Europol a annoncé le 8 juin le succès d’une opération de police d’une envergure impressionnante appelée « Trojan Shield », « Greenlight » ou « Ironside » selon les pays. Une coalition internationale de police, impliquant 16 pays, est parvenue à avoir accès à un système de communication chiffrée utilisé, par des criminels, nommé Anom. Cet accès a permis au total d’arrêter 800 personnes, appartenant à la mafia italienne, à des syndicats criminels asiatiques, à des gangs de motards.

Anom, une presque création du FBI

Tout débute en 2018, lorsque le FBI arrête Vincent Ramos, PDG d’une entreprise, Phantom Secure, qui vend justement des téléphones chiffrés à des criminels. En marge de cette arrestation, le FBI a recruté une source « humaine », membre de Phantom Secure, rapporte un document de la justice américaine, relayé par Le Monde.

Cette source a proposé aux agents fédéraux américains d’utiliser l’infrastructure technique d’un système de messagerie chiffré destiné au crime organisé qu’elle a développé. Les autorités américaines ont lancé en octobre 2018 le service Anom. Il ne propose que l’envoi de messages, chiffrés et accessibles uniquement au marché noir. Le FBI possédait évidemment la clef pour avoir l’accès à l’ensemble des échanges des utilisateurs.

Après un bêta test, plutôt concluant, aidé par trois anciens revendeurs de Phantom Secure, l’opération a pris de l’ampleur. La police australienne a été rapidement intégrée. Elle a notamment pu faire en sorte de mettre les appareils Anom entre les mains de suspects connus de ses services. Dans un communiqué elle a expliqué que « Les appareils ont circulé et leur popularité a grandi parmi les criminels, qui avaient confiance dans la légitimité de l’application, car de grandes figures du crime organisé se portaient garantes de son intégrité ».

« Plus de 12 000 téléphones chiffrés ont été utilisés par plus de 300 organisations criminelles »

La police nationale néerlandaise, l’autorité policière suédoise et d’autres ont rejoint l’opération, soutenues par une task force opérationnelle d’Europol. Au total « Plus de 12 000 téléphones chiffrés ont été utilisés par plus de 300 organisations criminelles » dans une centaine de pays a fait savoir Jean-Philippe Lecouffe, directeur adjoint des opérations d’Europol. Selon les autorités américaines, les dispositifs Anom étaient particulièrement actifs dans cinq pays, l’Allemagne, la Serbie, l’Australie, l’Espagne et les Pays-Bas. Plus de 27 millions de messages ont été analysés, offrant un panorama unique sur les échanges concernant des trafics de stupéfiants, du blanchiment d’argent, des projets d’assassinats.

Carte du monde de l'utilisation d'Anom

Carte de l’utilisation d’Anom dans le monde. Crédit : issue d’un document de la justice américaine.

Anom a bénéficié d’un coup de pouce bienvenu en 2020 et 2021, deux services de chiffrement similaire ont été démantelés. Sky ECC et EncroChat ont été infiltrés par les forces de l’ordre françaises, néerlandaises, belges, donnant un coup sérieux au crime organisé. Selon le document diffusé par la justice américaine, après la chute de Sky Global, qui gérait le service Sky ECC, en mars 2021, les utilisateurs actifs d’Anom sont passés de 3 000 à 9 000.

Après trois ans, le bilan de l’opération est d’une ampleur vertigineuse. Outre les plus de 800 arrestations à travers le monde, ont été saisis 8 tonnes de cocaïnes, 22 tonnes de cannabis, 8 tonnes de drogues de synthèse (Amphétamine et méthamphétamine), 250 armes à feu, 55 véhicules de luxe, 48 millions de dollars en diverses devises.

Tableau représentant le bilan de l'opération Anom

Le bilan de l’opération d’infiltration d’Anom. Crédit : Europol

L’opération Trojan Shield va-t-elle vraiment déstabiliser les organisations criminelles ?

Les autorités des différents pays se sont félicitées tant de la coopération internationale que du bilan flatteur de l’opération. Linda Staaf, chef du renseignement de la police suédoise a salué « l’une des plus grandes opérations policières dirigées par les services de renseignement contre la criminalité violente et les réseaux de drogue jamais menées en Suède ».

Mais la succession des opérations, réussies, contre Sky ECC, EncroChat, le réseau Anom, interroge sur la résilience des réseaux criminels, capable de passer d’un système de chiffrement à l’autre. Le Chef adjoint des opérations de la Drug Enforcement Administration (DEA) a déclaré le 8 juin, « Ces opérations soulignent la gravité de la menace internationale liée aux drogues et constituent une base solide sur laquelle les enquêtes futures pourront s’appuyer ».