Un samedi caniculaire du mois de juin, plus de 35 degrés à l’ombre sous le soleil parisien, et la masse de visiteurs se pressent Porte de Versailles. Dans l’immense hall climatisé, on respire enfin : c’est l’occasion de se balader entre les stands, de découvrir les chiens robots façon Boston Dynamics (ou Black Mirror), essayer un exosquelette, ou se prêter au jeu du metaverse, casque de réalité virtuelle sur la tête. Pour son grand retour en présentiel après deux ans de pandémie, VivaTech a vu les choses en grand. Au total, l’événement a accueilli 91 000 visiteurs en présentiel, 300 000 visites en ligne et plus de 3 milliards de vues sur ses différents réseaux sociaux.

Parmi les têtes d’affiche de cette édition 2022, des grands noms de la tech : Vitalik Buterin, fondateur de l’Ethereum et Changpeng Zhao, fondateur de Binance ; Thierry Breton de la Commission Européenne, Bernard Arnault de LVMH, l’athlète Tony Estanguet, ou encore Emmanuel Macron. Pendant quatre jours, les conférences se sont enchaînées autour d’une dizaine de thématiques, du Web3 à la e-santé en passant par les questions d’inclusion et de diversité ou des enjeux écologiques et spatiaux. L’occasion d’entre-apercevoir ce que nous réserve le futur, entre dystopie ultra-connectée et innovations pleines d’espoir.

Nos vies et notre rapport au travail bouleversé par le Covid

Après deux ans de Covid-19, beaucoup diront que nous sommes entrés dans le monde « d’après » : beaucoup d’entreprises ont opéré une digitalisation – parfois à marche forcée, la télémédecine s’est normalisée, le télétravail rendu quasi-obligatoire. Un changement de paradigme qui oblige aussi les entreprises à être plus attractives, notamment dans un rapport plus flexible au travail, ou en prenant en charge la santé mentale. Emilie Sidiqian, de l’éditeur de logiciels Salesforce, expliquait ainsi qu’il fallait « se concentrer sur les équipes locales pour qu’elles prennent leurs propres décisions » sur l’organisation du travail. Même constat pour Caroline Leroy, de l’entreprise de gestion de paie PayFit, qui a insisté lors d’une conférence sur la révolution du travail sur l’un des systèmes hybride mis en place par l’entreprise, où les employés peuvent travailler de partout : « On met nos employés en avant, on leur donne du pouvoir, mais surtout on leur fait confiance ».

Guillaume Vives, Chief Operating Officer chez Klaxoon, éditeur de logiciels de visioconférences, l’affirme : « Peu importe comment les gens organisent leur journée, tant que le vendredi soir, tout est fait ! Il faut que les managers se concentrent là-dessus. Si on force les gens, ils ne vont pas avoir envie de travailler ». La question du stress et du bien-être fait partie de cette révolution de l’environnement de travail, particulièrement après deux ans de télétravail parfois forcé. « Il faut donner des ressources aux managers pour qu’ils soient au plus près des besoins de leurs équipes : du support financier pour les parents, une meilleure organisation quand on travaille de chez soi… » égrène Emilie Sidiqian. Pour Caroline Leroy, il s’agit de « nourrir les relations » entre managers et employés, renforcer les relations. « Il n’y a pas de solution miracle, mais on peut rendre le management plus qualitatif et mesurer nos progrès », assure-t-elle.

Une évolution du rapport au travail qui résonne avec la numérisation plus globale de notre rapport au monde, notamment dans l’univers médical. La e-santé se développe, et les consultations en visio ne seraient que le bout émergeant de l’iceberg. Diagnostic des maladies avant qu’elles n’arrivent, chirurgie avec des bras robotiques, médicamentation personnalisée… Antoine Tesniere, professeur de médecine et ancien vice-président de l’Université de Paris, a présenté à VivaTech PariSanté Campus, dont il est le directeur. Une institution destinée à continuer les recherches et à innover en matière de santé à l’ère numérique. « L’une des leçons du Covid a été l’accélération rapide des solutions de e-santé. C’est la première pandémie que l’on pouvait suivre en temps réel », a-t-il expliqué. L’aide et la mise en place d’institutions nationales sur la question sont selon lui salvatrices, mais permettront aussi de résoudre les obstacles à l’implémentation globale de la e-santé, comme la sécurité des données personnelles ou l’accès des outils appropriés au plus grand nombre. « Jeter un œil dans le passé permet de voir que, par exemple, les gens avaient peur de l’électricité à son apparition. Depuis, c’est un indispensable. Nous devons être actifs dans la transformation » a-t-il conclu.

Une tech qui fait son état de conscience

Problème pour le secteur de la tech française (et internationale) : les photos d’équipe se suivent et se ressemblent. Le secteur de l’innovation a encore du mal à se diversifier et à inclure d’autres profils. « Surtout que la diversité a toujours existé dans la tech, notamment dans les années 1950/1960 ! » rappelle Clarisse Magnin-Mallez, directrice générale de McKinsey. Et beaucoup d’environnements de la tech sont devenus homogènes au fil du temps, marqués par des biais racistes ou sexistes. Pour Nathan Cavaglione, de Fairgen, il s’agit de fixer les biais algorithmiques des entreprises, pour promouvoir la diversité et l’inclusion dès le recrutement, « car nos données seront toujours imparfaites ».

