C’est un média qui ne cesse de grandir et de prendre une place importante dans le quotidien des Français : dans le pays, 133 millions de podcasts français ont été écoutés ou téléchargés au cours du mois de novembre 2023 selon la mesure eStat Podcast de Médiamétrie.
Du côté de Spotify, la plateforme de streaming a vu en 3 ans les écoutes se multiplier par 5 quand il s’agit de podcasts. Ces dernières années, malgré le succès de célèbres émissions de radio au format numérique, les podcasts natifs se sont multipliés et ont gagné leurs lettres de noblesse auprès d’un public averti. Un attrait pour le podcast qui semble désormais attirer un nouveau type de créateurs.
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« Bonjour, c’est Léna Situations, et vous écoutez Canapé Six Places » : sa voix est reconnaissable entre mille, et pour cause. L’influenceuse aux 2,69 millions d’abonnés sur YouTube et 5 millions sur Instagram a lancé fin 2022 un podcast intitulé Canapé Six Places, dans lequel elle interviewe des artistes, des créateurs ou ses amis, en toute détente. Une création originale de Spotify, et le podcast le plus écouté de la plateforme en 2023, disponible en version audio… ou vidéo.
Même constat du côté de YouTube, où les podcasts de créateurs de contenus pullulent : selon une étude d’Edison Research, YouTube est la seconde plateforme la plus utilisée pour les auditeurs réguliers pour écouter des podcasts en cette fin 2023, derrière Spotify et devant Apple Podcast. En bref, la vidéo semble être une nouvelle tendance majeure du médium audio, particulièrement du côté des créateurs de contenu.
Du côté des créateurs de contenus, valoriser l’intime… et un nouveau marché
Si l’on voit autant de podcasts sur YouTube de la part des créateurs de contenus, c’est en partie pour structurer leur offre médiatique, selon Alice Audrezet, enseignante-chercheuse en marketing à l’Institut Français de la Mode. « Les influenceurs savent saisir les opportunités, et sont habitués à passer d’une plateforme à l’autre », explique-t-elle. De YouTube à Instagram au podcast, il n’y aurait donc qu’un pas. « Ils se rendent compte que si certains contenus ont besoin d’être visuels, pour d’autres c’est secondaire, et ils arrivent à distinguer différents contenus pour différentes plateformes », ajoute la chercheuse.
Une segmentation qui joue aussi en leur faveur dans une volonté de créer un lien de proximité avec leur audience. « Cela leur permet de s’exprimer en longueur, sans contradictoire, comme un journal intime audio » analyse Matilde Meslin, journaliste spécialiste des podcasts chez Slate. Pour le podcast de Léna Situations, Claire Hazan, directrice des podcasts pour Spotify en France et au Benelux explique que c’est « un espace plus sûr, les gens qui écoutent ont choisi de le faire ».
« Être atttiré par tout ce qui brille » feat. Geraldine Nakache sur mon podcast Canapé 6 Places…🎧✨ https://t.co/T5g5isHIRU pic.twitter.com/O0a2yLaJMg
— Lena Situations (@lenasituations) November 11, 2022
Pour Alice Audrezet, ces podcasts vidéos reprennent les codes de l’intime, « avec une ambiance feutrée, des fauteuils, une apparente authenticité », avec presque exclusivement des formats de monologue, ou des conversations avec des invités. Pour la chercheuse, il s’agit là du signe d’une « maturité du paysage de l’influence, qui se professionnalise et tend vers une activité d’animation ou journalistique ». Un regain de légitimité pour ceux, mais surtout celles, souvent moquées dans les médias traditionnels ? « Dans le milieu du podcast, il y a eu de la curiosité quand les créatrices de contenus se sont lancées, car il y a une image un peu intello du podcast. Et en fait, elles ont des choses à raconter », constate Matilde Meslin. En clair, comme l’explique Charles Sevreux, porte-parole de YouTube France, « ces formats conversationnels sont très complémentaires pour les créatrices et les créateurs de la plateforme ».
Mais au-delà de l’espace sûr, pour les créateurs de contenus venus des médiums vidéo, il s’agit aussi d’un nouveau marché propice à la monétisation. « Cette extension de marque, c’est cohérent par rapport à cette image de l’intime, ça construit leur marque autour de l’authenticité. D’autant qu’on est sur des écoutes choisies pour le podcast, où l’audience a confiance », abonde Alice Audrezet.
Une audience qui est donc plus engagée, et plus attentive aux éventuelles publicités ou sponsoring. « Pour les créateurs, c’est une source d’audience et de revenus complémentaires à terme, et pour ça il faut prendre des places assez tôt, et c’est ce qui se passe en ce moment », selon Claire Hazan de Spotify. Surtout que pour ces mêmes créateurs ou influenceurs, qui comptent parfois des centaines de milliers d’abonnés, lancer un podcast ne représente pas de risque majeur : contrairement aux podcasteurs anonymes, ils possèdent déjà une solide communauté. Sans aller jusqu’à la création originale, le simple fait de convertir un format vidéo en audio, comme le font déjà plusieurs créateurs de contenus (La Table Ovale de McFly & Carlito, Heure Miroir d’EnjoyPhoenix, Un bon moment de Kyan Khojandi et Navo…) permet de capitaliser sur des revenus moyens supérieurs dans le secteur du podcast que sur les plateformes vidéos.
