Le Canada aussi est passé à  l’ère de « l’expérientiel » ! Pour mieux comprendre les nouveaux enjeux digitaux du pays, rencontre avec Victor Davoine, un Français aujourd’hui General Manager de Mirum Agency. Au programme ? Customer experience, personnalisation et business transformation, le tout en direct de Montréal…

Bonjour Victor, tu es aujourd’hui General Manager de l’agence digitale Mirum Agency mais aussi un Français expatrié à Montréal depuis presque 10 ans. Peux-tu me parler de ton parcours et des étapes qui t’ont amenées jusqu’à ton poste actuel ? 

J’ai commencé par une école de commerce post-bac à Reims qui s’appelle le CESEM avec deux années aux Etats-Unis, à la Boston Northeastern University, pour terminer mon Bachelor ; j’ai adoré l’approche centrée sur des études de cas tout comme le rapport avec les enseignants, notamment lors du cours « Consumer Behaviour ». J’ai ensuite travaillé chez Staples en « Branding » pour valider mon diplôme. 

Comme tout bon étudiant, je ne savais pas quoi faire à la fin de ces études et j’ai décidé de m’inscrire à HEC Montréal pour poursuivre une maîtrise en Marketing axée « Recherche ». Mon mémoire avait pour sujet « L’influence du pays d’origine sur le sponsoring en tant que marque  » et j’ai ensuite postulé à un poste d’Account Manager chez « Twist Image », l’ancienne nomination de Mirum Agency. En sept ans, je suis donc passé de ce poste à celui de General Manager de l’agence après avoir franchi les différentes étapes internes. 

Peux-tu me parler de ton agence digitale, Mirum, depuis sa création jusqu’à ce jour ? Que signifie « être une agence sans frontière » à vos yeux ?

« Twist Image » a été fondée en 2000 par quatre associés montréalais qui surfaient sur le début de la vague digitale ; il y a cinq ans, nous nous sommes faits racheter par « WPP » qui a décidé de rebrander toutes leurs agences locales en « Mirum Agency » pour devenir une agence internationale qui compte désormais 27 000 employés à travers le monde. Nous avons gardé notre indépendance locale tout en faisant partie d’un groupe international, sans quartier général, avec des entités autonomes, d’où cette logique « sans frontière » qui permet de partager nos ressources de par le monde pour apporter des expertises précises selon les besoins de nos clients. Mirum Agency fait également partie du réseau « Wunderman-Thompson » chez qui nous pouvons également détacher des ressources si besoin.  

Au Canada, notre offre de service, principalement en B2C, est divisée en trois piliers ; le premier, « Business Transformation », repose sur la stratégie et s’appuie sur la data – études conso, marché, technologiques – pour définir une vision commune avec nos clients, le « North Star ». Le second, « Expérience Design », concerne le développement de produits : site web, application mobile, CRM, CMS…, soit la tuyauterie opérationnelle. La troisième s’appelle « Content & Campaigns », le « Go to Market », la partie communication. 

Notre portefeuille client canadien comprend des entreprises internationales – Adidas, Danone, Campari, Producteurs Laitier du Canada – tout comme des clients de taille plus modeste répartis sur deux locations physiques : Toronto et Montréal. 

Locaux de Mirum Agency, à Montréal © Guillaume Terrien

On parle souvent « d’agence digitale » sans trop savoir exactement les services qui y sont inclus ; quelle est votre définition du « digital » et quelles solutions apportez-vous à vos clients actuels ? 

Je préfère nous qualifier d’« agence d’expérience » car nous sommes actuellement dans une économie de l’expérience ; notre métier, c’est de comprendre le consommateur digital, son cheminement et d’ajuster l’offre de nos clients au regard de ces profils consommateurs. La « tech » n’est pas une fin en soi, notre objectif c’est la compréhension des clients finaux. Aussi, cette brique technologique doit être réalisée « sans couture » pour faire en sorte que l’utilisateur ne la ressente pas ; dans notre approche, nous nous concentrons donc principalement sur le parcours utilisateur pour trouver les solutions technologiques et opérationnelles adéquates. 

