La Maison-Blanche a organisé, le 8 septembre, une rencontre entre plusieurs experts du numérique pour identifier les principales préoccupations envers le secteur. À l’issue de cette réunion, six points clefs, où des projets de régulations sont jugés nécessaires, ont été isolés : la concurrence, la vie privée, la santé mentale des jeunes, la désinformation, les comportements illégaux et abusifs, y compris l’exploitation sexuelle, la discrimination algorithmique et le manque de transparence.

La Maison-Blanche livre un regard dur sur l’écosystème numérique américain

Le compte rendu de cette réunion sur la responsabilité des grandes plateformes commence par un constat sévère. Si le communiqué reconnaît les apports de ces dernières, que ce soit pour mettre en relation les gens ou pour les richesses qu’elles suscitent, il mentionne que « L’essor des plateformes technologiques a engendré de nouveaux défis difficiles à relever, qu’il s’agisse des actes de violence tragiques liés aux cultures en ligne toxiques, de la détérioration de la santé mentale et du bien-être, ou des droits fondamentaux des Américains et des communautés du monde entier qui souffrent de l’essor des plateformes technologiques, grandes et petites ».

Autour de la table étaient réunis divers profils en lien avec le numérique. Tout d’abord des membres du cabinet et de l’administration du président Joe Biden tel Anne Neuberger, conseillère adjointe à la sécurité nationale pour le cyber et les technologies émergentes. Les chefs d’entreprises Mitchell Baker, à la tête de Mozilla et Patrick Spence, PDG de Sonos, étaient également présents. Des représentants d’ONG comme la professeure de droit Danielle Citron, vice-présidente de Cyber Civil Rights Initiative, qui aide les victimes de cybercrimes, se trouvaient autour de la table. Enfin le procureur général de Washington D.C., connu notamment pour poursuivre Amazon pour pratique anticoncurrentielle, a également fait entendre sa voix.

Dans le domaine de la concurrence et de la vie privée, la Maison-Blanche a salué les efforts bipartisans du Congrès pour légiférer. L’American Innovation ans Choice Online Act, la loi antitrust sur le numérique la plus avancée dans le processus législatif doit interdire aux grandes plateformes de favoriser leurs propres produits. Son adoption par les deux chambres du Congrès est toutefois constamment retardée.

En matière de vie privée, la Maison-Blanche souhaite qu’il y ait « des limites claires sur la capacité à collecter, utiliser, transférer et conserver nos données personnelles, y compris des limites sur la publicité ciblée ». Là encore des lois sont en cours de discussions par les organes législatifs américains. Protocol note toutefois que Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, traîne des pieds. L’élue de Californie redoute qu’une loi fédérale, peu ambitieuse, s’impose à son État, très strict dans le domaine. Elle avait déclaré qu’il « est impératif que la Californie continue à offrir et à faire respecter les droits à la vie privée les plus stricts du pays ».

Ce blocage concerne aussi une loi sur la santé mentale des plus jeunes, voie la plus consensuelle pour restreindre a minima l’usage des données par les plateformes. Il y a tout juste un an, les révélations des Facebook Files, de la lanceuse d’alerte Frances Haugen avaient provoqué un choc. Des documents tendaient à prouver que Meta avait des études prouvant qu’Instagram pouvait porter préjudice à la santé mentale des adolescents. Une enquête similaire est aussi en cours sur TikTok. La Maison-Blanche considère que « Les plateformes et autres fournisseurs de services numériques interactifs devraient être tenus de privilégier la sécurité et le bien-être des jeunes par rapport au profit et aux revenus dans la conception de leurs produits ».

Rien de nouveau sous le soleil

Lors de cette réunion a été évoqué un autre serpent de mer numérique aux États-Unis, la section 230. Cet article du Communications Decency Act, voté en 1996, est sujet à débat. Il exonère les plateformes numériques de toute responsabilité pour les contenus qu’elles hébergent. L’administration Trump avait tenté d’en finir avec cette protection dont bénéficient les grandes entreprises du numérique. Joe Biden demande également « depuis longtemps des réformes fondamentales de la section 230 ». Sans succès jusqu’à présent.

Lors de leur réunion, les experts rassemblés par la Maison-Blanche ont également demandé plus de transparence sur les algorithmes et les décisions de modérations de contenus des plateformes en général et des réseaux sociaux en particulier. En Europe, le Digital Services Act doit justement remplir cet objectif. Outre-Atlantique, les lois sur cet aspect, voulues par les démocrates et républicains, pour des raisons différentes, sont encore au tout début de leur processus législatif.

Cette rencontre a abouti à des propositions consensuelles et déjà âprement discutées au Congrès, pour la plupart. Elles donnent une idée de la ligne de conduite que l’exécutif souhaite suivre, ou plutôt perpétuer, après les élections de mi-mandats, en novembre 2022. Seul le Congrès peut concrétiser les désidératas de l’administration Biden. Ce dernier pourrait avoir à composer avec le point de vue des républicains s’ils devaient l’emporter en novembre. Des points de convergences existent, laissant la porte ouverte à l’adoption d’une éventuelle réforme dans le numérique d’ici la fin du mandat de Joe Biden, en 2024.