Ces dix derniers jours, l’affaire Weinstein et ses répercussions agitent les médias. Irradiant toutes les couches de la société, le scandale entraîne par ricochet un mouvement de libération de la parole dont les réseaux sociaux, et notamment Twitter, se font écho à travers les hashtags #balancetonporc et #metoo. Par le truchement de ses marqueurs-agrégateurs, des femmes, identifiées ou sous pseudonyme, de tous milieux professionnels et sociaux, prennent la parole pour dire les harcèlements et les agressions qu’elles ont subies, auxquels elles ont dû faire face, et avec lesquels elles doivent et devront vivre.

Si les affaires dans les milieux artistiques sont celles dont les médias se font le plus écho avec dernièrement les cas Lars Von Trier et Gilbert Rozon, la sphère politique est également touchée avec les accusations d’agressions portées contre Jean Lassalle et Pierre Joxe.

Et c’est à peu près tout. Vraiment ?

Sexisme, harcèlements et agressions sexuelles éclaboussent la Silicon Valley

Cette été, la Silicon Valley a été éclaboussée par les scandales et les multiples révélations de sexisme, harcèlements et agressions sexuelles

Les révélations de cas de harcèlements se sont succédées, provoquant des démissions en cascade. Le New York Times a ainsi publié un dossier de plus d’une vingtaine de témoignages de femmes entrepreneurs qui révèlent le harcèlement sexuel systémique dans la Tech.

Ces révélations ont permis de faire émerger nombre de situations délictuelles que connaissent de nombreuses fondatrices, quand elles cherchent des financements, résultant en partie de l’asymétrie des relations professionnelles founder/investor.

Dave McCLure, le PDG de 500 Startups, l’un des accélérateurs les plus en vue, a dû démissionner après les allégations de Sarah Kunst qui a mis au jour les propos de l’entrepreneur sur Facebook (“I was getting confused figuring out whether to hire you or hit on you,”) lors d’un processus de recrutement.

On peut mentionner également le cas du PDG d’UBER, Travis Kalanick, également poussé à la démission, suite notamment à un article de Susan Fowler, ingénieure et ancienne employée, racontant les multiples cas de harcèlement sexuel et de sexisme au sein de l’entreprise. Dénonçant la “bro culture” dans la Tech, elle a poussé l’entreprise à mener une enquête interne, avec pour conséquence le départ de plusieurs cadres de l’entreprise.
Les cas de harcèlement sexuel ne se limitent pas au cadre de l’entreprise et lors des recherches de financements, mais concernent également les relations entres les journalistes et les acteurs de la Silicon Valley.

Et en France ?

Les hashtags #metoo, #moiaussi et #balancetonporc ont été le cadre d’accusations contre des personnalités publiques, en témoigne la virulente polémique autour du cas Maxime Barbier, fondateur et CEO de MinuteBuzz, polémique qui n’a jamais dépassé les frontières de Twitter, que l’on a connues médiatiquement plus poreuses. Dans la soirée du 17 octobre, le volubile fondateur publie un post sur sa page Facebook et sur son compte LinkedIn pour questionner les leviers du changement.

Très vite, la section commentaires s’embrase et des accusations sont portées. Des femmes accusent le CEO de Minutebuzz d’avoir eu des comportements “inappropriés”, pour employer des termes euphémisants. Les publications disparaissent très vite des comptes de Mr Barbier, mais comme souvent dans ce genre de situation, ils réapparaissent très vite sur Twitter, ou la polémique se poursuit et s’amplifie. Des figures des médias et de l’internet français y échangent pendant la nuit du 17 au 18.

L’affaire prend une autre tournure quand Anaïs Richardin, Directrice de la rédaction de Maddyness, et qui avait pris à parti Maxime Barbier sous sa publication, se fend d’un billet sur la plateforme medium, article massivement lu et relayé.

Le billet d’Anaïs Richardin est intéressant, car il contient plusieurs éléments caractéristiques, structurels, des harcèlements que les femmes subissent dans le cadre professionnel, de la difficulté de ces dernières à l’exprimer, et à le faire reconnaître comme tel.

La journaliste y raconte deux “épisodes” où elle aurait été confronté à du harcèlement fortement teinté d’agression…

Elle y évoque un personnage “connu pour son insistance auprès des femmes” qui lors d’un voyage de presse organisé, aurait tenté de l’embrasser, légitimant son acte par le comportement “aguicheur” de la journaliste, un peu plus tôt dans l’après-midi, quand celle-ci était en maillot de bain. Elle y évoque son dégoût car l’agression ne serait pas la première du dit CEO, et plus grave, que des personnes étaient au courant, sans que cela n’ait d’incidence.

Ce qui a ajouté une couche encore plus dégueu à la situation, c’est la réponse de la personne qui accompagnait les journalistes sur ce voyage quand je lui ai expliqué ce qu’il venait de se passer alors que je revenais tremblante des toilettes. Je ne me rappelle pas de ce dialogue précis, ne m’en voulez pas j’étais un peu sonnée, mais en substance ça donnait « Sérieux ? On a déjà entendu des histoires, cette fois c’est décidé on l’emmène plus en voyage de presse ». Combien d’histoires il vous faut avant de se décider à le déclarer persona non grata ?