La vidéo, une manière d’attirer une audience plus jeune et plus « engagée »
Cette convergence des médias, de l’image au son, témoigne aussi de la volonté de toucher une audience parfois différente. « Il y a des gens, surtout chez les jeunes générations, qui n’iront pas vers ce médium s’il n’y a pas d’image. Et en même temps, introduire la possibilité de la vidéo dans le podcast, c’est une manière d’attirer les créateurs qui viennent de ce monde de l’image », analyse Alice Audrezet. Une volonté de convertir les plus jeunes, habitués aux écrans et aux images incessantes d’Instagram et TikTok ?
Chez Spotify, la fonctionnalité vidéo est ouverte à tous les créateurs qui diffusent sur la plateforme. « L’idée n’est pas de devenir une plateforme vidéo, » insiste Claire Hazan. « Dans les conseils qu’on donne aux créateurs, c’est d’abord de penser un projet audio. Mais cette fonctionnalité est là pour démocratiser le format podcast, et familiariser les plus jeunes, les accompagner vers la découverte ». En clair, la vidéo est une option, mais qui semble porter ses fruits : la plateforme indiquait à la rentrée que dans le créneau 18h-minuit, soit en sortie d’école, le format vidéo était privilégié.
Claire Hazan, chez Spotify, insiste sur le fait que cette démocratisation ne passe pas que par la vidéo, mais aussi par d’autres fonctionnalités : des solutions de monétisation pour les créateurs, des possibilités d’interaction avec les auditeurs, et des créations originales via son programme Radar. Ce dernier permet un accompagnement pour 5 créateurs émergents, deux fois par an, sur le développement de leur audience et la promotion de leur podcast.
Matilde Meslin voit une volonté de s’orienter, pour certaines plateformes et studios, vers « du talk, avec des gens qui ont déjà une communauté sur les réseaux sociaux, et moins sur d’autres formats comme la fiction ou le documentaire de créateurs indépendants ». Ainsi, le premier épisode de Y’a plus de saison, nouveau podcast par l’humoriste Swann Périssé et produit par Binge Audio, a fait salle comble dès son premier enregistrement en public.
Les créateurs comme les annonceurs s’intéressent davantage à ce média à forte croissance : « on voit de plus en plus de gens qui voient dans le podcast un univers créatif qu’ils ont envie d’investir » constate Claire Hazan. « On a ouvert la monétisation sur nos créations originales il y a un an et demi, et c’est intéressant de voir le type d’annonceurs qui viennent » rajoute la directrice des podcasts en France et au Benelux. Selon elle, s’il y a encore « beaucoup d’éducation à faire sur le marché publicitaire sur la valeur d’une audience podcast », il y a un véritable engouement. Puisque l’auditeur de podcast choisit son programme, il est plus investi, et donc, plus susceptible d’être à l’écoute du sponsor de la vidéo ou de la publicité proposée : une aubaine pour les annonceurs.
La vidéo, signe d’une industrie qui se reconfigure ?
L’arrivée dans le monde du podcast de la vidéo est peut-être le signe d’une reconfiguration de l’industrie, qui a connu beaucoup de changements en 2023. « C’est le début de la consolidation du milieu. Jusqu’ici, les boîtes de production avaient un modèle économique basé sur du brand content et de la publicité pour financer leurs programmes édito » explique Matilde Meslin. Ce modèle a mis un certain nombre de studios en difficulté financière. Alors pour remédier à la crise, certains se sont consolidés en se regroupant (comme Binge Audio et Paradiso), ou en se rapprochant d’autres acteurs médiatiques plus puissants, comme le studio Nouvelles Écoutes racheté par le groupe suédois PodX. Certains programmes s’orientent aussi vers des offres payantes, via des demandes de participation sur Patreon ou à travers des offres Premium.
Alors l’arrivée de la vidéo dans le monde du podcast est « un plus » selon Claire Hazan de Spotify. « Ce sont des solutions qui servent à développer l’usage, mais il y a plein d’autres choses à lancer dans les prochaines années » indique-t-elle. Pour elle, la fonctionnalité vidéo ne profite pas qu’aux influenceurs, et voit chez Spotify « tous types de créateurs » qui s’y intéressent. L’un des nouveaux enjeux pour la plateforme, c’est la découvrabilité de ses contenus, avec une recommandation semi-algorithmique et semi-manuelle. « Le bouche à oreille est encore majeur pour découvrir des podcasts », constate-t-on chez Spotify.
Mais selon la journaliste Matilde Meslin, un acteur pourrait tout changer en 2024 : YouTube a annoncé la création d’une section dédiée aux podcasts dans YouTube Music, et abandonne au passage Google Podcast. « Leurs algorithmes de recommandation fonctionnent bien, et cela va profiter aux créateurs qui maîtrisent le SEO, le référencement, qui pensent déjà YouTube ». D’autant que la plateforme s’impose déjà dans l’usage des podcasts, et possède cette fibre transgénérationnelle qui permet de toucher une large audience. Un véritable « événement dans l’écosystème » des podcasts, selon Matilde Meslin.
Pour autant, la vidéo est-elle l’avenir du podcast ? Pas pour Claire Hazan : « Le podcast est un format qui fait réfléchir et qui attire. La vidéo est un plus, mais je ne dirai jamais que la vidéo est l’avenir du podcast ». À bon entendeur.