Pour répondre à ces enjeux, notre politique de recrutement est « horizontale » : on cherche des profils « experts en T » qui disposent d’une expertise sur un coeur de métier mais sont dotés de compétences « latérales » permettant de collaborer avec d’autres services ; ce fonctionnement nous autorise à déplacer nos ressources en fonction des différentes charges de travail et d’être réactifs en permanence.    

Mirum Agency, une agence expérientielle © Guillaume Terrien

Sur quelles grandes « thématiques digitales » travaillez-vous actuellement avec vos clients et quels sont les besoins les plus souvent exprimés ? 

L’année dernière, au Canada, l’expression « transformation digitale » était sur toutes les lèvres ! Aujourd’hui, les responsables l’ont débutée en se procurant les outils mais n’ont encore aucune idée de la façon de les utiliser ! Pour la plupart des entreprises canadiennes, la transformation digitale correspond à l’achat d’une technologie. 

La tendance 2019, c’est la personnalisation, à travers les CRM et la connaissance des utilisateurs ; la personnalisation est devenue le « buzzword » même si c’est un objectif encore bien loin d’être atteint. Je crois sincèrement qu’il faudrait créer des équipes mixtes « médias – créas » car les médias – social media, paid media, programmatique, mid-roll etc. – détiennent la data et les créa doivent en disposer pour influencer leurs idées créatives. L’approche « one-to-many » s’est transformée aujourd’hui en « one-to-few » et, dans le futur, l’objectif sera une véritable approche « one-to-one ». Le contenu et le média doivent donc vivre ensemble ; c’est un passionnant défi à relever pour nous ! 

A titre d’exemple expérientiel, Sephora se débrouille très bien dans la personnalisation, Amazon également mais je trouve l’approche de Sephora plus pertinente, plus fine : l’arrivée sur le site web, les programmes de fidélité, leurs newsletters… Ils ont très bien compris comment fonctionne le marketing moderne : une alliance de la technologie, aussi bien en point de vente que sur le web, et de l’expérience client. Chapeau ! 

Parlons data donc ! Vous basez une grande partie de vos approches stratégiques sur l’analyse de ces données ; en quoi le big data est-il en train de transformer l’approche marketing des entreprises ? 

Déjà, un constat : les agences dépensent très peu en R&D par rapport à d’autres secteurs et je pense que c’est une grande faiblesse ! Travailler sur des technologies émergentes, de l’IA ou autre, permettrait de se distinguer de la concurrence et d’avoir un avantage concurrentiel lié à une approche plus fine et précise. 

En interne, la data influence déjà le management même si j’évite de trop baser mon décisionnel sur les données chiffrées car la partie humaine demeure capitale ; côté externe, le big data permet d’ajuster, d’optimiser l’expérience de marque. Avant, on se basait sur l’aspect créatif pour attirer les consommateurs, il existait moins de points de contact, l’intuitif était au coeur de stratégies plus linéaires. Désormais, les points de contacts et KPIs se sont démultipliés, les consommateurs se promènent entre « awareness » et « considération »… Dans ce contexte, le big data permet l’optimisation de l’investissement marketing. Mais tout n’est pas résolu ! Par exemple, il existe encore pas mal de problèmes d’insights « cross devices » : à quel moment l’utilisateur est-il passé de son téléphone à sa tablette, puis a allumé sa télévision…? Le mauvais côté, c’est que cette approche data-centric limite souvent l’approche créative pure, les « coups de génie » mais elle offre, en parallèle, une autre forme de créativité « techno-stratégique ». 

Le big data a globalement favorisé l’aspect stratégique mais laisse moins de place au côté « artistique » ; pourtant, je ne crois pas qu’il faille que ce constat s’étire dans le temps sinon les clients pourront tout internaliser. Or, les agences doivent faire valoir cet aspect émotionnel, c’est lui qui leur permettra de tirer leur épingle du jeu.  