Dans un article du 11 octobre, Buzzfeed évoquait les «réseaux de murmures» qui permettent, dans un milieu donné, de faire circuler l’information de manière informelle. Loin de simples ragots, ces “murmures” servent souvent de système de défense pour les femmes.

Encore une fois, je n’avais pas du tout décidé ce matin en me levant de mener une chasse aux sorcières. Jusqu’à son post Facebook faussement concerné. Jusqu’à ce que certaines femmes comprennent mon message crypté et me racontent des histoires similaires, ou me remercient d’avoir parlé.”

En effet, d’autres témoignages viennent s’ajouter au récit d’Anaïs Richardin. De la part de témoins, ou simplement des personnes du milieu accréditant le fait que des bruits courts sur le comportement du CEO.

Autre élément extrêmement intéressant, et qui a été souvent relevé dans les analyses sur les structures qui entraînent le silence après une d’agression ou dans le cas d’harcèlement sexuel : le risque de se retrouver en difficulté professionnellement.

J’étais en poste depuis peu de temps, je ne voulais pas me couper d’une source d’information potentielle ni créer de tension entre la rédaction et son agence.[…] Je n’ai osé parler de ce « fâcheux incident » à mes rédacteurs en chef que deux ans après, quand mon refus catégorique d’interviewer l’odieux personnage devint suspect.

En résulte un traumatisme où la personne doit gérer et rejouer la situation, en vient à questionner son propre comportement.

Alors en fait je t’explique (ça c’est que j’aurais dû lui dire sur le moment), je suis journaliste, mon boulot c’est d’obtenir des infos, pas de cirer les pompes des gens, et si je suis froide c’est juste pour mettre de la distance, pas pour alimenter tes délires de domination”.

Des internautes ont pointé du doigt la contradiction entre un CEO de MinuteBuzz qui se vanterait de faire avancer la cause féministe, au travers du média féminin “FRAICHES”, qui met en valeur des portraits de fondatrices , et les accusations et témoignages de harcèlement. Sur le même sujet, une tribune de Jessa Crispin dans le Guardian soulignait qu’à rebours de ce que l’on peut penser, la contradiction figure publique / personne privée n’en est pas forcément une. Elle précisait que Matt Taibbi, Mitchell ou encore Harvey Weinsten, sont des figures publiques de gauche engagées au côté des femmes, tout en ayant été par la suite accusés d’agression(s) sexuelle(s).

Après plusieurs jours de silence, Maxime Barbier a publié un billet sur son profil Facebook. S’il ne conteste pas les témoignages des femmes qui se sont exprimées, il qualifie son comportement de “séduction lourde et insistante” pouvant être reçu comme du “harcèlement” par celles-ci. ll s’excuse de son comportement et remercie, “Malgré la violence rare” portée à son encontre, “les personnes étant montées au créneau pour lui faire prendre conscience du changement à opérer dans son comportement”.

L’obligation de questionner le cadre particulier, un terreau sur lequel le harcèlement s’épanouit

Selon une étude Ifop de 2014 pour le Défenseur des droits en 2014 sur le sujet, 20% des femmes déclarent avoir été victime de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail au moins une fois. Dans 40% des cas, l’issue leur est défavorable (carrière bloquée, non-renouvellement de contrat, licenciement ou démission forcée).

Si on se penche sur les facteurs qui favorisent le harcèlement sexuel et qui ont été relevés dans les scandales de la Silicon Valley, on peut mentionner un environnement majoritairement masculin ou régnerait une culture de fraternité. Des observateurs mentionnent aussi un environnement professionnel où les frontières entre le travail et les loisirs seraient plus floues que dans d’autres secteurs.

Enfin, le caractère endogène du milieu, les rapports hiérarchiques et les positions de décisionnaires trustés par les hommes ajouteraient au multiples cas de harcèlements et agressions sexuels.

Le harcèlement sexuel au travail, parent pauvre de la future loi contre les violences sexuelles et sexistes.

Marlène Schiappa a dévoilé la semaine dernière les détails de son projet de loi pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Les grands axes en sont la verbalisation du harcèlement de rue, l’allongement du délai de prescription pour les viols sur mineurs et l’établissement d’un âge de consentement.
En l’état, aucune mesure pour renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel dans le cadre professionnel.

Dans tous les cas mentionnés, les réseaux sociaux ont été des catalyseurs d’une meurtrissure partagée, provoquant la déstabilisation d’une omerta qui fait système. Si la loi prévaut, il est à souligner que face au risque de scandale et d’embrasement, de l’autre côté de l’Atlantique, la tendance pour le tissu économique est d’anticiper la nécrose en devançant une potentielle instruction et un vrai risque de mise en difficulté pour l’entreprise, et ce, en se séparant du CEO.