu’il y a déjà beaucoup de concurrence sur cette niche et que nous avons constaté que notre business model n’était pas rentable. Nous sommes le premier acteur sur le marché des vélos électriques en Amérique du Sud et nous voulons tirer avantage de cette situation ! Notre principal objectif stratégique est donc d’augmenter notre nombre de vélos présents en Colombie avant de se développer dans d’autres régions colombiennes, puis d’autres pays sud-américains.

 

e-bikes MUVO

Les e-bikes MUVO à disposition des habitants de Bogota.


Comment calculez-vous la rentabilité d’un vélo électrique ?
Notre principal KPI est le nombre de voyages par véhicule et par jour ; un e-bike est rentable à partir de 5 voyages par jour. Actuellement, chacun de nos vélos tourne en moyenne à 5 ou 6 voyages par jour. Après, lorsque tu disposes d’une flotte réduite, il est délicat d’atteindre cet objectif sur le long terme et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons augmenter le nombre de véhicules mis à disposition des usagers afin d’atteindre les statistiques des plus grandes entreprises du secteur, à savoir, réaliser 8 ou 9 trajets par jour. Et pour atteindre cet objectif de rentabilité, c’est simple : il nous faut plus de visibilité auprès de la population mais surtout plus de vélos dans les rues !
En France, nous rencontrons également des problèmes similaires avec ce genre de services : des vélos électriques ou trottinettes cassés, volés, dysfonctionnels mais également des problèmes d’ordre législatif et politique… Pourtant, ce service existe dans de nombreux pays à travers le monde ! Quel sont vos modèles internationaux ?
Au départ, nous nous sommes pas mal inspirés d’une combinaison entre l’exemple des stations madrilènes et de MOBIKE qui permettait de laisser son véhicule n’importe où. Ces derniers développaient alors ce système moins contraignant pour les usagers et bénéficiaient d’une flotte gigantesque sans avoir nécessairement besoin de rentabilité. Nous avons dû nous adapter à nos ressources moins élevées ainsi qu’aux particularités du marché colombien. Nous avons des objectifs différents des leurs car ils ont investit plus de 2 milliards de dollars pour étendre leur service au monde entier !

Aujourd’hui, je crois qu’ils ont fait plus ou moins faillite et ne sont plus présents que dans une poignée de pays. Nous nous sommes alors penchés sur le cas d’Uber et de ses e-bikes « Jump » ; eux sont bien plus focus sur la qualité du véhicule en lui-même et sur le service client dédié alors nous essayons de nous en inspirer à notre échelle. Ce sont actuellement nos plus grands concurrents même s’ils ne se sont pas encore implantés sur le marché colombien…
Dans quelle mesure le marché colombien est-il différent de celui d’autres pays ?
Si nous prenons le modèle de « Jump » par exemple, eux peuvent se permettre de laisser les vélos dans la rue la nuit parce qu’ils ne subiront que très peu de vols et de dégradations ; ici, c’est tout bonnement impossible ! La nuit, nous devons absolument rentrer toute notre flotte dans des stations de recharge sécurisées telles que des parkings privés ou ceux des restaurants, voir même dans les parkings des immeubles où sont abrités des bureaux. Cela nous oblige à développer de nombreux partenariats avec ces endroits et donc à investir encore plus de ressources et de temps dans cet aspect opérationnel.
Selon toi, quels sont les principaux problèmes auxquels vous allez devoir faire face dans le futur et quelles sont les meilleurs opportunités de croissance ?
Faire face à la concurrence, bien évidemment ! C’est pourquoi nous avons besoin de signer de plus en plus de partenariats comme ceux que je viens de mentionner ; les nouveaux arrivants sur le marché devront en faire de même, même « Jump », alors nous prenons un maximum d’avance !

