Avant que les loisirs fassent partie de la semaine d’un français, les vêtements se réduisaient à l’habit de travail. Celui-ci était tout d’abord adapté au métier du porteur (boucher, paysan, musicien…) mais il permettait également de classer socialement les individus. Au sein de toute organisation de travail (armée, mines, usines, manufacture) les salariés (les ouvriers, les ingénieurs, les mineurs, les contremaîtres…etc.) étaient soumis aux conditions de travail imposées par leur statut et ces différences étaient reconnaissables par leurs habits.

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Une fois le dimanche décrété non-travaillé, la société de loisirs prend place. Le secteur des services grandit rapidement. Une majorité des emplois ne demandent pas d’habillage spécifique. C’est le tapis rouge des styles.

Petit à petit le vêtement se détache du ‘classement financier’ pour aller vers un ‘reflet sociologique’. Le marketing peut ainsi établir des cibles par rapport à la profession, ou plus exactement aux Catégories Socio-Professionnelles. Aujourd’hui, grâce au discount qui imite les grandes marques, chacun peut s’amuser à porter ce qu’il veut. On peut être habillé classe pour pas cher. Passant ainsi des perles aux épingles à nourrice comme boucle d’oreilles. Au-delà d’un style de vie, le vêtement devient ‘habillage d’humeur’, comme l’illustre bien la dernière campagne TV de Zalando  (« les femmes ont plusieurs facettes, on devrait pouvoir toutes les dévoiler »)

Mais comment est-on arrivé à se dire qu’un tailleur affûté de baskets était stylé ?

Le tailleur est la tenue-symbole de la culture work-office, où le travail est sérieusement célébré. Les baskets (bravo à Adidas, qui a imposé ses Stan Smith) sont un symbole de la culture street, née aux Etats-Unis, pays-roi du divertissement. Les lignes droites des coupes des blazers noirs accueillent les formes rondes et blanches des baskets. Le tailleursneaker serait l’expression d’un effet de rupture. Le travail n’est pas que sérieux, le divertissement intègre une sphère jusqu’alors interdite.
Ce mélange n’a rien d’étonnant quand on y pense. Cela fait un moment qu’on entend parler de cette «génération Y» « qui adore le DIY » et « prône le mash-up ».

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Mais pourquoi cette « liberté de mélange fait main » n’a-t-elle pas eu lieu avant ? Et que révèle-t-elle ?

Si on se souvient, et bien Internet a permis un effacement de la frontière professionnelle-amateur. Le digital, en proposant un espace d’expression gratuit, a donné naissance à de nombreux photographes et journalistes en herbe, bouleversant le modèle économique et juridique de l’édition et de l’image. Le parcours consommateur a été complètement revisité par l’e-commerce. L’économie circulaire est devenue possible grâce aux sites comme le Bon Coin. Internet a inventé une nouvelle définition du travail : les pro-ams (ni professionnel, ni amateur). C’est une rupture avec la vision traditionnelle du travail. Ces codes qui bougent peuvent expliquer le succès du décalé costard noir- basket blanches : il serait un reflet de la société actuelle où on mélange les genres et redéfinit les normes.

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Au-delà du logo floqué sur un t-shirt, les vêtements sont des éléments importants d’une stratégie d’image de marque. En interne, établir une politique d’habillement permet de définir les axes thématiques de la culture d’entreprise que l’on souhaite insuffler aux salariés. Les vêtements peuvent être choisis par nécessité de la profession, c’est-à-dire imposés par le caractère du métier. Le look recherché sera différents pour les métiers de représentation, comprenant une relation-client, que pour les métiers de matière, comme ceux de la production. Mais les habits peuvent être déterminés comme signes de catégorisation. Dans ce cas, ils servent de rappel de la hiérarchie en place qui régit les relations interpersonnelles.

Les tenues vestimentaires sont des points d’autant plus sensibles qu’au-delà d’une stratégie de communication corporate, ils sont visibles des publics extérieurs. On peut supposer que les entreprises qui autorisent le tailleur-sneakers seront perçues comme « jeunes » ou du moins « plus souples d’esprit » que les entreprises imposant le port de la chemise à ses responsables d’équipes, la cravate au N+1, le costard entier au N+2. Celles-ci seront vues comme « traditionnelles » ou « vieux jeu », dépendant de qui parle.

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Le tailleur-sneakers est une expression de la révolution qu’a été/est Internet. Le tailleur-sneaker montre une envie de redéfinir les limites du travail, les manières de vivre. Grâce à Internet, un monde entier peut être (ré)inventé, le tailleur-sneakers ce n’était que le début. Plus récemment, une tendance #grannychic se dessine sur Internet, et particulièrement sur Instagram. Cet automne la mode est au mélange des générations, s’habiller comme sa grand-mère sera tendance (mais périlleux).

En vous souhaitant un excellent automne-hiver 2016… et surtout bonne chance !

irisco