Entrer dans la tech c’est bien, y rester c’est mieux. « Quand on sait que 52% des femmes en tech partent de ce secteur avant 35 ans, c’est qu’il y a un problème » avance Clarisse Magnin-Mallez. D’autant que comme l’explique Kat Vellos, de We Should Get Together, une organisation destinée à renforcer les liens entre les gens, « avoir un environnement de travail avec de la diversité ne veut pas dire que tout le monde va être inclus ». Elle recommande la formation des équipes pour éradiquer les discriminations et micro-agressions au sein du bureau, pour construire une sécurité psychologique pour tous les employés. « C’est plus économique de garder ses employés et de les faire se sentir à leur place » conclut Kat Vellos.

VivaTech proposait ainsi sur sa grande scène une fête réunissant 3 000 collégiennes et lycéennes ainsi que des jeunes diplômées, des femmes de la tech, des entrepreneuses, et des professionnelles souhaitant se reconvertir. Organisée par le collectif Women & Girls in Tech (réunissant BNP Paribas, Simplon, Digital Ladies & Allies et BECOMTECH), c’était l’occasion pour l’événement de célébrer celles qu’on voit encore trop peu dans les professions techniques et scientifiques. L’objectif était de célébrer la diversité des parcours et des profils, de déconstruire les clichés et d’inciter les femmes à « prendre leur place » dans la tech.

La révolution du Web3

Autre thème central de cette édition 2022 de VivaTech, la question du Web3, c’est-à-dire du futur d’internet, entre blockchain, cryptomonnaies et métaverse. Une décentralisation qui passera par des technologies toujours plus pointues. Pour Gwendolyn Regina, de BNB Chain, « nous créons beaucoup de données mais nous ne les possédons pas ». La technologie blockchain permettrait une nouvelle manière de contrôler nos données personnelles, avec plus de sécurité et de transparence. D’autant que certaines nations l’ont déjà adapté, comme l’Estonie. Lauri Haav, de e-Residency, l’organisme qui gère la plus grande nation numérique d’Europe, explique que pour toute technologie, il faut de la confiance de la part de la société. « Mais le Web3 va changer comment on possède et comment on échange », prévient-il. Pour Gwendolyn Regina, « Web3 est un mot à clic, mais cela désigne un pas énorme dans la décentralisation et un nouveau rapport à la propriété ».

D’autant que la blockchain et autres cryptos s’étendent dans tous les domaines, et notamment celui de l’art, avec les NFT, ces œuvres virtuelles achetables en cryptomonnaies. « Ce qui est excitant avec le Web3, c’est l’infinité des possibilités pour les artistes, et que l’art touche encore plus de monde » indique ainsi Nathan Clements-Gillepsie de Frieze, institution du milieu de l’art contemporain. Désormais, artistes et galeries conçoivent main dans la main des NFT, comme la Pace Gallery de Londres, qui travaille avec Jeff Koons pour créer des NFT de sculptures de Lune, que l’artiste veut envoyer physiquement dans l’espace. « Les artistes utilisent ces outils, et notre travail c’est de mettre en avant ce qu’ils font » affirme ainsi Ariel Hudes de la Pace Gallery. Les nouveaux outils technologiques pourraient même « libérer » les artistes de certaines contraintes artistiques.

Sauver la planète… et vivre sur la Lune

Si beaucoup de conférences de l’édition 2022 de VivaTech tournaient autour du futur des innovations technologiques, encore faut-il pouvoir encore vivre sur cette planète … Ou dans les planètes proches ? Alors qu’en septembre 2021, SpaceX, l’entreprise privée de tourisme spatial d’Elon Musk envoyait ses premiers clients dans l’espace, peut-on espérer que dans quelques décennies, nous allons vivre sur Mars ou sur la Lune ? Pour Daniel Neuenschwander, de l’Agence Spatiale Européenne, « dans l’espace, rien n’est anecdotique ». Tandis que des sociétés comme SEArch+ désignent des habitats pour vivre dans l’espace, et affirme par son fondateur Michael Morris que dans 25 à 50 ans, nous pourrons peut-être habiter sur la lune, Jean-François Clervoy, ancien astronaute, affirme que la présence des sociétés privées dans le domaine spatial fait diminuer les budgets pour les missions spatiales, et pose des questions quant aux raisons de vouloir aller dans l’espace… Si ce n’est pour du tourisme.

Barbara Belvisi, d’Interstellar Lab, explique comment les technologies avancées pour vivre sur la Lune peuvent permettre aussi de ramener des technologies pour avoir une agriculture plus durable. « Pour moi, la technologie est un outil pour atteindre un objectif, dont recréer un lien avec le vivant », ajoute-t-elle. Car en ce samedi caniculaire du mois de juin, alors que des tempêtes de sable secouent la Normandie et que les grandes villes suffoquent sous plus de 35 degrés, les paroles du GIEC ne sont pas loin : « la canicule nous rappelle qu’il y a urgence » lance Hervé Poirier, rédacteur en chef du média scientifique Epsiloon. Car entre technologie à tout prix et développement durable, de quel côté faire pencher la balance ? « La question des technologies est importante. Selon le GIEC, on doit à la fois innover et prôner une sobriété. Alors, à quoi nous servent les innovations ? Selon moi, changer de paradigme économique pour avoir des modes de vie soutenables » explique Arthur Auboeuf de Time for The Planet, sorte de « Tinder du climat », qui matche des innovations à impact avec des entrepreneurs chevronnés. Finalement, les paroles de sagesse viennent d’Erik Orsenna, auteur et économiste : « Ma morale, c’est de se conduire sur terre avec humilité. Je suis très heureux d’être ici car on voit les solutions. Qu’elle est belle notre planète ! Sinon on n’essayerait pas de la sauver ». Une formule à méditer, à mesure que la salle se vide et que VivaTech 2022 ferme ses portes… jusqu’à l’année prochaine.