Dans une ordonnance du 31 décembre, le tribunal de Bologne, ville de l’Italie centrale, a défini le “classement de réputation” de Deliveroo, ordonné par un algorithme, comme étant “discriminatoire”. Contre qui, contre quoi ? Cet algorithme, appelé Frank, ne ferait aucune différence entre un livreur (aussi appelé rider) exerçant son droit de grève ou étant malade, et un autre, inefficace, qui livre davantage de pizzas froides que chaudes. "Pour la première fois en Europe, un juge établit que Frank est aveugle et donc indifférent aux besoins des livreurs qui ne sont pas des machines, mais des travailleurs ayant des droits," déclare Tania Scacchetti, la secrétaire confédérale de la CGIL, le syndicat ayant porté l’affaire. En classant les livreurs selon leur réputation et leurs performances, l’algorithme ne permet pas de prendre en compte les nuances d’un manque d’efficience ponctuel. Il rétrograde ainsi de la même manière un livreur qui ne ferait pas son travail pour quelque raison futile, qu’un livreur malade ou en grève.
La Cour indique que “quand elle le veut, la plateforme peut très bien se défaire du bandeau qui la rend aveugle ou inconsciente par rapport aux raisons du défaut de travail d’un livreur. Si elle ne le fait pas, c'est parce qu'elle l'a volontairement choisie.” C’est une victoire historique pour les droits sociaux des travailleurs indépendants de la “gig economy”, alors que Uber, Deliveroo et d’autres entreprises de livraisons prévoient de contrer en Europe toute tentative de législation qui les obligerait à requalifier les travailleurs en employés. Par ailleurs, elle intervient dans le contexte de la pandémie, qui a intensifié la pression sur les livreurs, en donnant une place centrale à la livraison à domicile dans la vie quotidienne.
En tout et pour tout, le tribunal a ordonné à Deliveroo de payer 50 000 € aux requérants en titre de dédommagement (en plus de leurs frais de justice), mais aussi de publier la décision sur son site Web. Deliveroo, quant à lui, a souhaité se défendre des accusations du tribunal de Bologne, et a envoyé à TechCrunch une déclaration officielle soutenant que le système de classement visé n’était pas utilisé en Italie ni sur aucun autre marché. “Les cyclistes ont une flexibilité totale pour choisir quand travailler, où travailler, pour peu ou aussi longtemps qu'ils le souhaitent. Cela signifie qu'il n'y a pas de système de réservation et aucune obligation d'accepter des travaux,” peut-on lire dans la déclaration, qui détonne face au résultat de la Cour.
Ansa, une agence de presse italienne ayant obtenu une déclaration du directeur général de Deliveroo en Italie, insiste sur le fait que le “classement de réputation” de la plateforme était utilisé jusqu’en novembre dernier. Sans appui sur des cas particuliers, la décision de la Cour de Bologne s’appuie cependant sur l’algorithme et le fonctionnement général du classement, s’appliquant sans différence à tous les livreurs. C’est d’ailleurs ce que critique Matteo Sarzana, leader national de Deliveroo : "L'exactitude de notre ancien système est confirmée par le fait qu'aucun cas de discrimination objective et réelle n'est apparu au cours du procès. La décision est basée exclusivement sur une évaluation hypothétique et potentielle sans preuves concrètes." Pour toutes ces raisons, la compagnie a affirmé envisager la possibilité de faire appel.