Vous délivrez un service digital global à 360° ; quel est l’intérêt de cette démarche par rapport à la spécialisation dans un domaine particulier ?

Je crois qu’aujourd’hui, il vaut mieux être ultra-spécialisé et être « le meilleur » sur le marché ! Mais, lorsque tu fais partie d’un groupe comme WPP, tu peux faire les deux : un support financier et opérationnel pour être ultra-spécialisé tout en continuant à travailler sur des projets à 360°. 

L’avantage pour le client, c’est qu’il ne travaille qu’avec une seule agence ! Attention à bien livrer derrière parce que la concurrence spécialisée est féroce. Si tu te rates sur une campagne influenceur, ton client va non seulement te retirer ce budget mais il y a des chances qu’il parte avec d’autres budgets également… Notre avantage, c’est donc de pouvoir offrir des services ultra-spécialisés intégrés dans un projet à 360°. 

Avec l’émergence des statuts free-lance et la création, en interne, d’équipes digitales dans les entreprises, le modèle de l’agence traditionnelle n’est-il pas en péril ? 

Je crois que le format « agence » conserve un rôle central sur le marché. Les clients sont rassurés par une agence traditionnelle et ont envie d’avoir un référent unique, sans avoir besoin de manager des ressources volatiles mises à disposition sur un dossier. En revanche, je crois que les agences vont évoluer peu à peu vers un modèle proche du coworking ; d’une part, parce que les CDI « full-time » sont peu flexibles et coûteux et, d’autre part, parce que ce modèle permettra d’attirer des talents. 

Néanmoins, pour des raisons légales et structurelles, que ce soit pour les free-lances eux-mêmes, aussi bien que pour les clients, les contrats passeront par l’entité centrale « agence » dont le rôle principal sera alors de gérer ces ressources, leurs affiliations et leurs mouvements. Elles deviendront des sortes de prestataires de service « clé en main » aussi bien pour les clients que pour les free-lances. Ces agences modernes seront alors staffées « senior » et ce sont ces derniers qui détiendront et diffuseront la culture d’entreprise tout en gérant ces nouvelles ressources mobiles, en présentiel ou en télétravail. 

Vue sur Montréal d’une salle de réunion © Guillaume Terrien

Comment définirais-tu globalement la « transformation numérique », que ce soit à l’échelle d’une entreprise ou à celle d’un pays ? 

Pour l’entreprise, je répondrais le triptyque « Outils, procédés, humain » ! Les outils s’achètent, les procédés, ça s’apprend, ça se met en place – excepté la créa peut-être— et les humains, ça se forme… cet ensemble ajusté aux besoin du consommateur, c’est ainsi que je la définirais. 

A l’échelle d’un pays, la vitesse d’adoption technologique est différente en fonction des régions ; par exemple, au Canada, il y a des villes déjà digitalisées, là où certaines régions disposent pour leur part d’une faible connexion internet, d’habitudes « physiques » et d’une culture différente. Par exemple, Montréal est un pôle d’immigration qui est, en plus, exposé à la technologie. Ces facteurs favorisent l’ouverture à d’autres cultures, d’autres technologies. De plus, la ville a énormément investi ces deux dernières années sur l’IA, la 3D et les jeux vidéos grâce par une fiscalité favorable pour positionner Montréal comme une ville numérique et créative ! 

Globalement, dans notre pays, le taux de pénétration technologique est bien différent en fonction de la zone géographique. Certes, il existe une énorme volonté gouvernementale de la favoriser avec de gros investissements, notamment sur la dématérialisation et les technologies comme la blockchain ; néanmoins, ce sont des sujets vont qui parler aux profils jeunes, urbains, connectés mais beaucoup moins à d’autres.  Une entreprise, quant à elle, choisit finalement un peu à qui elle veut parler et peut s’adapter en fonction. Cela fait une grosse différence et complique le travail d’un état dans sa transformation digitale…  

Une interview chez Mirum © Guillaume Terrien