Bonjour, pouvez-vous vous présenter et nous en dire plus sur votre parcours et ce qui vous a poussé à fonder AlloVoisins ?

Bonjour, je suis Edouard Dumortier, j’ai 42 ans et je suis diplômé de l’ESSCA. J’ai eu une carrière assez variée. J’ai travaillé en grande distribution, notamment en Espagne où j’ai habité pendant 6 ans. J’ai également fait du conseil en ressources humaines dans un cabinet de chasseur de têtes. Et j’ai été aussi directeur général d’un réseau de franchise, avant de cofonder et diriger AlloVoisins, à partir de 2013.

L’idée d’AlloVoisins m’est venue au fil de mes différentes expériences où l’on pouvait observer des cycles économiques en dents-de-scie et un discours général qui appuyait ce discours autour des cycles. Ma vision est qu’on était plutôt dans un monde en profonde mutation sur le plan politique, économique, financier, écologique ou même géopolitique. L’approche était donc de se dire que le monde va changer et que l’on peut tout à fait continuer à consommer, se faire plaisir sans se ruiner. Mais à la condition d’avoir une nouvelle façon de consommer, beaucoup plus locale, plus durable, plus responsable et basée sur la mutualisation des ressources.
Le cœur du message d’AlloVoisins était de dire : « ne changez pas ce que vous consommez, mais changez la façon dont vous consommez ».

C’est ainsi qu’est né AlloVoisins qui est devenu un réseau social entre voisins et qui sert à se louer tout type d’objet du quotidien ou à se rendre des services. Notre métier est de faire de la location d’objets et de services à la personne, entre gens de proximité.

Sur le plan opérationnel, c’est une approche assez disruptive, car notre concept et ce, dès l’origine, a toujours été basé non pas sur l’offre, mais sur la demande. Le modèle antérieur consistait à ce que les utilisateurs viennent proposer des offres. Sur AlloVoisins, vous pouvez enregistrer vos demandes sur les choses dont vous avez besoin et nous alertons vos voisins de ce qui vous est nécessaire. Ils n’ont alors plus qu’à y répondre.

Aujourd’hui, AlloVoisins c’est 3 millions de membres en France avec 3 000 inscrits chaque jour et on voit que la source n’est pas près d’être tarie. Notre objectif, et il a toujours été clair, c’est de devenir le futur BlaBlaCar de l’économie collaborative. Notre objectif est que la France entière soit présente et active sur notre plateforme et que tout le monde nous utilise.

AlloVoisins ne prend pas de commissions sur les transactions entre gens de proximité, quel est votre modèle économique ?

En effet, sur la plupart des plateformes d’économie collaborative, le modèle financier est basé sur une commission sur les transactions. Nous avons choisi de faire différemment avec un modèle novateur basé sur l’abonnement freemium. Tout le monde peut utiliser AlloVoisins gratuitement, mais si vous voulez en faire une activité plus soutenue, nous vous invitons à prendre un abonnement.

Pourquoi avons-nous choisi ce modèle ? Pour plusieurs raisons. La première est que nous pensons que le paiement en ligne est peu adapté à notre métier. D’abord, parce que les gens ont une culture du paiement en direct sur les plateformes, culture qui a été instillée par Le Bon Coin et ils ont la nécessité de se voir avant de formaliser une transaction.

On se rend donc compte que le paiement en ligne est finalement peu adapté pour le besoin du client qui va chercher à contourner ce mode de rétribution. L’idée était donc de ne pas aller contre la volonté des clients, mais plutôt de les accompagner et leur apporter une réponse adaptée.
Au-delà de ça, quand on regarde le modèle à la commission, on se rend compte que c’est un modèle très fluctuant. Si vous avez une activité saisonnière, vous souffrez en période d’activité basse, et à mon sens, c’est un modèle gagne-petit. Donc on a fait le choix du modèle d’abonnement gagnant-gagnant, où on peut utiliser la plateforme gratuitement pour pouvoir répondre à 5 demandes de service par mois et répondre à autant de demandes de location d’objet que vous le souhaitez. Et s’abonner ouvre les portes à un modèle vertueux, car ceux qui s’abonnent couvrent très vite le prix de leur abonnement et ça leur coûte moins cher que s’ils devaient payer une commission. De notre côté, ça nous permet de générer un revenu récurrent.

