Digital 2039 est l’intitulé de la conférence organisée le 7 juin dernier à Paris, au cours de laquelle Valentin Blanchot, le rédacteur en chef du Siècle Digital, est intervenu aux côtés d’autres professionnels du secteur tels que le blogueur marketing Frédéric Cavazza, la journaliste Emmanuelle Leneuf à l’origine du #FlashTweet sur Twitter, et Eric Léandri le PDG de Qwant. Entretien avec Louis Duroulle, co-responsable du MBA MCI à l’origine de la conférence, pour une synthèse de cet exercice prospectif.

Pourquoi avoir intitulé cette conférence “Digital 2039” ?

Nous étions à la recherche d’un concept pour fêter les 20 ans du MBA spécialisé Marketing digital et Commerce sur Internet (MBA MCI) de l’Institut Léonard de Vinci. A l’échelle du web c’est une éternité… que d’évolutions depuis 1999 ! En 20 ans, le marketing est devenu digital, on ne parle plus de commerce sur internet mais du e-commerce, les réseaux sociaux sont nés et ont bouleversé nos usages. Bref, la révolution numérique a bien eu lieu et ils étaient peu nombreux à l’avoir imaginée aussi précisément avant qu’elle ne devienne réalité, je pense notamment à cette interview devenue culte de Jeff Bezos, qui justement date de 1999.
Peut-être même que le MBA MCI est né sur le même genre d’intuition ? Il faut se rendre compte de ce qu’était le “commerce sur internet” en France à l’époque, au mieux un hobby pratiqué et développé par des aficionados. Et quand on voit le chemin parcouru en 20 ans, on se demande légitimement celui qu’il nous reste encore à parcourir pour les 20 prochaines : où va t’-on, pourquoi et comment ? Ce sont les questions que nous avons voulu poser avec “Digital 2039” et demander à ces experts de nous livrer leur vision à l’aune de leurs activités actuelles.

Lors de son intervention, Frédéric Cavazza annonce la fin de la civilisation de l’écrit. Que cela signifie-t’-il des pour professionnels du marketing ?

En 2019, il n’y a pas un seul aspect de notre quotidien qui ne soit pas digital et les 20 prochaines années devraient entériner un changement d’ère pour l’humanité, en particulier dans les modes d’expression et de communication.
Frédéric parle de la fin de la civilisation de l’écrit qui a connu sa dernière accélération avec la démocratisation de l’imprimerie, au profit d’une phase où la communication reposerait quasi exclusivement sur des formats visuels. C’est ce que nous vivons déjà tous les jours avec les emojis, filtres et autres stories qui ne sont que les sentinelles de cette révolution appelée à changer radicalement notre façon de communiquer, d’échanger, de consommer, de vivre.
Pour les professionnels du marketing, il ne s’agira pas uniquement de maîtriser techniquement ces formats, mais surtout d’être capable de les comprendre, de les expliquer et d’anticiper leurs évolutions. Aujourd’hui ce sont les stories Instagram, mais demain ce sera quoi ? Les filtres emojis augmentés par exemple ? Comment les marques pourront investir intelligemment ces nouveaux formats ? La démarche restera sensiblement la même : apprendre à apprendre ce qui n’existe pas encore.
Pour ces professionnels, se pose aussi la question de l’éthique autour de l’utilisation des données. Jusqu’où iront les logiques de Data Marketing avec la multiplication des objets connectés et inter-connectés et la transition vers un Marketing Augmenté ? Qui dit assistance personnelle, dit aussi assistance personnalisée, et celle-ci ne peut l’être qu’à partir de données… personnelles. A ce sujet, il est intéressant de voir que ce débat initialement cantonné à l’Europe et malheureusement caricaturé par le RGPD, gagne en intensité aux Etats-Unis, notamment dans la Silicon Valley avec pour exemple le récent changement de cap pris par Facebook Study, et s’engage encore timidement en Asie.

C’est justement l’angle de l’intervention d’Eric Léandri qui mène le combat pour la protection de la vie privée. Digital 2039, c’est également l’occasion de se demander si les GAFAM seront encore là dans 20 ans, à l’heure où leur hégémonie est de plus en plus décriée ?

