Gonflé ! À l’époque de la société du selfie où tout est apparence et où la gestion de son image est reine, réagir à un soi-disant chantage en prenant les devant et en donnant tous les détails des photos compromettantes en jeu est une excellente tactique. D’un coup, cela démonétise le motif de fâcherie. Le maître chanteur n’a plus rien en poche.

D’autant que Jeff Bezos n’est pas George Clooney. Qui aurait envie de voir ses photos intimes ?

Photos de nu de Jeff Bezos ?

Apparemment un certain Mr. Picker. Jeff Bezos raconte lui-même l’histoire sur son blog sur Medium. « Quelque chose d’inhabituel m’est arrivé hier. (…) On m’a fait une offre que je ne pouvais pas refuser. En tout cas, c’était ce que les gens du National Enquirer [journal people américain, ndlr] pensaient. Je suis d’ailleurs content qu’ils aient pensé cela, car ils ont du coup osé mettre leur demande par écrit. Plutôt que de capituler face à l’extorsion et au chantage, j’ai décidé de publier leur texte, malgré le côté embarrassant de ce dont ils me menacent. »

Cet embarras remonte pour le patron d’Amazon au printemps 2018. Des échanges de textos passionnés échangés entre lui et Lauren Sanchez, sa maîtresse, sont publiés par le tabloïd à scandale. Nous sommes là dix mois avant l’annonce du divorce de l’homme le plus riche du monde.

Jeff Bezos, agacé, engage alors un détective privé pour découvrir comment ces clichés ont pu être obtenus. Visiblement, il s’agit d’un bon détective privé, Gavin de Becker. « Je le connais depuis 20 ans, ajoute Jeff Bezos. (…) Je lui ai donné une priorité : la protection de mon temps, car je préfère travailler sur d’autres sujets et je lui ai dit de faire avec le budget dont il avait besoin. »

Les équipes de Becker suivent très vite la piste d’une manipulation politique. Donald Trump déteste en effet le fondateur d’Amazon. Il se faut se souvenir que l’homme qui pèse 136 milliards de dollars a racheté le Washington Post en 2014, un organe de presse qui a beaucoup joué dans les révélations sur l’affaire russe de Donald Trump (le candidat à la Maison Blanche a-t-il ou pas travaillé pour les russes ?).

Or le National Enquirer appartient à un proche du président américain. Un homme qui a carrément reconnu devant les tribunaux américains avoir acheté le silence d’une playmate qui avait eu une relation sexuelle avec Trump.

Entreprise en difficulté

Seulement voilà. Les détectives privés vont plus loin. Ils découvrent des liens troublants entre le groupe de presse American Media Inc (AMI) qui possède le National Enquirer et l’Arabie Saoudite. L’entreprise, très endettée, chercherait à s’attirer les faveurs de Ryad. Le titre a carrément consacré une « couv » laudative à Mohamed Ben Salmane, le leader saoudien, et ce … au moment même où éclatait l’affaire du journaliste Jamal Kashoggi, assassiné sauvagement dans les locaux du consulat saoudien à Istanbul.

Cette découverte des détectives aurait mis le propriétaire du groupe AMI dans un « état proche de l’apoplexie » selon Jeff Bezos.

Le chantage

S’ensuit donc la tentative de « chantage », selon les termes employés par le patron d’Amazon. « L’angle saoudien semble avoir particulièrement agacé Mr Pecker, explique-t-il dans son post. Son équipe m’a fait savoir qu’ils avaient d’autres textes et photos me concernant et qu’ils allaient les publier si je ne mettais pas fin à mes investigations. »

Il était aussi question de publier le détail de ces éléments compromettants, sous la forme d’une liste de description des photos où Jeff Bezos est tantôt habillé, tantôt nu et où mlle Sanchez semble suggérer certaines choses. La demande de Pecker pour ne PAS publier ceci ? Que Bezos déclare publiquement qu’il n’a pas connaissance que la couverture d’AMI est motivée par des intentions politiques ou influencée par des forces politiques particulières.

Tout simplement pas vrai

« Ceci n’est tout simplement pas vrai, » explique-t-il et il a décidé de publier les menaces plutôt que de capituler. Il ajoute, comme le rapporte le quotidien Le Monde. « Si, dans ma position, je ne peux résister à ce genre d’extorsion, combien de personnes le pourront ? » On notera, comme le fait Techcrunch, que Bezos a la bonne idée de ne pas mêler le Washington Post à cette histoire. Très habile.

Si la suite de l’histoire devrait nous en apprendre sans doute plus sur l’intimité du patron d’Amazon, force est de constater qu’il sait y faire en matière de renversement de position de force. Face à l’homme de la Maison Blanche, pourtant auteur dans une vie antérieure de livres sur l’art de négocier, il vient de marquer un nouveau but.