Comment voyez-vous l’évolution des sites de l’économie collaborative ?

La vraie question à se poser est : a-t-on affaire à un effet de mode ou à une tendance de fond ? Nous sommes convaincus que c’est une tendance de fond, partie pour durer, s’installer et se développer. Il y a beaucoup d’indicateurs qui nous font penser ça. Dans la logique, si demain, il n’y avait plus de chômage en France et 10% de croissance, je pense que l’économie collaborative continuerait à avoir de très beaux jours devant elle parce que c’est en train de s’ancrer. On peut l’observer dans tous les pans de l’économie. C’est-à-dire que nous pouvons voir que les gens achètent de moins en moins de voitures et privilégient plutôt l’usage ou les autres formes de mobilité.

Nous observons également que les marques automobiles s’adaptent, en commençant à proposer des abonnements qui permettent de changer de véhicule. On voit que la notion de pair marche très fort, à l’exemple également de l’industrie textile qui souffre actuellement. En parallèle, vous avez des plateformes comme Vinted sur le marché du vêtement d’occasion qui réalise 23 000 nouveaux inscrits tous les jours. Pour autant, est-ce que l’on peut dire que le marché de l’habillement va mal ? Il y a donc des mutations dans la société de consommation qui, je pense, s’expliquent par une notion assez simple à comprendre. C’est la notion même du besoin du consommateur qui a évolué. Si on prend l’exemple de la taille de haie : il y a 20 ans, on allait chez Castorama ou Leroy Merlin. Est ensuite arrivé Le Bon Coin, introduisant l’occasion. Aujourd’hui, avec des plateformes comme la nôtre, vous pouvez tout simplement emprunter. Le besoin du consommateur a donc changé. Il y a 20 ans le consommateur avait besoin d’un taille-haie, aujourd’hui il a besoin d’une haie taillée. Ce qui importe, c’est la finalité.

À une époque où les politiques publiques mettent tout en œuvre pour recréer du lien entre les habitants, comment les plateformes numériques peuvent-elles contribuer à cette dynamique ?

Notre métier est de mettre les gens en relation. Notre finalité n’est pas Internet. Nous avons, en un sens, digitalisé la mise en relation, digitalisé le coup de sonnette chez un voisin et automatiser le fait de tomber sur le bon voisin tout de suite. Notre vraie finalité est que les gens se rencontrent dans la vraie vie. AlloVoisins c’est un peu plus de 3 000 nouveaux inscrits, chaque jour. Ce qui est intéressant c’est de voir la vitesse à laquelle tout cela prend. Aujourd’hui, vous avez du monde partout autour de vous et nous ne sommes que des facilitateurs et accélérateurs de rencontres.

De plus en plus de sites permettent aux particuliers de se rencontrer, notamment des personnes qui ne se seraient pas forcément rencontrées sans Internet. Comment voyez-vous l’évolution entre le digital et la rencontre physique ?

Tout le paradoxe d’aujourd’hui est que nous sommes dans un monde très digitalisé, dans lequel les gens n’ont aucun scrupule à acheter sur Amazon, sur Alibaba, etc. En bref, des plateformes globalisées, mondialisées, avec des performances logistiques redoutables. En parallèle de ça, les citoyens ont aussi envie d’une consommation plus locale, de proximité et qualitative. Le web permet ça aussi. Aujourd’hui, le web n’est plus du tout vu comme quelque chose de seulement mondialisé, mais aussi comme quelque chose de local. Les gens vont s’en servir comme accélérateur de lien social. On peut le voir, notamment, à travers l’essor de toutes les applications de rencontre. Le web devient un accélérateur et un facilitateur de rencontre.