L’importance prise par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) dans notre vie quotidienne, en si peu de temps, nous conduit forcément à nous interroger sur leur puissance, réelle ou supposée, d’où le débat actuel autour de leur démantèlement.
Que ce démantèlement ait un jour lieu ou pas, ce sont les services inventés et préemptés par ces géants privés qui nous intéressent. Quel professionnel du marketing digital peut aujourd’hui se passer des outils de Google ? Apple ? Microsoft ? Idem pour le e-commerce avec Amazon et Facebook ?
C’est notre dépendance, personnelle et professionnelle, aux services proposés par les GAFAM qui nous préoccupe voire nous inquiète. C’est ce que veut dire Eric lorsqu’il déclare que nous avons encore le choix de la société que nous voulons.
Le choix et le consentement sont au coeur des virages qui nous attendent ces prochaines années : est-ce que choisir de ne pas donner accès à ses données personnelles offrira une expérience utilisateur moins performante ? Ou comme le résume Eric à propos du développement de l’IA : sera-t’-on capable de développer une IA au service de l’humain et pas au service de la machine ?
Ce qui est certain, c’est que les GAFAM ont été les moteurs du changement des 20 dernières années et qu’ils sont plus que jamais positionnés pour le demeurer pour les 20 prochaines années, y compris si cela passe par un rebranding, un démantèlement, une nationalisation ou je ne sais quelle autre mutation anecdotique.
Lorsque l’on apprend que Facebook investit dans la blockchain et aura sa propre cryptomonnaie 2020 ou que l’on voit que Google et Microsoft vont chaque jour de plus en plus loin sur l’IA conversationnelle, on se rend bien compte que les GAFAM sont au coeur de l’innovation, et sans doute même sont-ils devenus synonymes d’innovation ?

Ce changement d’ère amène également les médias traditionnels à se réinventer sous peine de disparaître, ce que Emmanuelle Leneuf et Valentin Blanchot résument par la nécessaire amélioration de l’expérience proposée par les médias.

En parlant de l’expérience utilisateur/lecteur/spectateur, Emmanuelle et Valentin ont parfaitement résumé les enjeux de la transformation des médias. Des enjeux qui sont autant professionnels que citoyens car ils concernent notre rapport à l’information.
L’information seule ne suffit plus, ne se suffit plus en ce début de XXIème siècle : l’émergence des “fake news” et de la post-vérité, qui, combinée à la défiance croissante envers les médias traditionnels, incarne la face sombre de ce changement de société dont la dynamique était pour l’instant positive.
Cette période représente ainsi l’opportunité pour les médias d’innover, de se réinventer, notamment en adoptant une posture plus inclusive, plus pédagogique, pour continuer à parler au plus grand nombre. Ce qui ne doit évidemment pas empêcher les contenus experts de continuer à exister. Je suis convaincu que les médias ont une vocation sociétale, terme que je préfère à responsabilité qui est trop moralisateur, et lorsque je parle de médias, je ne parle pas uniquement des grands médias, mais aussi des jeunes médias tels que le Siècle Digital ou #FlashTweet sur Twitter qui génèrent parfois plus de trafic que leurs aînés !
Comme nos invités Digital 2039 l’ont parfaitement expliqué, cette réinvention passe inexorablement par la multiplication et l’enrichissement des expériences.
Expérimenter les formats à l’instar du Siècle Digital qui s’est lancé dans l’aventure podcast, avec succès si je ne me trompe pas, et continuer à être à la pointe de l’innovation même si le marché n’est pas mûr en apparence, comme Le Monde l’avait été en 2016 en se lançant sur Snapchat.
Enfin, et c’est sans doute l’innovation technique majeure que les médias doivent dès à présent anticiper, c’est le développement de l’IA en tant qu’assistante de production / curation / rédaction qui va permettre aux créateurs de contenus de gagner du temps de qualité. Toute la question étant de déterminer ce que ce gain de temps leur permettra d’améliorer dans leur façon de travailler, peut-être en profiter pour être davantage dans l’interaction avec ses lecteurs / spectateurs et proposer une expérience de co-création de contenus à partir du contenu initial ?

Que peut-on souhaiter au MBA MCI pour les 20 prochaines années ?

Qu’il existe toujours et que nous fêtions ses 40 ans en 2039 ! Merci au Siècle Digital d’avoir été présent le 7 juin dernier et à Valentin d’avoir joué le jeu avec nos invités Digital 2039. Rendez-vous dans 20 ans pour savoir si ses prédictions se sont révélées juste !