Mardi soir j’ai eu la chance de me rendre dans le quartier de Saint-Germain-des-Près pour assister à une conférence organisée par les Jeunes Européens d’Île de France ainsi que la Société d’encouragement pour l’Industrie Nationale. Au programme, une conférence avec la présence de Cédric Villani pour discuter et débattre de l’intelligence artificielle, et de l’intégration de cette technologie au sein de l’Union Européenne.

L’intelligence artificielle en général

La conférence commence par un échange global sur l’intelligence artificielle, son développement et son futur. Pour Cédric Villani, l’Intelligence Artificielle est mal définie, ce n’est pas de l’intelligence. Il s’agit d’un « ensemble de techniques algorithmiques, informatiques destinées à accomplir des tâches subtiles, précises. »
Elle n’est pas nouvelle, elle est née dans les années 50, au Royaume-Uni et non dans la Silicon Valley comme certains pourraient le penser ! Elle trouve donc ses débuts dans les travaux d’Alain Turing et notamment « Computing Machinery and Intelligence ».

La question à se poser est qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui le terme d’intelligence artificielle fait le « buzz » ? Comme l’explique Monsieur Villani, « les plus grands algorithmes, principes qu’on utilise existaient déjà dans les années 80. Aujourd’hui on les fait fonctionner de manière efficace (plus efficace), notamment grâce au matériel informatique, aux gigantesques bases de données et autres raisons non identifiées… Personne n’avait prévu que ça serait aussi efficace, notre analyse n’est pas assez au point. »

À la question où fait-on de la bonne recherche en IA, la réponse est simple : partout dans le monde. Les États-Unis s’en sortent bien, car ils ont été les « premiers à déployer un système d’importation des talents, qui leur permet de travailler avec les meilleurs et ils ont été bien meilleurs pour faire du marketing, en utilisant par exemple des entrepreneurs emblématiques. »

L’Europe et l’antelligence artificielle vs les États-Unis et l’Asie

Alors que les États-Unis disposent de budgets colossaux et que les grandes plateformes chinoises et les acteurs industriels asiatiques commencent à aligner des sommes considérables pour des projets de recherche, il est intéressant de noter qu’un grand nombre des ces acteurs viennent s’installer à Paris et dans les grandes capitales pour travailler avec les grands cerveaux humains. On peut penser à Google et Samsung qui en début d’année ont installé leurs centres de recherche sur l’IA à Paris. Mais le point intéressant que souligne Cédric Villani et qui se vérifie de plus en plus aujourd’hui est la « cybercolonisation de Google, Facebook qui viennent chercher chez nous, les meilleurs talents, mais qui ne nous rendent rien. »

Mais alors que faut-il faire pour que l’Europe s’impose comme un leader dans le domaine ? La prise de conscience sur le sujet est en cours. Des réseaux d’instituts de recherche se développent, des plans se préparent dans tous les pays, suivant ceux lancés par le Royaume-Uni ou la France. Emmanuelle Macron a annoncé le lancement du plan intelligence artificielle avec un budget d’un milliard et demi d’euros pour faire de la France l’un des domaines dans le secteur.

La communication aussi sur le sujet commence à se développer, mais il s’agit au final « d’une course contre la montre en Europe, pour éviter une alliance avec le géant américain qui veut lutter contre le géant chinois. » Cédric Villani précise également que développer « une stratégie d’IA européenne sans la Grande-Bretagne c’et une mauvaise idée. Ils sont bons en IA et en défense (espionnage, cyber-espionnage). »

Pour Cédric Villani, trois piliers sont essentiels pour la mise en oeuvre d’un programme de R&D européen en IA :

  • des cerveaux humains : « il faut faire émerger les discours pour motiver nos meilleurs chercheurs à rester et à ne pas partir »
  • des moyens de calcul : supercalculateurs, clouds… des domaines « où le retard d’investissements se compte en dizaine de milliards d’euros comparés aux États-Unis »
  • des jeux de données

Côté inspiration au niveau des bonnes pratiques, Cédric Villani explique que l’Europe à un marché de bonne taille. En prenant l’exemple chinois, il explique qu’il y a un « protectionnisme massif, l’écosystème est très protégé (conversation surveillée, contrôlé, pas d’accès à certains sites web… ). » Et les USA tendent également vers ce genre de modèle. Il ajoute également qu’il faudrait un patriotisme sans faille. Pour lui la mauvaise solution et qui est aujourd’hui trop présente, c’est « un système de startups qui grandisse dans l’objectif de se faire racheter par un géant américain. Ça arrive et pas sûr que cela fait progresser notre économie. » Il ne faut cependant pas être fermé, car on a besoin que « nos meilleurs chercheurs partent tout en gardant en tête l’objectif d’améliorer le bien-être sur notre continent ». Il ajoute également qu’il n’est pas normal qu’un acteur comme Palantir équipe la DGSI et souligne l’action récente du Ministère des Armées de généraliser Qwant sur tous les ordinateurs du Ministère.

