Septembre 2019, la NASA publiait sur son site un article dans lequel Google affirmait avoir atteint la suprématie quantique, autrement dit le point où les capacités de calcul de l’ordinateur classique sont dépassées par un ordinateur quantique. L’article avait finalement été retiré, mais repéré par le Financial Times. Branle-bas de combat parmi les concurrents lancés dans la « course » à la physique quantique. Les chercheurs d’IBM sont revenus hier sur le sujet, expliquant pourquoi ces avancées ne sont pas suffisantes selon eux.

Il ne suffit pas d’être rapide

Google ne s’est pas prononcé depuis la parution de l’article. Il n’a pas fallu longtemps cependant pour que ses concurrents prennent la parole. Si certains se sont réjouis de cette avancée, à l’instar de Jim Clake, directeur du hardware quantique d’Intel expliquant qu’il s’agissait d’un « tournant majeur dans la réalisation du potentiel de l’informatique quantique », d’autres en revanche n’ont pas hésité à remettre en cause le travail de Google. Aussi, Dario Gil, directeur de la recherche chez IBM avait déclaré suite à la publication de l’article, que cette affirmation de la part de Google était « tout simplement fausse ». Ajoutant que la suprématie quantique devrait être atteinte par un ordinateur quantique « généraliste ». Ci-dessous Dario Gil, devant IBM Q System One, décrit comme le premier système informatique quantique intégré au monde, destiné à un usage commercial et scientifique.

Google affirmait dans son article – repris par le Financial Times – que son processeur était parvenu à « mener une opération en trois minutes et vingt secondes, là où il faudrait 10.000 ans au plus avancé des ordinateurs actuels ».

Interrogé sur le sérieux de cette affirmation par La Tribune, Simon Perdrix, directeur du Groupe de Travail Informatique Quantique du CNRS, avait expliqué les difficultés rencontrées pour démontrer l’atteinte de la « suprématie quantique » : « Il faut d’abord prouver que l’ordinateur classique ne peut pas faire le calcul », ce que met en exergue l’équipe d’IBM, nous le verrons dans la suite de cet article.

Simon Perdrix rappelle que l’intérêt de la suprématie quantique réside ailleurs que dans la rapidité de calcul. Pour vulgariser, un ordinateur quantique, n’utilise pas la même quantité de puissance. Les calculs s’opérant non pas à partir des bits d’informations, mais des qubits. En théorie, la physique quantique dépasse ainsi la physique classique, permettant à l’ordinateur de résoudre des problèmes plus complexes, où sont traitées à la fois l’état de 1, et de 0. Un ordinateur classique n’étant capable d’opérer qu’avec une unité à la fois. Autrement dit, l’ordinateur fonctionne sur un spectre continu qui permet la superposition, contrairement au système binaire d’un ordinateur classique.

Pour le moment donc, il semblerait que les tests effectués aient simplement permis de profiter de la rapidité de calcul que permet un ordinateur quantique, du fait de pouvoir traiter des informations simultanément, contrairement à un ordinateur classique. Ce qui manifestement aurait été le cas de Google.

Or le but n’est pas là, rappelle Simon Perdrix, l’objectif à atteindre reste la résolution d’un problème complexe, qui, par définition, ne pourrait être réalisée par un ordinateur classique, ne disposant pas des propriétés nécessaires à la réalisation du calcul à effectuer.

Une remise en cause « théorique »

L’équipe IBM n’y va pas par quatre chemins, et soutient que la calcul opéré par le processeur de Google – calculateur quantique à 53 qubits – peut être « effectué sur un système classique en 2,5 jours et avec une fidélité beaucoup plus grande ». Pour arriver à ce résultat, IBM propose l’utilisation d’un disque dur. Tandis que la méthode de Google reposerait principalement sur le stockage des données dans la RAM, celle d’IBM utiliserait « à la fois la RAM et l’espace disque dur ».

En outre, Edwin Pednault, John Gunnels et Jay Gambetta rappellent la définition de la « suprématie quantique » établie par John Preskill en 2012, qui consiste à décrire le point où les ordinateurs quantiques peuvent faire des choses que les ordinateurs classiques ne peuvent pas. Et de conclure par « ce seuil n’a pas été atteint ».

Petit détail tout de même, les chercheurs d’IBM n’ont pas effectué les tests permettant de prouver ce qu’ils avancent. Google, quant à lui, a refusé de commenter [mise à jour : ce qu’il a fait depuis la parution de cet article, ainsi que John Preskill].

Pour conclure, certains parleraient non pas d’ordinateur quantique, mais de calculateur. Celui de Google, étant en mesure de simuler un circuit quantique aléatoire, capable de manipuler 50 qubits. L’ordinateur quantique, lui, pourrait en théorie, trouver la « factorisation » nécessaire notamment à la cryptographie. Il permettrait de faciliter certaines opérations en chimie, mais également dans le cadre de l’aérospatial, ou dans le cadre de l’intelligence artificielle : permettant par exemple la « gestion des données pour faire circuler des voitures autonomes« , le « pilotage de l’électronique de bord d’un avion de chasse en situation de combat« , ou « l’optimisation instantanée d’un ensemble de satellites face à une éruption solaire« .

Si les laboratoires d’IBM, Google, Intel et Microsoft travaillent sur des prototypes d’ordinateurs quantiques, aucun ne semble encore capable de venir à bout des exemples cités. Et pour cause, les calculs à réaliser, et la variable de temps viennent compliquer la tâche, ainsi que l’expliquait déjà John Preskill, amené à s’exprimer plus longuement sur le sujet en 2017.