Étude pour le moins alarmante de la part de Freedom House, organisation non-gouvernementale (mais financée en partie par le gouvernement américain), qui déclare constater une « chute de l’indice de liberté sur le Web » dans 33 pays. Sur les 65 pays passés en revue – regroupant 87 % des utilisateurs dans le monde – pas moins de 40 d’entre eux utiliseraient des « programmes avancés de surveillance des réseaux sociaux ». Autre « record » annoncé : 38 États emploient des individus pour interférer sur les informations en ligne.

Les réseaux sociaux, outils de propagande

L’interférence sur internet est devenue, selon le rapport, une stratégie commune à beaucoup de pays dont les dirigeants sont prompts à disloquer les démocraties. La désinformation et la propagande sont les principaux outils utilisés dans cette interférence. Les États nationaux, et les acteurs partisans utilisent les réseaux en ligne pour répandre leurs conspirations, théories du complot, et plus généralement de fausses informations. Ce faisant, des gouvernements amis, personnalités médiatisées ou du secteur des affaires, favorables à ces acteurs locaux ou États, sont souvent associés à ces stratagèmes : « Beaucoup de gouvernements trouvent que l’utilisation des réseaux sociaux pour diffuser leur propagande est beaucoup plus efficace que la censure » déclare Mike Abramowitz, président de l’organisation Freedom House.

« Les autoritaristes et populistes du globe exploitent la nature humaine et l’associent à la magie des algorithmes numériques pour contrer les scrutins, et passer outre les règles établies pour garantir des élections libres, et justes. », est-il ajouté. Et si les entreprises technologiques tentent de mettre en place des techniques de défense, et des systèmes de vérification pour combattre ce type de désinformation, certains de ces acteurs ne cessent de faire évoluer leurs tactiques. Le rapport prend l’exemple des candidats aux Philippines, n’hésitant pas à solliciter directement les acteurs influenceurs sur les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, ou encore Instagram pour qu’ils déploient de fausses informations, en échange d’une jolie somme d’argent.

L’affaire est d’autant plus juteuse pour ces États que hormis ces quelques pots-de-vin, elle ne leur coûte que très peu d’argent. Les réseaux sociaux permettent d’atteindre un maximum d’utilisateurs en très peu de temps. De quoi pervertir ce qui, il y a une bonne dizaine d’années, pouvait être considéré comme un outil fantastique de communication, favorisant les liens sociaux.

Cette dérive est d’autant plus inquiétante, qu’en plus de devenir un outil de propagande venant ternir le système électoral démocratique, les réseaux sociaux se transforment peu à peu en outil de surveillance pour ces acteurs peu scrupuleux. Aussi, en plus d’interférer dans les campagnes politiques comme ce fut le cas lors des élections présidentielles américaines en 2016, ou des élections de mi-mandat en 2018, et d’offrir à des pays comme la Russie, la Chine, l’Iran, et l’Arabie saoudite, les moyens d’influencer les élections démocratiques étrangères, dixit l’ONG américaine, l’utilisation de ces plateformes permet la collecte et l’analyse de nombreuses données.

Les réseaux sociaux, outils de surveillance

L’ONG américaine déclare avoir trouvé des preuves de l’existence de « programmes avancés de surveillance des réseaux sociaux » dans 40 des 65 pays passés en revue, regroupant 87 % des utilisateurs d’Internet dans le monde. Ce qui à une époque semblait réservé aux agences internationales de renseignement, devient quasi un lieu commun pour un ensemble d’acteurs nouveaux, bien décidés à profiter de ce nouveau terrain de jeu, à en croire l’étude publiée. De « nouveaux objectifs » sont évoqués, sans pour autant être clairement établis. À l’évidence, ils confèrent tous à prendre, ou maintenir le pouvoir de certains acteurs politiques, avec in fine des actions plus ou moins lucratives : rien de neuf à l’horizon.

L’embêtant, et le rapport ne manque pas de le préciser, réside davantage dans les moyens utilisés, directement reliés au quotidien des utilisateurs, et par conséquent aux libertés individuelles : « Le résultat est un redoutable accroissement global des abus sur les libertés civiles tandis que l’espace en ligne pour les actions civiques rétrécit » est-il expliqué. Parmi les 65 pays étudiés, 47 d’entre eux ont procédé à des arrestations de personnes tenant des discours d’ordre politique, social ou religieux, précisent les auteurs du document.

Cette étude aura sollicité la contribution de 70 analystes, utilisant une méthodologie de recherche regroupant des thèmes abordant les problèmes d’accès à Internet, de liberté d’expression et de respect de vie privée. Établi entre juin 2018 et mai 2019, l’objectif d’un tel rapport, expliquent les membres de l’ONG, est d’évaluer l’impact des technologies de l’information et de communication sur la démocratie. Les données spécifiques aux pays qui sous-tendent les « tendances de cette année » sont disponibles en ligne, peut-on lire sur le site de Freedom House.

Des natures méfiantes pourraient éventuellement avancer que parmi les États pointés du doigt, nombreux sont reconnus comme des pays qui s’opposent de manière générale au modèle américain, que ce soit d’un point de vue social, politique ou économique. Libre à chacun de vérifier les données établies. Plus difficile toutefois de contester les atteintes aux valeurs démocratiques qu’impliquent les actions des pays cités. Aussi lorsque la décision de supprimer l’accès des citoyens à Internet ou à certaines plate-formes du Web est prise en Chine, au Soudan, au Bangladesh, au Brésil, ou au Zimbabwe, difficile de ne pas considérer cela comme de la censure, ni plus, ni moins.

Carte géographique représentant les pays où l'accès à Internet est considéré comme étant libre

Représentation cartographique de la liberté sur Internet, établie par Freedom House / Crédit : ONG Freedom House

Les États-Unis ne sont pas épargnés par l’ONG, qui rapporte les actes des forces de l’ordre américaines : « Les forces de l’ordre et les autorités qui s’occupent de l’immigration ont étendu leur surveillance, en contournant les mécanismes de transparence, de contrôle et de responsabilité qui auraient pu restreindre leurs actions ». Et d’ajouter que « les agents ont espionné, sans mandat, les appareils électroniques de voyageurs pour récolter des informations sur des activités protégées par la Constitution, comme les manifestations pacifiques ». Ceci avant de conclure sur la nécessité de « corriger les réseaux sociaux » et le rôle de l’État qui se doit de promouvoir « la transparence et la responsabilisation à l’ère numérique ». Vaste sujet. Si pour les responsables de Freedom House, c’est « le seul moyen d’empêcher internet de devenir un cheval de Troie pour la tyrannie et l’oppression », la transparence et la responsabilisation peuvent tout aussi bien être utilisées pour répondre aux besoins des services de sécurité nationale.

Comment trouver un équilibre entre la liberté d’expression, le respect des libertés individuelles, de la vie privée, et les détournements évoqués dans ce rapport ? S’il convient de respecter ces libertés indissociables des valeurs démocratiques, nombreux sont les cas, où au nom de les protéger, contre le terrorisme notamment, celles-là même sont bafouées, au profit d’un espionnage numérique. Il en va de même pour la lutte contre la désinformation, en particulier lors des campagnes politiques, jusqu’où l’État doit-il, et peut-il, se porter garant d’une transparence, et donc d’un contrôle ?

Ces questions n’ont, semble-t-il, pas fini d’ombrager le paysage de l’ère numérique dans laquelle la société évolue désormais.