L’Electronic Entertainment Expo (E3), c‘était l’un des rendez-vous annuel les plus attendus des joueurs de jeux vidéo à travers le monde, n’aura pas lieu en 2022. Son créateur, l’Entertainment Software Association (ESA), est confronté depuis plusieurs années au désintérêt des entreprises du jeu vidéo. Les éditeurs, en particulier, préfèrent créer leurs propres événements pour faire leurs annonces. Une stratégie moins coûteuse et qui touche un public tout aussi conséquent. Dès ses origines, l’E3 avait déjà les germes de sa lente agonie.

L’E3, un évènement initialement dédié aux professionnels

Annulé en 2020 pour raison sanitaire, puis de retour dans un format exclusivement numérique en 2021, l’E3 ne se déroulera pas cette année, ni physiquement, ni en ligne. L’ESA a expliqué vouloir repenser la formule pour faire face au nombre croissant d’acteurs de l’industrie qui boudent l’évènement. Cela a permis au Summer Game Fest, festival du jeu vidéo en ligne, de supplanter l’E3. Cette grand-messe a été imaginée par Geoff Keighley, qui organise également l’équivalent des oscars du jeu vidéo, les Game Awards.

En réalité, ce n’est pas seulement le Summer Game Fest, ni les événements des éditeurs qui ont fait souffrir l’E3. L’ESA est un lobby américain créé en 1994 quand le jeu vidéo prenait de l’ampleur, malgré l’image négative du secteur auprès de l’opinion. Dès 1995, l’ESA organise le premier E3 dans le lieu appelé à devenir sa base historique, le Convention Center de Los Angeles. Cette première édition accueille 50 000 personnes, exclusivement des professionnels du jeu vidéo et des journalistes. Les éditeurs qui y présentent leurs jeux sont membres de l’ESA pour laquelle ils cotisent. À l’ère pré-internet, le but des éditeurs était de profiter de cette forte affluence pour présenter leurs prochains jeux et produits au plus grand nombre.

La fréquentation du salon a connu une croissance constante jusqu’à atteindre son pic en 2005 avec 70 000 visiteurs. Un succès à double tranchant puisque ce gain de popularité a entraîné une augmentation du coût de l’organisation, à la fois pour l’ESA et pour les éditeurs. La majorité des nouveaux visiteurs étaient, par exemple, des blogueurs et des personnes avec peu d’influence dans l’industrie. Ils arpentaient massivement les couloirs du salon, rendant les files d’attente pour assister aux présentations interminables, ce qui a refroidi beaucoup d’exposants.

Pour contrecarrer les conséquences de sa popularité, l’ESA a voulu réinventer la formule en organisant un E3 plus petit en 2007 et 2008. L’association pensait compenser la perte d’affluence liée à ce format en invitant uniquement des médias mainstreams, dans l’espoir de toucher un public large. Malheureusement, cela n’a pas fonctionné, les médias de masse et la presse généraliste n’accordaient aucune importance aux jeux vidéo. Des éditeurs de premier rang comme Activision ou Vivendi ont décidé de quitter l’événement, portant un coup violent au salon.

Les éditeurs préfèrent une communication plus direct

Ces premiers départs ont entamé la déchéance de l’E3. En parallèle, internet s’est démocratisé et les réseaux sociaux les plus populaires comme Facebook, YouTube et Twitter ont vu le jour. Les éditeurs disposent désormais de leurs propres canaux de communication pour être en contact direct avec les consommateurs. Les leaders de l’industrie ont réalisé que l’E3 n’avait rien de plus à leur offrir. Des acteurs majeurs se sont séparés de l’ESA, comme Nintendo en 2013. L’entreprise japonaise a créé son propre format vidéo, pré-enregistré, qui la préservait des aléas des conférences : le Nintendo Direct.