Des budgets et des investissements

Il n’est au final pas intéressant de comparer les budgets américains face au budget européen. Google investit par exemple 15 milliards de dollars par an en R&D, aux États-Unis. Il y a ainsi un mélange d’argent privé et d’argent public. Cédric Villani souligne que l’Europe « ne pourra pas se permettre un niveau de dépenses aussi élevé. » Le budget européen pour l’IA doit tout simplement « s’infiltrer dans tous les ministères et les secteurs. » Pour autant, il faut réfléchir en matière d’efficacité. Si l’Europe « arrive à mettre un budget public sur la table qui correspond à sa taille, à mettre en avant des acteurs privés, même s’ils sont morcelés : on aura le bon niveau d’investissement. » Il ajoute qu’il faut une certaine volonté et de la communication, deux points sans lesquels le projet européen ne se fera pas.

Cloud, marché du travail, méfiance, environnement…

Après ces trois grandes thématiques, a eu lieu un échange basé sur des questions posées par le public et les Jeunes du Mouvement Européen.

Sur la question d’un cloud européen, pour éviter de stocker nos données à l’extérieur, la réponse est simple, c’est non. Cédric Villani explique « on a déjà essayé avec le projet du cloud souverain, un cloud français. On a brûlé un demi- milliard, c’était une solution économique mondiale inadaptée. Le cloud relève de l’industrie. Créer un cloud européen revient à dire créer un constructeur de voitures européen et mis à part Airbus, il n’y a pas de bon exemple. » La solution c’est une solution européenne que l’Europe va accompagner et non créer. Il faut que les acteurs européens « forcissent pour qu’on leur fasse confiance. »

Sur l’évolution du travail avec l’intelligence artificielle, il est pour Villani « très difficile de faire des prédictions. » Il faut surveiller et surtout il faut que nous (l’Europe) réalisions des expériences dans le domaine, notamment sur la répartition du travail entre machine et humain, « sans expérimentation on y arrive pas. »
Pour mettre les gens en confiance face à l’IA, il est essentiel de les éduquer et de mettre un budget sur la communication. L’Allemagne par exemple « a prévu un budget de 8 millions d’euros pour communiquer en 2019. » En France, le budget était proche de zéro, mais une certaine forme de communication a eu lieu grâce au rapport réalisé par Villani.

Sur la question de l’environnement, Cédric Villani s’accorde à dire que l’IA « peut aider pour la gestion des ressources naturelles ou la diminution de la consommation d’énergie. Mais le hardware est très polluant, il faut aller vers des procédures plus écologiques et aussi avoir des regroupements intelligents, comme des datacenters neutres en énergie. » L’Europe pourrait ainsi se positionner en tant que promoteur de solution durable.

Au final, l’Europe n’est pas en retard dans la course sur le sujet de l’intelligence artificielle, « l’Europe n’a aucun retard technique en comparaison avec les GAFA . Les réseaux de neurones ont été inventés par les cerveaux européens. » Le plus grand danger à l’échelle de l’Europe, c’est de ne pas « prendre le virage de l’IA et voir les produits dévalorisés par rapport aux autres continents. »
Dans la démarche, il faut que les plans soient discutés et mis en place rapidement d’une manière unifiée et non individualisée. Pour éviter la méfiance, il est essentiel de communiquer et d’apprendre dès le plus jeune âge l’importance de l’informatique orientée algorithmique. Enfin au niveau individuel, si vous vous demandez ce que vous pouvez faire pour avoir une démarche « européenne » face à l’IA, favorisez Qwant à Google, pour l’hébergement choisissez OVH… Cependant, Cédric Villani ajoute que « sur certains sujets ou produits, il est impossible d’avoir une alternative européenne, comme pour Facebook. »