Siècle Digital : Forte d’une croissance fulgurante cet été (+81 % pour les investissements au niveau mondial), l’intelligence artificielle (IA) se développe à vitesse grand V. Observe-t-on également cette tendance sur le continent africain ?

Sidi Mohamed Kagnassi (SMK) : L’IA connaît une croissance remarquable à l’échelle mondiale, et cette tendance commence à se refléter en Afrique. Selon un récent rapport McKinsey, ces progrès technologiques pourraient créer plus d’un million de nouveaux emplois dans les prochaines années pour la seule Afrique du Sud. Imaginez les perspectives que cela représente à l’échelle du continent !

Nous devons toutefois reconnaître qu’il existe des défis significatifs pour parvenir à exploiter efficacement et durablement l’IA. Je pense notamment aux problématiques relatives aux infrastructures. Les infrastructures numériques deviendront bientôt tout aussi importantes que les routes et les ponts pour nos économies. Certains pays comme l’Afrique du Sud — qui compte un grand nombre d’entreprises ayant recours à l’IA — l’ont bien compris. Le reste de l’Afrique doit lui emboîter le pas.

SD : Avec 200 millions d’habitants âgés de 15 à 24 ans, la jeunesse africaine pourrait représenter une force vive pour le développement de l’IA sur le continent. Est-ce selon vous une perspective envisageable ?

SMK : Bien sûr. La jeunesse africaine est un atout considérable pour le développement de l’IA sur le continent. Et quand on sait que l’Afrique sera d’ici 2050 composée à plus de 50 % par les moins de 25 ans, il va de soi que les générations futures contribueront au développement d’un secteur technologique africain compétitif. D’ailleurs, nos jeunes sont de plus en plus intéressés par les nouvelles technologies et les gouvernements et les acteurs privés commencent, en parallèle, à prendre conscience de l’importance de l’IA.

Beaucoup de conditions sont donc réunies pour exploiter pleinement ce potentiel. Pour le concrétiser, la formation est cruciale. Selon la Banque Africaine de Développement, chaque année, environ 10 à 12 millions de jeunes Africains entrent sur le marché du travail, alors que seulement 3 millions d’emplois formels sont disponibles. Proposer des formations diplômantes en matière d’intelligence artificielle et de robotique, c’est participer à la création de nombreux emplois.

Il est aussi primordial que les pays africains développent leur propre expertise en matière d’IA. L’IA offre à l’Afrique l’opportunité de se positionner en leader international. Certains pays se positionnent d’ores et déjà en leaders sur ces sujets. L’Afrique du Sud nous l’avons dit, mais aussi le Kenya, le Nigéria… Autant d’exemples qui soulignent l’importance de créer des synergies africaines. La coopération entre nos pays est nécessaire pour augmenter nos capacités de financements, nos compétences techniques sur le sujet, la construction d’infrastructures durables dans le temps… Et tout le monde est concerné : gouvernements, entreprises, société civile. C’est ainsi que nous ferons de l’Afrique le futur continent du digital. Une chose est sûre, l’intelligence artificielle en Afrique sera panafricaine ou ne sera pas.

SD : Vous êtes entrepreneur. Quelles révolutions l’IA offre-t-elle en matière d’entrepreneuriat ?

SMK : L’intelligence artificielle offre une nouvelle façon de faire du business en proposant des méthodes de travail innovantes : Sidetrade pour la gestion de la relation client, Phrasee pour les campagnes marketing, Fireflies pour améliorer la productivité… Les outils sont multiples. Il convient toutefois d’insister sur le fait que l’IA doit être perçue et utilisée comme un instrument stratégique, un outil pour gagner en efficacité, diminuer les coûts, améliorer l’organisation plutôt qu’une fin en soi.

L’IA améliore aussi la prise de décision — une dimension qui n’est pas toujours évidente lorsqu’on se lance dans l’entrepreneuriat — en analysant de grandes quantités de données pour fournir des informations exploitables. Je pense notamment à l’analyse des tendances du marché, à l’identification des opportunités d’affaires et à l’évaluation des risques… Le trio gagnant quand on est entrepreneur.

SD : Peut-on dire qu’il existe d’ores et déjà des champions africains en matière d’IA ?

SMK : Il est encore prématuré de parler de « champions », mais certaines entreprises et certains pays — nous l’avons vu — se distinguent. Et d’autres pays comme l’Égypte, Maurice et la Tunisie investissent activement dans l’IA et progressent rapidement.

Néanmoins, afin de maintenir sa compétitivité et de se garantir une position de premier plan dans le domaine de l’intelligence artificielle, l’Afrique doit impérativement renforcer ses investissements pour prévenir la perte de talents, un phénomène déjà observé, notamment dans le secteur de la Santé. Le développement de l’IA doit donc bénéficier à la fois aux startups en amorçage et aux chercheurs talentueux, afin de créer un écosystème durable. A ce titre, l’ouverture l’année dernière du Centre africain de recherche sur l’Intelligence artificielle en République du Congo est un exemple prometteur.