Une trentaine de personnes sont mortes cette semaine dans des manifestations à Bagdad et dans le sud du pays. L’Irak plonge dans le chaos mais les images arrivent au compte-goutte sur les écrans internationaux. Et pour cause : l’Internet est coupé depuis mercredi dans une grande partie du pays. C’est devenu une habitude pour les pouvoirs autoritaires : couper Internet fait partie, à l’instar du couvre-feu, des mesures d’urgence prises pour tenter de mater une révolte.

D’après l’ONG Netblocks, qui observe les restrictions de liberté sur Internet dans le monde, une première coupure a eu lieu mercredi, touchant 75% du pays. Les réseaux sociaux Facebook, Twitter, WhatsApp et Instagram étaient complètement bloqués. Le débit a été partiellement rétabli jeudi soir pendant une heure alors que le Premier ministre Abdul-Mahdi devait s’exprimer à la télévision.

Le mouvement a débuté de manière spontanée mardi à Bagdad, à la suite d’appels sur les réseaux sociaux, un fait inédit en Irak. Les manifestants sortent dans la rue pour protester contre la corruption, le chômage et la faillite des services publics. La rue a repris massivement un slogan issu du printemps arabe : « Le peuple veut la chute du régime ». « Les manifestations en Irak ont pris de l’ampleur. » analyse la journaliste irako-britannique Mina Al-Oraibi. « Des années de gouvernements successifs qui ont échoué à répondre aux demandes de la population, en particulier en terme de service de public et de moyens de subsistance, ont conduit à une grande frustration ».

Malgré la coupure d’Internet, quelques images nous parviennent. Elles sont principalement le fait de journalistes de l’AFP, Reuters, et d’Associated Press. Les journalistes iraquiens, qui publient normalement photos et vidéos sur les réseaux, sont silencieux depuis le début du blackout, signale la journaliste Joyce Karam, du Washington Correspondent. Quelques vidéos amateurs circulent néanmoins sur Twitter, montrant que les autorités ont totalement perdu le contrôle.

Dans un tel contexte, couper Internet a deux avantages supposés pour les autorités : perturber l’organisation des protestataires qui ne peuvent plus lancer d’appels à manifester sur les réseaux sociaux, et organiser un blackout dans le pays et à l’international afin d’empêcher que des images d’émeute soient publiées. Rien cependant n’indique que la mesure soit vraiment efficace : « Les restrictions d’internet accélèrent la propagation de la désinformation pendant une crise car les sources fiables d’informations sont coupées », estime NetBlocks. « Nous sommes coupés du monde. C’est juste un face à face entre nous et la police », déclare un manifestant iraquien à Amnesty International. L’ONG appelle les autorités iraquiennes à « revenir immédiatement sur la décision illégale de bloquer Internet et les médias sociaux ».

Ce n’est pas la première fois que l’Irak coupe Internet. Pour une raison beaucoup plus triviale, le gouvernement ordonne chaque année de fermer les tuyaux pendant les examens de fin d’année, afin d’éviter les tricheries. Il existe dans le pays un puissant marché en noir en ligne, où les étudiants peuvent payer des professeurs pour obtenir les questions des examens en avance. La mesure est assumée par le gouvernement, le fournisseur d’accès Earthlink envoie ainsi ce mail à ses clients, comme s’il s’agissait d’une banale coupure d’eau ou d’électricité : « Suite aux instructions du ministère des Communications et de la société irakienne des télécommunications et de la poste, nous vous informons que tous les circuits seront coupés demain de 5 heures du matin à 8 heures du matin. »

Plus de 120 autorités nationales ou locales ont déjà ordonné une coupure d’Internet en 2019 dans le monde, d’après les chiffres de l’ONG Access Now. Cela fait plus de 100 jours que le réseau est coupé dans l’État de Rakhine en Birmanie, au prétexte du maintien de l’ordre, alors que des combats opposent l’armée et la guérilla de l’Arakan Army. La « cyberbrutalité » est devenue tristement commune.