Au fur et à mesure, d’autres éditeurs vont suivre le mouvement. Electronic Arts, qui dispose de grandes licences comme FIFA et Les Sims, signe son départ en 2016 pour créer son propre événement. Un coup brutal a été asséné à l’E3 lorsque le mastodonte du jeu vidéo, Sony, avec sa PlayStation, s’est retiré en 2019. La société japonaise a également décidé d’assurer sa communication à travers ses propres conférences. Elle s’est calquée sur le modèle de Nintendo avec un format vidéo de présentation : le State of Play.

Aujourd’hui, même des éditeurs de moins grande envergure que des géants comme Nintendo, Sony ou Microsoft, organisent leurs événements en ligne. C’est notamment le cas de Capcom, Sega ou encore Square Enix, pour en citer quelques-uns. Avec une communication directe vers les consommateurs, le principe même de l’E3 a été totalement remis en question.

Pour subsister, l’E3 essaye de se réinventer

L’E3 avait un réel intérêt à ses débuts car il s’adressait à de potentiels investisseurs. Les conférences des éditeurs noyaient leurs spectateurs sous les chiffres. Ça n’avait rien de surprenant, le salon était dédié aux professionnels. Les entreprises venaient faire la démonstration de leur bonne santé et de leur formidable avenir. L’objectif était d’en mettre plein la vue et de faire de nombreuses promesses. Les revendeurs y trouvaient même leur compte, car cela permettait aux boutiques de jeux vidéo de se faire une idée des productions qui allaient le mieux fonctionner pour adapter leur stock en conséquence.

Les géants de l’industrie disposent de leurs propres canaux de communication et de distribution, ils n’ont donc plus besoin de convaincre les boutiques de jeux vidéo d’investir dans leurs productions. Les magasins en ligne comme le PlayStation Store de Sony ou l’eShop de Nintendo sont devenus accessibles, entrant dans les habitudes de consommation des joueurs. Dès lors toutes les cartes sont dans les mains des entreprises du jeu vidéo pour ne plus avoir à dépendre d’un intermédiaire qui coûte de l’argent.

Les éditeurs n’ont plus d’intérêt à mettre de l’argent dans l’E3, et ne le font plus. Une manne dont le salon a pourtant besoin pour survivre. L’ESA a bien essayé de pallier ce problème en vendant des tickets d’accès à son événement pour les non-professionnels. En 2015, 5 000 personnes pouvaient venir visiter le Convention Center de Los Angeles pour y découvrir les nouveaux jeux. Le pic de fréquentation a une nouvelle fois grimpé jusqu’en 2019 avec 65 000 visiteurs. Le Convention Center devient chaotique, les fans se mélangeant aux professionnels. L’E3 s’adressait davantage aux joueurs en se concentrant sur des présentations tape-à-l’œil des prochains jeux. Cela a mené à une baisse du nombre d’exposants.

Stanley Pierre-Louis, dirigeant de l’ESA, a officiellement annoncé mercredi 8 mai que l’E3 aura bien lieu en 2023. Il prendra une forme hybride, à la fois en ligne et avec une présence physique. Tout le monde s’interroge sur les éditeurs qui participeront à cette édition. La version numérique de l’E3 proposée en 2021 n’avait pas convaincu. Les entreprises qui étaient présentes n’avaient pas toujours l’expérience, ni les moyens, de proposer des conférences attrayantes.

Shawn Layden, l’ancien directeur de PlayStation Studios, a émis l’hypothèse que cette prochaine édition s’inspirerait de la Comic Con, la plus grande convention américaine dédiée à la pop culture. Il s’agirait d’un festival dédié aux fans, plus intéractif et avec la présence de célébrités et d’influenceurs. Par le passé des stars de Hollywood, comme Keanus Reeves, ont fait acte de présence pour créer le buzz.

De son côté, Geoff Keighley, organisateur du Summer Game Fest, a profité de l’ouverture de son événement en ligne ce 9 mai pour affirmer que la prochaine édition aura une itération physique, sans donner plus de détail. Cela mettrait l’E3 en concurrence direct avec un nouvel adversaire. Les deux entités vont devoir se disputer les quelques éditeurs et développeurs qui voudront bien contribuer à leur show. Toutefois, ils risquent de parasiter mutuellement leur communication et d’égarer le public.