Autre menace : la législation ! Même si aujourd’hui, les législateurs sont concentrés sur l’explosion de la présence des trottinettes à Bogota, ils voudront bientôt encadrer tout ce qui concerne le service de « sharing » de vélos électriques. Nous devons vraiment penser la ville et le service de demain à travers des campagnes de communication et de sensibilisation à l’usage des e-bikes pour que nos usagers ne garent pas leur véhicule n’importe où et qu’ils conduisent en respectant le code de la route. En plus de cela, nous devons également continuer de collaborer en toute transparence avec le gouvernement pour leur montrer que nous prenons les choses au sérieux et que nous pourrons être leurs interlocuteurs privilégiés.

Quant à notre meilleure opportunité, elle consiste à mettre rapidement le plus de vélos possible dans la rue comme je te le disais précédemment et donc à lever plus de fonds ; c’est un peu la face obscure de notre business model : il nécessite beaucoup de capitaux propres pour se développer. Et comme nous sommes une startup tech, nous devons également améliorer notre application et, plus globalement, notre service digital en recrutant plus de profils spécialisés dans ces domaines.
Derrière ce service est également associée une notion d’éco-responsabilité. Quelle est la position du gouvernement à ce sujet et comment évolue la mentalité globale des Colombiens ?
Le gouvernement réalise de nombreuses campagnes pour encourager les gens à se déplacer en vélo ; Bogota est l’une des villes mondiales où le plus de vélos circulent et le gouvernement investit beaucoup sur des infrastructures nécessaires à l’explosion de cette mobilité verte. Il y a 10 ans, seulement 1% des trajets se faisaient à vélo alors qu’aujourd’hui, nous avons dépassé la barre des 12% !

La ville est donc plus accessible à ce mode de transport et c’est un réel avantage pour nous ; Bogota à l’un des pires trafics du monde et prendre sa voiture est quelque chose de culturel chez nous ; les mentalités sont encore assez « old school » : posséder une voiture est un signe de richesse extérieure et de réussite là où le vélo est estampillés « personnes pauvres ». Il faut réussir à faire changer cette mentalité.

e-bikes MUVO

MUVO et ses e-bikes débarquent à Medellin et Carthagena


Vous êtes une solution 100% web et applicative mais aussi un bel exemple de la transformation digitale de la Colombie. Quelles sortes d’évolutions digitales avez-vous constaté en Colombie ces dernières années ?
C’est vrai, la Colombie est en train de débuter sa transformation numérique, particulièrement à travers les startups ; « Y Combinator« , l’un des principaux accélérateurs internationaux de startups situé dans la Silicon Valley, a intégré il y a encore peu de temps une première startup colombienne. Cela a ouvert une fenêtre et, actuellement, de plus en plus de startups colombiennes trouvent leur place dans ce genre d’accélérateurs. Ces divers succès créent un cercle vertueux et encouragent d’autres colombiens à lancer leur startup, tout comme ils favorisent l’apparition de plus gros investisseurs sur notre marché. Ce phénomène a commencé il y a environ 7-8 ans et, depuis, l’économie « tech » s’est développée à vue d’oeil !
Quelle est la tendance générale du marché de la mobilité en Colombie et comment votre service a-t-il été perçu par d’autres acteurs de la mobilité tels que les taxis et autres Uber ?
Actuellement, nous ne ressentons pas d’agressivité de la part d’autres transporteurs car nous sommes encore trop « petits » pour les inquiéter ; néanmoins, nous avons constaté que les chauffeurs de taxi ont été très agacés par l’explosion des trottinettes alors, si nous continuons à développer notre flotte de véhicule, nous devrons faire face aux mêmes problématiques car les mentalités sont dures à faire évoluer…

Les chauffeurs n’aiment pas cette nouvelle concurrence et sont prêts à se battre pour préserver leurs parts de marché. Pourtant, l’opinion générale des habitants est plutôt favorable à l’économie de partage et aux services comme le nôtre car les colombiens aiment faire du vélo : c’est un moyen de transport culturel, peu coûteux et écologique alors j’espère que leurs prises de position favorables agiront comme un bouclier contre les menaces des chauffeurs !